Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 7 septembre 2020 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité départementale de la Seine-Saint-Denis a autorisé la société La Romainville à la licencier pour inaptitude.
Par un jugement n° 2012127 du 25 avril 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 23 juin 2022 et des mémoires enregistrés les 25 mai 2023 et 5 juillet 2023, Mme A... représentée par Me Bongrand, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2012127 du 25 avril 2022 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) d'annuler la décision du 7 septembre 2020 de l'inspectrice du travail de la 2ème section de l'unité de contrôle n°3 du département de la Seine-Saint-Denis ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a été privée de la garantie tenant à l'accès à l'ensemble des pièces produites par l'employeur dans le cadre de l'enquête contradictoire telle que rappelée par la décision du Conseil d'Etat du 19 juillet 2017 N°389635, faute d'avoir eu accès à l'ensemble des pièces produites par son employeur au soutien de sa demande d'autorisation de licenciement ;
- la consultation du comité social et économique est irrégulière.
Par des mémoires en défense enregistrés les 24 novembre 2022, 15 juin 2023 et 24 juillet 2023, la société La Romainville représentée par Me Philippart, conclut au rejet de la requête et à ce que Mme A... lui verse une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, lequel, en dépit d'une mise-en-demeure, n'a pas conclu.
Par une ordonnance du 5 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 28 septembre à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Jayer,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bongrand, représentant Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Le 25 mars 1985, Mme A... a été recrutée par la société (SAS) La Romainville -spécialisée dans la pâtisserie industrielle- en qualité d'ouvrière pâtissière. Elle y a détenu les mandats de conseiller du salarié et de membre titulaire du comité social et économique jusqu'à sa démission, le 14 avril 2020. Placée en arrêt de travail à la suite d'un accident du travail survenu le 9 septembre 2015, à l'issue de la visite de reprise le 10 mars 2020, la médecin du travail l'a déclarée inapte et a demandé la réalisation d'une étude de poste. Le 10 mars suivant, à l'issue de cette étude, la médecin du travail a déclaré la salariée inapte à son poste, sans possibilité de reclassement et de formation. En réponse à la demande adressée par l'employeur, l'inspection du travail a autorisé le licenciement de la salariée le 7 septembre 2020. Mme A... relève appel du jugement du 25 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.
Sur l'acquiescement aux faits :
2. Aux termes de l'article R. 612-6 du code de justice administrative : " Si, malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n'a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant ". Si, lorsque le défendeur n'a produit aucun mémoire, le juge administratif n'est pas tenu de procéder à une telle mise en demeure avant de statuer, il doit, s'il y procède, en tirer toutes les conséquences de droit et il lui appartient seulement, lorsque les dispositions précitées sont applicables, de vérifier que l'inexactitude matérielle des faits exposés dans les mémoires du requérant ne ressort d'aucune pièce du dossier.
3. En l'espèce, malgré la mise en demeure de produire des observations en réponse à la requête qui lui a été adressée le 1er septembre 2022, le ministre du travail, qui n'a pas défendu devant le tribunal, n'a pas produit de mémoire en défense. Il est ainsi réputé avoir acquiescé aux faits exposés par Mme A... dans ses écritures, sous réserve que leur inexactitude ne ressorte pas des pièces des dossiers.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. Aux termes des dispositions des articles R. 2421-4 et R. 2421-11 du code du travail : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat ".
5. Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions mentionnées ci-dessus impose à l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, quel que soit le motif de la demande, de mettre à même le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, dans des conditions et des délais lui permettant de présenter utilement des observations, sans que la circonstance que le salarié est susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation qui constitue une garantie pour le salarié. Il n'impose pas à l'administration toutefois de communiquer, de sa propre initiative ou dans tous les cas, l'ensemble de ces pièces et éléments à l'employeur et au salarié.
6. Mme A..., en se référant dans sa requête à la décision du Conseil d'Etat Société GSMC Innovation du 19 juillet 2017 n°389635, doit être regardée comme se prévalant de ce qu'elle n'a pas été mise à même de prendre connaissance des pièces produites par la société (SAS) La Romainville à l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement pour inaptitude du 13 juillet 2020, à savoir la demande d'autorisation de licenciement et le procès-verbal du comité social et économique (CSE) du 2 juillet 2020. Il ne ressort pas des pièces du dossier que ces pièces ont été communiquées à la salariée ni que celle-ci aurait été informée de son droit à en demander la communication, une telle preuve ne pouvant valablement être établie, contrairement à ce que soutient l'employeur, par la seule circonstance que, dans la lettre de convocation à l'enquête adressée à ce dernier par l'inspectrice du travail le 22 juillet 2020, figure la mention selon laquelle ces deux pièces auraient également été adressées à Mme A.... Dans ces conditions, l'administration devant être regardée comme ayant acquiescé aux faits ainsi qu'il a été dit au point 3, la requérante est fondée à soutenir que le caractère contradictoire de l'enquête prévue par l'article R. 2421-11 du code du travail a été méconnu.
7. Contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, cette irrégularité a privé l'intéressée de la garantie tenant à l'accès, dans le cadre de l'enquête contradictoire prévue par les articles R. 2421-4 et R. 2421-11 du code du travail, à l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement, dans des conditions et des délais permettant de présenter utilement sa défense. Il s'ensuit que la décision du 7 septembre 2020 de l'inspectrice du travail a été prise au terme d'une procédure irrégulière et qu'elle doit, pour ce motif, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de la requête, être annulée.
Sur les frais liés au litige :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que la société La Romainville demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme A... au titre de ces mêmes frais.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2012127 du 25 avril 2022 du tribunal administratif de Montreuil et la décision du 7 septembre 2020 de l'inspectrice du travail de la 2ème section de l'unité de contrôle n°3 du département de la Seine-Saint-Denis sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à Mme A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de la société La Romainville tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à la société La Romainville.
Copie sera adressée au directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Île-de-France.
Délibéré après l'audience du 20 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente,
- M. Ho Si Fat, président assesseur,
- Mme Jayer, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 décembre 2023.
La rapporteure,
M-D JAYERLa présidente,
A. MENASSEYRE
La greffière,
N. COUTY
La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 22PA02914