Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner la ville de Paris à lui verser la somme d'un million d'euros en réparation du préjudice moral subi du fait de la crémation du corps de sa mère, sans l'en avoir informé au préalable.
Par un jugement n° 2005593/4-2 du 25 avril 2022, le tribunal administratif de Paris a partiellement fait droit à sa demande en condamnant la ville de Paris à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 juin 2022 et 22 mai 2023, la ville de Paris, représentée par Me Falala, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Paris du 25 avril 2022 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris ;
3°) de mettre à la charge de M. B... le versement d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
-aucun texte législatif ou réglementaire ne prévoit de formalités particulières avant de procéder à l'exhumation, qui peut être réalisée à l'issue du délai minimal de cinq ans fixé par les dispositions des articles L. 2223-4 et R. 2223-5 du code général des collectivités territoriales, puis à une nouvelle inhumation ou à une crémation ;
-en tout état de cause, elle n'a commis aucune faute dans la mesure où elle avait informé M. B... de ce que le caveau de sa mère serait repris dès la sixième année suivant l'inhumation ;
-chaque année, elle publie, avant la Toussaint, dans le bulletin municipal un arrêté rappelant la liste des terrains communs arrivant à expiration, qu'elle affiche parallèlement dans les cimetières et dans les mairies d'arrondissement ;
-la présence d'une étoile de David sur le cercueil de la défunte n'était pas à elle seule de nature à établir que celle-ci était opposée à la crémation de son corps ainsi qu'à la dispersion de ses cendres ;
-en tout état de cause, seule la responsabilité de la société délégataire de la ville de Paris pouvait être engagée.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 28 avril et 23 juin 2023, M. B..., représenté par Me Mairesse, demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête de la ville de Paris ;
2°) par la voie de l'appel incident, de porter à un million d'euros le montant de l'indemnité accordée par le jugement du tribunal administratif ;
3°) de mettre à la charge de la ville de Paris une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
-la requête d'appel de la ville de Paris a été présentée tardivement au regard du délai de deux mois prévu à l'article R. 811-2 du code de justice administrative ;
-la ville de Paris a commis une faute en ne l'informant pas, alors qu'elle disposait de ses coordonnées, de ce qu'elle allait procéder à l'incinération du corps de sa mère, après son exhumation à l'issue du délai de " rotation " de cinq ans fixé par les dispositions de l'article R. 2223-5 du code général des collectivités territoriales ;
-la présence de l'étoile de David aurait dû l'alerter quant à la volonté ou non de la défunte d'être incinérée ;
-cette faute lui a causé un grave préjudice moral ;
-ce préjudice doit être indemnisé à hauteur de 1 000 000 euros.
Par une décision du 28 février 2023, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a accordé à M. B... l'aide juridictionnelle totale.
Par une ordonnance du 26 juin 2023, la clôture de l'instruction a été, en dernier lieu, reportée au 24 juillet 2023 à 12h00.
Un mémoire a été présenté pour la ville de Paris le 24 juillet 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- l'arrêté municipal du 1er juin 2005 portant règlement des cimetières de la ville de Paris ;
- l'arrêté du 29 juillet 2016 portant reprise des sépultures dans les cimetières de la ville de Paris dont la durée expirait dans le courant de l'année 2017 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme d'Argenlieu,
- les conclusions de Mme Naudin, rapporteure publique,
- les observations de Me Gorse, pour la ville de Paris,
- et les observations de M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., décédée à Paris le 13 février 2012, a été inhumée au terrain commun du cimetière de Thiais. Le 29 mars 2017, il a été procédé à l'exhumation de son corps, puis à sa crémation et à la dispersion de ses cendres. Par une lettre du 13 juin 2019, M. B..., fils de Mme A..., a adressé à la ville de Paris un recours préalable tendant à la réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subi du fait des fautes commises par la maire de Paris dans l'exercice de ses pouvoirs de police des funérailles et des cimetières. Le silence gardé sur cette demande a fait naître une décision implicite de rejet. Par un jugement du 25 avril 2022, dont la ville de Paris relève appel, le tribunal administratif de Paris a partiellement fait droit à la demande de M. B... en la condamnant à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral.
Sur la fin de non-recevoir soulevée par M. B... :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 à R. 751-4-1 ". Il ressort du dossier de première instance que le jugement du tribunal administratif de Paris du 25 avril 2022 a été notifié à la ville de Paris le 26 avril 2022. Le délai d'appel étant un délai franc, il a commencé à courir le 27 avril 2022, lendemain de la date de son déclenchement. Il n'était donc pas venu à expiration le 27 juin 2022, date à laquelle la requête de la ville de Paris a été enregistrée.
Sur la responsabilité de la ville de Paris :
3. D'une part, aux termes de l'article L. 2213-8 du code général des collectivités territoriales : " Le maire assure la police des funérailles et des cimetières ". L'article L. 2213-9 du même code précise : " Sont soumis au pouvoir de police du maire (...) les inhumations et les exhumations, sans qu'il soit permis d'établir des distinctions ou des prescriptions particulières à raison des croyances ou du culte du défunt ou des circonstances qui ont accompagné sa mort ". L'article L. 2223-4 de ce code dispose que : " Un arrêté du maire affecte à perpétuité, dans le cimetière, un ossuaire aménagé où les restes exhumés sont aussitôt réinhumés. Le maire peut également faire procéder à la crémation des restes exhumés en l'absence d'opposition connue ou attestée du défunt. Les restes des personnes qui avaient manifesté leur opposition à la crémation sont distingués au sein de l'ossuaire ". Aux termes de l'article R. 2223-5 du même code : " L'ouverture des fosses pour de nouvelles sépultures n'a lieu que de cinq années en cinq années ".
4. D'autre part, aux termes de l'article 15 de l'arrêté municipal du 1er juin 2005 portant règlement général des cimetières de la ville de Paris : " les personnes décédées pour lesquelles il n'a pas été acquis de concessions funéraires sont inhumées pour cinq années non renouvelables, au Cimetière parisien de Thiais. Ces inhumations sont effectuées à titre gratuit en terrains communs dans des caveaux individuels appartenant à la Ville de Paris ". Aux termes de l'article 28 de cet arrêté : " La Mairie de Paris doit mettre gratuitement à disposition de toute personne décédée remplissant les conditions indiquées à l'article 10, un emplacement d'inhumation non renouvelable pour une durée de cinq ans. Ces inhumations sont effectuées dans les caveaux individuels du cimetière parisien de Thiais appartenant à la Ville de Paris ". Aux termes de l'article 42 de ce même arrêté : " La reprise des caveaux individuels utilisés pour les inhumations à titre gratuit est réalisée dès la sixième année qui suit l'inhumation (...) ". Aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 29 juillet 2016 portant reprise des sépultures dans les cimetières de la ville de Paris dont la durée expire en 2017: " A compter du 1er janvier 2017, les sépultures en terrain commun accordées gratuitement pour une durée de cinq ans entre le 1er janvier et le 31 décembre 2012 au cimetière parisien de Thiais sont reprises par l'administration. "
5. Il résulte de ces dispositions qu'à l'issue des cinq années non renouvelables prévues par les dispositions citées aux points 2 et 3, en dehors des concessions funéraires, le maire peut, une fois le corps exhumé, procéder à sa crémation en l'absence d'opposition connue ou attestée du défunt. Toutefois, aucune disposition législative ou règlementaire ne lui impose d'en informer au préalable la famille.
6. Il s'ensuit que la ville de Paris n'était pas tenue de porter à la connaissance de M. B... les conditions de prise en charge du corps de sa mère une fois exhumé, avant qu'il ne soit procédé à sa crémation. La maire de Paris est donc fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont retenu la responsabilité de la ville pour n'avoir pas fourni une telle information à l'intéressé.
7. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige, par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par M. B... devant le tribunal et la Cour.
8. M. B... soutient que la présence d'une étoile de David sur le cercueil de sa mère faisait obstacle à ce qu'il soit procédé à la crémation du corps. Toutefois, cette circonstance n'était pas, à elle seule, de nature à établir que Mme A... y était opposée. Par suite, la ville de Paris, en l'absence d'opposition connue ou attestée de la défunte, n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 2223-4 du code général des collectivités territoriales, citées au point 2, en procédant à la crémation de son corps et n'a donc commis aucune faute à ce titre.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la maire de Paris est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a fait partiellement droit à la demande de M. B.... Dès lors, il y a lieu d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris, ainsi que ses conclusions présentées devant la Cour à titre incident.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la ville de Paris, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la ville de Paris sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2005593/4-2 du tribunal administratif de Paris du 25 avril 2022 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Paris et ses conclusions présentées devant la Cour sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par la ville de Paris en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la ville de Paris et à M. C... B....
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Niollet, président,
- M. Pages, premier conseiller,
- Mme d'Argenlieu, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 décembre 2023.
La rapporteure,
L. d'ARGENLIEULe président,
J-C. NIOLLET
La greffière,
Z. SAADAOUI
La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA02945