Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille, en premier lieu, d'annuler la décision orale du 21 mars 2018 par laquelle il a été procédé à son changement d'affectation, ensemble la décision implicite portant rejet de son recours gracieux et de sa demande tendant à ce qu'il soit indemnisé des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de ce changement d'affectation, en deuxième lieu, de condamner le département des Bouches-du-Rhône à lui verser une somme de 15 640 euros en réparation de ces préjudices, en troisième lieu, d'enjoindre audit département de le réaffecter dans ses fonctions de chef du centre d'exploitation de Saint-Andiol et, en quatrième et dernier lieu, de mettre à la charge de cette collectivité territoriale une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2002408 du 24 février 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 avril 2022 et 21 mars 2023, M. A..., représenté par Me Lucchini, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 24 février 2022 ;
2°) de condamner le département des Bouches-du-Rhône à lui verser les sommes de 10 000 et 5 640 euros en réparation des préjudices moral et financier qu'il estime avoir subis consécutivement au changement d'affectation litigieux ;
3°) de mettre à la charge du département des Bouches-du-Rhône la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- en rejetant l'intégralité de ses demandes, le tribunal administratif de Marseille a entaché sa décision d'une dénaturation des pièces du dossier et d'une erreur d'appréciation ;
- son changement d'affectation constitue une sanction déguisée qui est illégale :
. cette sanction déguisée est intervenue sans respect de la procédure disciplinaire ;
. l'administration ne pouvant pas lui infliger une sanction non prévue par l'échelle des sanctions, celle-ci est entachée d'une erreur de droit ;
. elle est également entachée d'une détournement de pouvoir ;
. elle peut être qualifiée de harcèlement moral ;
- cette sanction déguisée illégale et le maintien de son " affectation " au centre d'exploitation de Saint-Rémy, postérieurement à la séance du conseil de discipline qui s'est tenue en mars 2019, avec la dégradation consécutive de ses conditions de travail, sont constitutifs de fautes de nature à engager la responsabilité du département des Bouches-du-Rhône ;
- il a droit à la réparation des préjudices moral et financier qu'il a subis du fait de cette situation illégale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 février 2023, le département des Bouches-du-Rhône, représenté par Me Urien, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 800 euros soit mise à la charge de M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- eu égard à la teneur de ses écritures, M. A... doit être regardé comme ayant abandonné en cause d'appel sa demande tendant à l'annulation de la décision prononçant son changement d'affectation ;
- sur les conclusions indemnitaires de la requête :
. cette décision de changement d'affectation est légale : elle a été prise dans l'intérêt du service et à la demande de M. A... ;
. M. A... n'établit pas la réalité des préjudices qu'il allègue.
Par une ordonnance du 22 mars 2023, la clôture de l'instruction, initialement fixée au 23 février puis au 23 mars 2023, a été reportée, en dernier lieu, au 21 avril 2023, à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lombart,
- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,
- et les observations de Me Lucchini, représentant M. A..., et Me Cezilly, substituant Me Urien, représentant le département des Bouches-du-Rhône.
Une note en délibéré présentée pour le département des Bouches-du-Rhône, par
Me Urien, a été enregistrée le 4 décembre 2023.
Considérant ce qui suit :
1. Technicien territorial principal de 1ère classe, M. A... a intégré les services du département des Bouches-du-Rhône le 8 mars 2012 en tant que chef du centre d'exploitation de Saint-Andiol, rattaché à la direction des routes et des ports. Le 21 mars 2018, M. A... a été informé oralement qu'il allait être affecté au centre d'exploitation de Saint-Rémy-de-Provence. Par un courrier du 20 novembre 2019, M. A... a alors, d'une part, formé un recours gracieux contre cette décision portant changement d'affectation et a, d'autre part, demandé à la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône de l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir consécutivement subis. Sans réponse de cette dernière, M. A... a saisi le tribunal administratif de Marseille d'un recours tendant à l'annulation de cette décision orale du 21 mars 2018 et de la décision implicite portant rejet de son recours gracieux, et à la condamnation du département des Bouches-du-Rhône à lui verser la somme de 14 624 euros en réparation de ses préjudices. Dans la présente instance, M. A... relève appel du jugement du 24 février 2022 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté ce recours.
Sur l'étendue des conclusions de la requête de M. A... :
2. Quoique M. A... demande à la Cour l'annulation de l'entier jugement rendu le 24 février 2022 par le tribunal administratif de Marseille et qu'il soutient, sans davantage de précisions qu'" en rejetant l'intégralité de [se]s demandes ", cette juridiction a entaché sa décision d'une dénaturation des pièces du dossier et d'une erreur d'appréciation, il ne conteste pas, dans ses écritures, le rejet comme irrecevables des conclusions qu'ils avaient présentées devant les premiers juges tendant à l'annulation de la décision orale du 21 mars 2018 et de la décision implicite de rejet née du silence gardé par la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône sur son recours gracieux formé le 20 novembre 2019 et, au surplus, il ne reprend pas ces conclusions en cause d'appel. Ses écritures ne mettent en cause le jugement attaqué qu'en tant qu'il a statué sur ses conclusions indemnitaires. Comme le fait valoir le département intimé, l'appelant doit dès lors être regardé comme demandant l'annulation de cette décision juridictionnelle dans cette seule mesure.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué en tant qu'il rejette les conclusions indemnitaires présentées par M. A... :
En ce qui concerne l'infliction alléguée d'une sanction disciplinaire déguisée :
3. Si une nouvelle affectation entraîne une modification de la situation de l'intéressé, elle prend le caractère d'une mutation. La mutation dans l'intérêt du service revêt le caractère d'une mesure disciplinaire déguisée lorsque, tout à la fois, il en résulte une dégradation de la situation professionnelle de l'agent concerné et que la nature des faits qui ont justifié la mesure et l'intention poursuivie par l'administration révèlent une volonté de sanctionner cet agent.
4. Il résulte de l'instruction qu'à la fin de l'année 2017, les services du département des Bouches-du-Rhône ont procédé à un contrôle aléatoire et ponctuel des activités du centre d'exploitation de Saint-Andiol dont M. A... était alors le chef. Ce contrôle a révélé des anomalies dans le traitement de certaines opérations comptables afférentes à la passation de marchés publics. Les services ont alors diligenté un contrôle exhaustif de l'exercice 2017 ainsi qu'une enquête administrative à l'issue desquels il est apparu que plusieurs dossiers traités comportaient des irrégularités. A cette occasion, il a été relevé des manquements de M. A... à sa mission de contrôle. Il résulte également de l'instruction que M. A... a expressément reconnu ses lacunes et son manque de rigueur dans l'exercice de ses missions tout comme l'existence d'un climat de tensions existant au sein du centre d'exploitation de Saint-Andiol. A ce titre,
par un courrier du 15 février 2018 adressé à sa hiérarchie, M. A... a signalé des faits de harcèlement moral à son encontre et il a lui-même proposé d'être affecté sur un autre poste.
Le 23 février 2018, le médecin de prévention a également préconisé sa mobilité. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que M. A... ne pouvait, comme il l'a ainsi lui-même reconnu, poursuivre ses missions au poste de chef du centre d'exploitation de Saint-Andiol et que sa mutation avait pour but de répondre à cette situation. Si les griefs retenus à l'encontre de
M. A... ont également donné lieu à l'engagement d'une procédure disciplinaire à l'issue de laquelle aucune sanction ne lui a été infligée et que le département des Bouches-du-Rhône ne donne aucune précision sur le sort de la plainte qu'il a déposée, le 5 septembre 2018, contre
lui pour faux en écriture publique, ces circonstances ne révèlent pas que la mutation en cause aurait eu pour finalité de sanctionner ce dernier. Il résulte d'ailleurs de l'instruction, et M. A... l'indique lui-même dans ses écritures, que l'autorité administrative a, tout en poursuivant ses investigations, persisté à vouloir le sanctionner, postérieurement à la réunion du conseil de discipline, le 5 mars 2019, alors même que sa mutation était alors intervenue depuis presque une année. Ainsi, dans son rapport circonstancié complémentaire du 3 mai 2019, le directeur des routes et des ports confirme sa volonté de voir l'appelant se voir infliger " une sanction,
a minima, du deuxième groupe ". Dans ces conditions, alors même qu'elle a été décidée pour des motifs tenant au comportement de l'intéressé et qu'elle porte atteinte à sa situation professionnelle, la mutation d'office de M. A..., prononcée dans l'intérêt du service, ne présente pas le caractère d'une sanction disciplinaire déguisée. La décision du 21 mars 2018 n'est ainsi entachée d'aucune illégalité au titre d'un vice de procédure, d'une erreur de droit ou d'un détournement de pouvoir. Par suite, en l'absence d'illégalité fautive, M. A... n'est pas fondé à rechercher la responsabilité pour faute du département des Bouches-du-Rhône sur ce fondement.
En ce qui concerne le harcèlement moral allégué :
5. Aux termes des dispositions de l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique, anciennement contenues au premier alinéa de l'article 6 quinquiès de la loi susvisée du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun agent public ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. "
6. D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
7. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé (Conseil d'Etat, Section, 11 juillet 2011, n° 321225, A).
8. M. A... soutient également que la mutation dont il a fait l'objet est constitutive d'un harcèlement moral ayant conduit à une dégradation de ses conditions de travail et à une véritable " mise au placard ". Si, ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges, sa nouvelle affectation au sein du centre d'exploitation de Saint-Rémy-de-Provence a effectivement entraîné une perte de responsabilité ainsi qu'une diminution sensible de sa rémunération en raison de la perte des astreintes qu'il réalisait jusqu'alors, il ne résulte pas de l'instruction qu'un poste équivalent à celui de chef de centre ou plus proche de son domicile personnel était alors vacant. Si M. A... affirme ne plus avoir eu de responsabilités, ni de travail effectif, il ne résulte pas davantage de l'instruction qu'il ait été dépourvu de toutes missions dans son nouveau poste.
En effet, bien que, pour très regrettable que soit la circonstance qu'il ne se soit pas vu délivrer de fiche de poste, l'appelant justifiait lui-même sa demande de réouverture de son compte numérique et de renouvellement de son badge présentée le 13 juin 2019 par le " fait inacceptable qu'un agent qui effectue des tâches au quotidien ne puisse disposer d'un compte numérique ".
A ce sujet, dans son rapport de saisine du conseil de discipline, la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône rappelait que M. A... avait fait l'objet d'une mesure de déplacement, " avec suppression d'accès informatique ". Si M. A... y décèle une volonté de lui nuire et de l'humilier, il apparaît, à la lecture des pièces du dossier, que cette suppression avait été décidée, pour reprendre les mots de l'appelant dans son courrier du 13 juin 2019, pour les besoins des " investigations [menées] par les agents de la cellule spécialisée. " La circonstance que son administration ait tardé à remplacer sa badgeuse qui était pourtant abîmée ne saurait laisser présumer à lui seul l'existence de faits de harcèlement moral. Il en est de même de la circonstance que son badge d'accès aurait été temporairement invalidé le 25 mars 2019 et que son téléphone professionnel aurait cessé de fonctionner en mai 2019. Si M. A... affirme encore qu'il n'avait pas " vraiment " de bureau personnel au sein du centre d'exploitation de
Saint-Rémy-de-Provence, il n'établit pas qu'il aurait ainsi été volontairement isolé ou empêché de mener à bien ses missions. Au demeurant, M. A... n'allègue pas que ses supérieurs hiérarchiques auraient usé de propos désobligeants et incorrects à son encontre, ni qu'ils auraient excédé l'exercice normal de leur pouvoir hiérarchique, dans le cadre de leurs relations professionnelles. Par ailleurs, M. A... ne peut utilement reprocher à son administration de l'avoir privé de son véhicule de fonction au seul prétexte " qu'il entrait bien dans ses attributions de chef de centre " ou encore de lui avoir retiré ses astreintes " qu'il avait l'habitude de réaliser dans le cadre de ses missions de chef de centre " dès lors qu'il est constant qu'il n'était précisément plus chef de centre et qu'il ne justifie pas que ses nouvelles fonctions auraient nécessité un véhicule de service, ni qu'il aurait été en mesure de réaliser des astreintes, malgré la distance, dont il se plaint également, entre son domicile et son lieu de travail.
9. En outre, ainsi qu'il a été dit ci-dessus au point 4 du présent arrêt, la mutation d'office litigieuse a été décidée à raison des manquements professionnels de l'appelant et du climat de tensions existant au sein du centre d'exploitation de Saint-Andiol qui mettaient en cause le bon fonctionnement du service.
10. Enfin, si M. A... a été placé en arrêt de travail du 15 février au 20 mars 2018 et du 12 mars au 10 mai 2020 pour des troubles anxiodépressifs, au demeurant qualifiés, dans un certificat médical du 3 décembre 2021, de " mineurs ", ces circonstances, sans autre précision, ne sont pas suffisantes pour établir la réalité des faits de harcèlement moral dont il fait état.
11. Il s'ensuit que l'appelant n'apporte pas d'éléments précis et concordants de nature à faire présumer l'existence d'agissements constitutifs de harcèlement moral à son encontre. Dans ces conditions, il n'est pas fondé à solliciter l'engagement de la responsabilité du département des Bouches-du-Rhône au titre de tels agissements.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué du 24 février 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté, au fond et sans examiner la fin de non-recevoir opposée devant eux par le département des Bouches-du-Rhône, ses conclusions indemnitaires.
Sur les frais liés au litige :
13. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. "
14. D'une part, ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge du département des Bouches-du-Rhône, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une quelconque somme au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.
15. D'autre part, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement de ces mêmes dispositions par le département des Bouches-du-Rhône.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le département des Bouches-du-Rhône tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au département des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2023, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Lombart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2023.
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No 22MA01156