Vu les procédures suivantes :
Procédure contentieuse antérieure :
Sous le n° 2104929, M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble l'annulation des décisions du 24 juin 2021 par lesquelles le préfet de la Haute-Savoie a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français, a fixé à trente jours le délai de départ volontaire et a désigné le pays de renvoi.
Sous le n° 2104930, Mme B... A... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble l'annulation de décisions du 24 juin 2021 par lesquelles le préfet de la Haute-Savoie a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français, a fixé à trente jours le délai de départ volontaire et a désigné le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2104929-2104930 du 17 novembre 2021, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ces demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 18 décembre 2021 sous le n° 21LY04164, M. D... C... et Mme B... A... épouse C..., représentés par Me Joie, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2104929-2104930 du 17 novembre 2021 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions du préfet de la Haute-Savoie du 24 juin 2021 leur refusant la délivrance d'un titre de séjour, leur faisant obligation de quitter le territoire français, fixant à trente jours le délai de départ volontaire et désignant le pays de renvoi ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie de leur délivrer à chacun un titre de séjour, dans le délai de trente jours suivant la notification de l'arrêt à venir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de procéder au réexamen de leur situation et de leur délivrer à chacun une autorisation provisoire de séjour, dans le délai de sept jours suivant la notification de l'arrêt à venir et sous la même astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. et Mme C... soutiennent que :
* le jugement attaqué est insuffisamment motivé au regard des pièces justificatives qu'ils avaient versées à leurs dossiers, que le tribunal a par ailleurs dénaturées ;
* les décisions de refus de séjour ont été prises en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles du 5) de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
* le préfet, dans l'exercice de son pouvoir de régularisation, n'a pas suffisamment motivé le refus de séjour opposé à M. C... dont il n'a pas examiné la situation professionnelle et il a entaché ses décisions portant refus de séjour d'une erreur manifeste d'appréciation ;
* les décisions portant obligation de quitter le territoire français méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, celles du 5) de l'article 6 de l'accord franco-algérien et celles de l'article 3, 1) de la convention relative aux droits de l'enfant, et sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
* la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, modifiée, conclue à Rome le 4 novembre 1950 ;
* la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
* l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire, relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles, complété par un protocole, deux échanges de lettres et une annexe, modifié, signé à Alger le 27 décembre 1968 ;
* le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
* le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique du 20 novembre 2023, le rapport de M. Gros, premier conseiller.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... C..., ressortissant algérien né le 30 novembre 1975, est entré en France le 31 mars 2013 sous couvert d'un visa de court séjour. Son épouse, Mme B... C..., née le 26 février 1979, est régulièrement entrée en France, le 5 mai 2013. L'un et l'autre ont fait l'objet de mesures d'éloignement prises par le préfet de la Haute-Savoie, respectivement le 1er avril 2016 et le 4 juin 2018, cette dernière mesure assortissant un refus de séjour. Ultérieurement, les époux C... ont sollicité chacun leur admission exceptionnelle au séjour. Le préfet de la Haute-Savoie leur a opposé des refus et prononcé à leur encontre de nouvelles décisions portant obligation de quitter le territoire français, fixation du délai de départ volontaire et désignation du pays de destination. Le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes d'annulations de ces dernières décisions prises le 24 juin 2021. M. et Mme C... relèvent appel de ce jugement du 17 novembre 2021.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Il est disposé par l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui a repris les dispositions de son ancien article L. 313-14, que " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié", "travailleur temporaire" ou "vie privée et familiale", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 ". Cet article, dès lors qu'il est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France, ne s'applique pas aux ressortissants algériens, dont la situation est régie de manière exclusive par l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Cependant, bien que cet accord ne prévoit pas de semblables modalités d'admission exceptionnelle au séjour, un préfet peut délivrer un certificat de résidence à un ressortissant algérien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée la délivrance de plein droit d'un tel titre. Il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.
3. Lorsque le préfet exerce son pouvoir de régularisation à l'égard d'un ressortissant algérien dont le droit au séjour est régi par les stipulations de l'accord franco-algérien, il examine la situation de l'intéressé sur la base de critères liés non seulement à sa vie privée et familiale, mais aussi à tous autres éléments relatifs à sa situation, notamment médicale ou professionnelle, dans des conditions équivalentes à celles qui prévalent pour l'examen d'une demande d'admission exceptionnelle au séjour sur le fondement des dispositions visées ci-dessus du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. Il ressort des pièces du dossier que la demande de titre de séjour déposée le 8 septembre 2020 par M. C... était fondée sur l'ancien article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que le demandeur y faisait état, non seulement de sa situation familiale mais également de sa situation professionnelle, indiquant détenir un diplôme et une carte professionnelle algérienne de coiffeur barbier, travailler depuis son arrivée en France sous couvert de divers contrats, le dernier conclu à durée indéterminée, être déclaré à l'URSSAF et déclarer lui-même ses revenus. Les bulletins de paie produits par le requérant font en effet apparaître qu'il a été employé dès juin 2014 par la société " Etoile coiffure ", à Annecy, en qualité de coiffeur, à raison, majoritairement de quarante heures mensuelles, puis, de fin 2016 à juin 2021, pour une durée mensuelle de travail atteignant cent heures à l'été 2020, à Meythet, commune du département de la Haute-Savoie, par la société " Mim's coiffure ", dont le gérant avait formulé, le 31 août 2020, une demande d'autorisation de travail pour un emploi de coiffeur au profit de M. C.... Pourtant, dans l'arrêté en litige du 24 juin 2021 concernant ce ressortissant algérien, il n'est fait mention à aucun moment de la situation professionnelle de l'intéressé, le préfet de la Haute-Savoie, après avoir relevé que l'ancienneté de son séjour revendiquée par M. C... avait été acquise à la faveur d'une mesure d'éloignement non exécutée, se bornant à énoncer qu'il ne pouvait pas " être regardé comme justifiant de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels de nature à permettre la régularisation de sa situation ", puis, plus loin, que " la situation particulière de M. C... qui a fait l'objet d'une étude minutieuse, approfondie et circonstanciée - dans le cadre de l'exercice des pouvoirs discrétionnaires conférés à l'autorité préfectorale - ne justifie pas l'intervention d'une mesure gracieuse et dérogatoire en sa faveur ". Cette motivation, qui n'évoque en rien la situation professionnelle sur laquelle se fondait la demande de M. C..., révèle que l'autorité préfectorale n'a pas procédé à l'examen complet, que requerrait la mise en œuvre de son pouvoir de régularisation, de la situation de M. C..., défaut d'examen que ne démentent pas les pièces du dossier. Cette illégalité emporte l'annulation du refus de séjour opposé le 24 juin 2021 à M. C... et, par voie de conséquence, des décisions prises le même jour à son encontre, soit une obligation de quitter le territoire français avec délai de départ volontaire de trente jours et désignation d'un pays de renvoi.
5. Il ressort de l'instruction que les décisions du 24 juin 2021 concernant Mme C... ont été en l'espèce prises au vu et en raison des décisions du même jour concernant son mari. Dans ces conditions, les décisions refusant le séjour à Mme C..., lui faisant obligation de quitter le territoire français sous trente jours et désignant son pays de destination doivent être en l'espèce annulées par voie de conséquence de l'annulation des décisions identiques concernant M. C....
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité de ce jugement, que les époux C... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes. Ce jugement doit, dès lors, être annulé, comme les arrêtés en litige du 24 juin 2021.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
7. Le présent arrêt n'implique pas, compte tenu du motif d'annulation retenu, que le préfet de la Haute-Savoie délivre un titre de séjour à chacun des époux C.... En revanche, le présent arrêt implique nécessairement que cette autorité réexamine la demande des intéressés pour statuer sur leurs situations. Il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie d'y procéder dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de délivrer à M. C..., ainsi qu'à Mme C..., dans le délai d'un mois suivant cette même notification, une autorisation provisoire de séjour. Il n'y a en revanche pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par les requérants et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2104929-2104930 du 17 novembre 2021 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : Les décisions du 24 juin 2021 par lesquelles le préfet de la Haute-Savoie a refusé à M. D... C... et à Mme B... A... épouse C... la délivrance d'un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français, a fixé à trente jours le délai de départ volontaire et a désigné le pays de renvoi, sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Savoie de procéder au réexamen des demandes de titre de séjour de M. D... C... et de Mme B... A... épouse C... et de les munir chacun d'une autorisation provisoire de séjour, dans les délais respectifs de deux mois et d'un mois suivant la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'État versera aux époux C... une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C..., à Mme B... A... épouse C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie.
Délibéré après l'audience du 20 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Stillmunkes, président de la formation de jugement,
M. Gros, premier conseiller,
Mme Vergnaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2023.
Le rapporteur,
B. GrosLe président,
H. Stillmunkes
La greffière,
F. Abdillah
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 21LY04164