Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Commission de protection des eaux de Franche-Comté a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision du 1er juillet 2019 par laquelle le préfet de la Haute-Saône a refusé de faire procéder à l'évacuation de déchets abandonnés sur une propriété agricole de la commune de Frotey-les-Vesoul et de lui enjoindre, à titre principal, de faire procéder à cet enlèvement ou d'ordonner la remise en état du site, à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de mettre en demeure le producteur des déchets de remettre en état le site, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte.
Par un jugement n° 1901532 du 15 juin 2021, le tribunal administratif de Besançon a annulé la décision attaquée et a enjoint à la préfète de la Haute-Saône de faire procéder à la complète remise en état du site dans un délai de quatre mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 août 2021, la ministre de la transition écologique demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 15 juin 2021 du tribunal administratif de Besançon ;
2°) de rejeter la requête présentée par la Commission de protection des eaux de
Franche-Comté ;
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité en raison d'une insuffisance de motivation au regard de l'application de l'article L. 171-8 du code de l'environnement ;
- il est également entaché d'une erreur de droit ; les dispositions de cet article prévoyant la possibilité pour le préfet de faire procéder d'office, en lieu et place de la personne mise en demeure, à l'exécution des mesures prescrites, ne trouvent pas à s'appliquer si la consignation des sommes nécessaires aux travaux n'a pas pu aboutir ; la possibilité pour le préfet, en cas d'insolvabilité de l'exploitant, de demander le concours de l'ADEME, telle que prévue par l'article L. 541-3 du code de l'environnement est purement discrétionnaire en prenant notamment en compte l'urgence et l'éventuelle dangerosité des déchets qui ne sont pas établies en l'espèce ;
- il est enfin entaché d'erreur manifeste d'appréciation ; l'autorité administrative n'est pas restée inactive au vu de l'ensemble des procédures successivement mises en œuvre pour parvenir à la remise en état du site ; aucun refus illégal de faire usage de ses pouvoirs de police ne saurait être reproché en l'espèce au préfet.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 octobre 2021, la Commission de protection des eaux de Franche-Comté, représentée par Me Dufour, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le jugement du tribunal est suffisamment motivé dès lors qu'il a cité les dispositions applicables de l'article L. 171-8 du code de l'environnement, a relevé que le site était encore jonché de nombreux déchets et que cette situation était incompatible avec le statut de réserve naturelle, et mentionné que l'échec de la procédure de consignation ne faisait pas obstacle à ce que le préfet procède d'office à l'exécution des mesures fixées par la mise en demeure ;
- l'erreur de droit n'est pas établie ; que les sommes consignées soient utilisées pour l'exécution d'office n'implique pas que la consignation soit un préalable obligatoire et indispensable à l'exécution d'office dès lors que le II de l'article L. 171-8 précise que l'autorité administrative peut arrêter une ou plusieurs des sanctions administratives qu'elle liste ensuite, sans interdépendance entre elles ; les travaux pouvant par ailleurs être confiés à l'ADEME en cas d'insolvabilité de l'exploitant, la non solvabilité de M. B... ne pouvait justifier le refus de la préfète de prendre les mesures nécessaires pour assurer le respect de son arrêté de mise en demeure ;
- l'erreur manifeste d'appréciation n'est pas non plus démontrée dès lors que l'état actuel du site montre que les moyens et procédures déjà engagés n'ont pas permis de le remettre en état, de sorte que l'article 1er de l'arrêté du 3 mars 2017 n'est toujours pas pleinement exécuté ; or, l'administration avait déjà été enjointe par le jugement du tribunal du 7 décembre 2017 de faire procéder d'office aux travaux figurant dans l'arrêté de mise en demeure du 3 mars 2017 jusqu'à exécution complète des conditions imposées ;
- si la cour considérait que le préfet n'avait pas à faire application des mesures prévues à l'article L. 171-8 du code de l'environnement, il y aurait lieu de faire application des dispositions de l'article L. 541-3 du même code.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bauer,
- et les conclusions de M. Marchal, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B... exploitait sur le territoire de la commune de
Frotey-les-Vesoul (Haute-Saône) un élevage de porcs en plein air, ainsi que des volailles et des lapins, activité soumise à déclaration au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement, et pour lequel il a souscrit une déclaration le 7 juin 2016. Cet élevage est situé dans le périmètre de la réserve naturelle nationale du Sabot de Frotey créée par décret ministériel du 28 août 1981. Après avoir constaté plusieurs manquements, le préfet de la Haute-Saône, par un arrêté du 3 mars 2017, a mis M. B... en demeure de régulariser son élevage en lui demandant notamment de procéder à la remise en état du site avant le 20 juin 2017 pour le rendre compatible avec le statut de réserve naturelle, de limiter l'effectif de porcs présents et surtout de nettoyer et d'évacuer dans un délai d'un mois l'ensemble des déchets présents sur le site, en lui indiquant qu'à défaut, il serait fait application des sanctions prévues à
l'article L. 171-8 du code de l'environnement. La commission de protection des eaux (CPE) de Franche-Comté, association agréée pour la protection de l'environnement, a constaté, le 7 avril 2017, que l'exploitant n'avait pas obtempéré à cette mise en demeure et que l'amoncellement de déchets posait des problèmes de sécurité et de salubrité, ainsi que de pollution des sols, et a ainsi sollicité du préfet, le 11 avril 2017, la mise en œuvre des sanctions de l'article L. 171-8 du code. Par un arrêté du 17 mai 2017, la préfète de la Haute-Saône a seulement ordonné à M. B... de consigner la somme de 2 256 euros correspondant au montant du coût d'évacuation et de traitement des déchets, la demande de l'association devant ainsi être regardée comme implicitement rejetée pour le surplus. Par un jugement du 7 décembre 2017, le tribunal administratif de Besançon a annulé la décision implicite de rejet de la demande de la CPE et a enjoint à la préfète de la Haute-Saône de suspendre le fonctionnement des installations de M. B... jusqu'à exécution complète de la mise en demeure et de faire procéder d'office, aux frais de l'exploitant, aux travaux mentionnés dans l'arrêté du 3 mars 2017. Constatant que de nombreux déchets jonchaient encore le site, la CPE a demandé au préfet, par un courrier du 2 mai 2019, de faire procéder d'office aux travaux de remise en état du site, aux frais de M. B.... Par une décision du 1er juillet 2019, le préfet a rejeté cette demande. La CPE a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler cette décision. Par un jugement du 15 juin 2021, dont la ministre de la transition écologique demande l'annulation, le tribunal a annulé la décision attaquée et enjoint à la préfète de la Haute-Saône de faire procéder à la complète remise en état du site dans un délai de quatre mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il résulte des termes du jugement attaqué qu'il se fonde en droit sur les dispositions de l'article L. 171-8 du code de l'environnement permettant au préfet, à défaut d'exécution d'une mise en demeure, d'infliger une ou plusieurs des sanctions administratives énumérées. Il indique par ailleurs les circonstances de fait retenues et justifiant l'utilisation de ces pouvoirs, à savoir la persistance, sur le site, de nombreux déchets incompatibles avec la situation de réserve naturelle. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'irrégularité de ce jugement pour insuffisance de motivation doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article L. 171-8 du code de l'environnement : " I. - Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, en cas d'inobservation des prescriptions applicables en vertu du présent code aux installations, ouvrages, travaux, aménagements, opérations, objets, dispositifs et activités, l'autorité administrative compétente met en demeure la personne à laquelle incombe l'obligation d'y satisfaire dans un délai qu'elle détermine. En cas d'urgence, elle fixe les mesures nécessaires pour prévenir les dangers graves et imminents pour la santé, la sécurité publique ou l'environnement. / II. - Si, à l'expiration du délai imparti, il n'a pas été déféré à la mise en demeure, l'autorité administrative compétente peut arrêter une ou plusieurs des sanctions administratives suivantes : / 1° L'obliger à consigner entre les mains d'un comptable public avant une date qu'elle détermine une somme correspondant au montant des travaux ou opérations à réaliser. La somme consignée est restituée au fur et à mesure de l'exécution des travaux ou opérations. / Cette somme bénéficie d'un privilège de même rang que celui prévu à l'article 1920 du code général des impôts. Il est procédé à son recouvrement comme en matière de créances de l'Etat étrangères à l'impôt et au domaine. Le comptable peut engager la procédure d'avis à tiers détenteur prévue par l'article L. 263 du livre des procédures fiscales. / L'opposition à l'état exécutoire pris en application d'une mesure de consignation ordonnée par l'autorité administrative devant le juge administratif n'a pas de caractère suspensif ; / 2° Faire procéder d'office, en lieu et place de la personne mise en demeure et à ses frais, à l'exécution des mesures prescrites ; les sommes consignées en application du 1° sont utilisées pour régler les dépenses ainsi engagées ; / 3° Suspendre le fonctionnement des installations et ouvrages, la réalisation des travaux et des opérations ou l'exercice des activités jusqu'à l'exécution complète des conditions imposées et prendre les mesures conservatoires nécessaires, aux frais de la personne mise en demeure ; / 4° Ordonner le paiement d'une amende au plus égale à 15 000 € et une astreinte journalière au plus égale à 1 500 € applicable à partir de la notification de la décision la fixant et jusqu'à satisfaction de la mise en demeure. Les dispositions des deuxièmes et troisièmes alinéas du 1° s'appliquent à l'astreinte. / Les amendes et les astreintes sont proportionnées à la gravité des manquements constatés et tiennent compte notamment de l'importance du trouble causé à l'environnement. (...). ".
4. Il résulte de l'article L. 171-8 du code de l'environnement, éclairé par les travaux préparatoires de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976, que lorsque l'inspecteur des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) a constaté, selon la procédure requise par le code de l'environnement, l'inobservation de conditions légalement imposées à l'exploitant d'une installation classée, le préfet, sans procéder à une nouvelle appréciation de la violation constatée, est tenu d'édicter une mise en demeure de satisfaire à ces conditions dans un délai déterminé, qui a pour objet, en tenant compte des intérêts qui s'attachent à la fois à la protection de l'environnement et à la continuité de l'exploitation, de permettre à l'exploitant de régulariser sa situation, en vue d'éviter une sanction, et notamment la suspension du fonctionnement de l'installation. Si l'article L. 171-8 du code de l'environnement laisse au préfet un choix entre plusieurs catégories de sanctions en cas de non-exécution de son injonction, la mise en demeure qu'il édicte n'emporte pas par elle-même une de ces sanctions. En cas de non-exécution de son injonction, le préfet peut ainsi arrêter une ou plusieurs des mesures que cet article prévoit, au regard de la nature des manquements constatés et de la nécessité de rétablir le fonctionnement régulier de l'installation.
5. En premier lieu, il s'ensuit que, contrairement à ce que soutient la ministre, les dispositions précitées du II de l'article L. 171-8 du code de l'environnement n'instituent aucune gradation dans le choix des différentes sanctions administratives qu'elles mentionnent et que, en particulier, la possibilité donnée par le 2° à l'autorité administrative d'exécuter les travaux d'office, en lieu et place de la personne mise en demeure et à ses frais, n'est pas conditionnée à la mise en œuvre ou à l'aboutissement de la procédure de consignation prévue par le 1°. Il s'ensuit que ce premier moyen doit être écarté.
6. En second lieu, la ministre soutient que la décision de refus opposée n'est pas entachée d'erreur d'appréciation dès lors que l'autorité administrative n'est pas restée inactive, au vu de l'ensemble des procédures successivement mises en œuvre pour parvenir à la remise en état du site, et qu'aucun refus illégal de faire usage de ses pouvoirs de police ne saurait lui être reproché en l'espèce.
7. Il est cependant constant, au vu notamment des photographies produites, que les mesures de consignation et de suspension de fonctionnement de l'élevage mises en œuvre jusqu'à présent par la préfète n'ont pas permis d'atteindre les objectifs fixés par l'arrêté de mise en demeure du 3 mars 2017, notamment la remise en état du site conformément à sa vocation de réserve naturelle et le nettoyage du site qui comporte encore de nombreux déchets, notamment de grosses cuves de récupération d'eau en plastique éventrées, des engins agricoles en métal, dans état de rouille très avancé, et des clapiers en plastique, en béton ou en ferraille. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont estimé, à défaut d'exécution des mesures préalablement ordonnées, que c'est à tort que la préfète n'avait pas fait usage des pouvoirs qu'il tire du 2° du II de l'article L. 171-8 du code de l'environnement précité et lui ont enjoint de faire procéder d'office à la remise en état complète du site dans un délai de quatre mois sous astreinte de 100 euros par jour de retard, mesure qui apparaît proportionnée au regard de la persistance et de l'importance des manquements constatés.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à la CPE en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la ministre de la transition écologique est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à la Commission de protection des eaux de Franche-Comté une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à la Commission de protection des eaux de Franche-Comté et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Wurtz, président,
- Mme Bauer, présidente-assesseure,
- M. Meisse, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2023.
La rapporteure,
Signé : S. BAUER Le président,
Signé : Ch. WURTZ
Le greffier,
Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
F. LORRAIN
N° 21NC02334 2