Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du 19 octobre 2021 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours ; d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande de titre de séjour.
Par un jugement n° 2106160 du 24 février 2022, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 26 décembre 2022, Mme C..., représentée par Me Hmad, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 24 février 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 19 octobre 2021 du préfet des Alpes-Maritimes ;
3°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- l'arrêté préfectoral est entaché d'une erreur de droit dès lors que le préfet s'est estimé en situation de compétence liée par rapport à l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;
- il méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle justifie de l'impossibilité de bénéficier des soins appropriés dans son pays d'origine ;
- le tribunal a commis une erreur manifeste d'appréciation eu égard à l'aggravation de son état de santé, à l'absence de soins adaptés dans son pays d'origine et aux conséquences de la décision sur sa situation personnelle ;
- les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues.
La requête a été transmise au préfet des Alpes-Maritimes qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par une ordonnance du 25 mai 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 26 juin 2023.
Mme C... a été admise à l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 septembre 2022 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Danveau.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante tunisienne née le 21 juin 1975, relève appel du jugement du 24 février 2022 du tribunal administratif de Nice ayant rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du 19 octobre 2021 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, a pris à son encontre une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'État. / Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'Office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. / Si le collège de médecins estime dans son avis que les conditions précitées sont réunies, l'autorité administrative ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée. (...) ".
3. Pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.
4. Pour refuser à Mme C... la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade, le préfet des Alpes-Maritimes s'est notamment fondé sur l'avis du collège de médecins de l'OFII du 10 septembre 2021 qui a estimé que l'état de santé de Mme C... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut serait susceptible d'entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais qu'elle pouvait bénéficier d'un traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine vers lequel elle pouvait voyager sans risque. Il ressort des pièces du dossier, notamment des divers certificats médicaux produits, que Mme C... a été traitée en 2017 pour un cancer de l'ovaire, lequel a récidivé en septembre 2021. Elle souffre également d'un syndrome anxio-dépressif réactionnel à sa néoplasie ovarienne ainsi que d'un cancer du sein gauche, diagnostiqué en septembre 2021, traité par chirurgie et radiothérapie adjuvante. La requérante soutient, s'agissant de son cancer de l'ovaire en récidive ganglionnaire, que le protocole thérapeutique mis en place par le centre régional de lutte contre le cancer " Antoine Lacassagne " et consistant en une chimiothérapie par carboplatine et Caelyx ne peut être suivi en Tunisie, dès lors que le médicament Caelyx n'est pas disponible en Tunisie. Elle produit à cet effet une attestation du 14 janvier 2022 d'un médecin spécialisé en carcinologie du centre médical Khaldoun en Tunisie, indiquant que la molécule de chimiothérapie Caelyx ne bénéficie pas à ce jour d'une autorisation de mise sur le marché en Tunisie. Elle se prévaut également d'un certificat médical établi le 4 avril 2022 par le centre " Antoine Lacassagne ", mentionnant qu'elle ne peut bénéficier d'une prise en charge adaptée à son état de santé dans son pays d'origine. Dans ces conditions, et en l'absence de défense du préfet qui s'est borné en première instance à produire, en réponse à une mesure d'instruction, l'avis du collège des médecins de l'OFII, les éléments produits par Mme C... sont de nature à remettre en cause l'appréciation de l'administration en ce qui concerne l'existence d'un traitement approprié en Tunisie. Par suite, Mme C... est fondée à soutenir qu'en refusant de lui délivrer le titre de séjour demandé, le préfet des Alpes-Maritimes a commis une erreur d'appréciation.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande. Elle est dès lors fondée à demander l'annulation de ce jugement ainsi que celle de la décision du préfet des Alpes-Maritimes du 19 octobre 2021.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, en l'absence d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, la délivrance à Mme C... d'un titre de séjour d'un an portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de lui délivrer ce titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer immédiatement, dans l'attente de ce titre, en application de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 15 jours à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais de l'instance :
7. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Hmad, avocat de Mme C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Hmad de la somme de 1 500 euros.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2106160 du 24 février 2022 du tribunal administratif de Nice et l'arrêté du 19 octobre 2021 du préfet des Alpes-Maritimes sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Alpes-Maritimes de délivrer à Mme C... un titre de séjour d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Hmad, avocat de Mme C..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que son conseil renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... épouse C..., à Me Hmad et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes.
Délibéré après l'audience du 23 novembre 2023, où siégeaient :
- Mme Fedi, présidente de chambre,
- Mme Rigaud, présidente assesseure,
- M. Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 décembre 2023.
N° 22MA03154 2
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