Vu les procédures suivantes :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association Plus de sons a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler le titre de perception d'un montant de 79 378,30 euros émis à son encontre par le préfet de police, le 5 mai 2020.
Par un jugement n° 2016767 du 2 juin 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 12 juillet 2022, l'association Plus de sons, représentée par Me Moyersoen, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 2 juin 2022 ;
2°) d'annuler le titre de perception d'un montant de 79 378,30 euros émis le 5 mai 2020 par le préfet de police à son encontre ;
3°) de la décharger du paiement de la somme de 79 378,30 euros ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article 4 du décret n° 97-199 du 5 mars 1997 qui font de la conclusion d'une convention la condition préalable à l'application du principe posé par l'article L. 211-11 du code de la sécurité intérieure ;
- le titre de perception qui ne mentionne pas les bases de la liquidation permettant de comprendre la somme globale de 79 378,30 euros est insuffisamment motivé ;
- le titre de perception, émis sur le fondement d'une instruction ministérielle du
15 mai 2018 entachée d'incompétence et d'erreur de droit au regard de l'article L. 211-11 du code de la sécurité intérieure, est dépourvu de base légale ;
- le montant du titre de perception est disproportionné au regard de l'arrêté du 28 octobre 2010, modifié par un arrêté du 24 décembre 2014.
Par un mémoire en défense enregistré le 24 août 2023, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le décret n° 97-199 du 5 mars 1997 ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bruston, rapporteure,
- et les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. L'association Plus de sons, qui a pour objet le développement et la promotion de la musique, dans le domaine du spectacle et de l'édition, organise depuis 2003 le festival " Rock en Seine ". Le 23 septembre 2019, le préfet de police lui a adressé une facture d'un montant de 79 378,30 euros, correspondant au remboursement des dépenses occasionnées par la mise en place d'un service d'ordre pour l'édition 2019 de ce festival qui s'est déroulée du 23 au 25 août 2019. Le 5 mai 2020, le préfet de police a émis à son encontre un titre de perception d'un montant de 79 378,30 euros, pour le recouvrement de cette somme. L'association relève appel du jugement du 2 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté son recours tendant à l'annulation de ce titre de perception et à la décharge de l'obligation de payer la somme correspondante.
2. Lorsque le requérant présente, outre des conclusions tendant à l'annulation d'un titre exécutoire, des conclusions aux fins de décharge de la somme correspondant à la créance de l'administration, il incombe au juge administratif d'examiner prioritairement les moyens mettant en cause le bien-fondé du titre qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de la décharge.
Sur le bien-fondé du titre de perception :
3. En premier lieu, d'une part, aux termes des dispositions de l'article L. 211-11 du code de la sécurité intérieure : " Les organisateurs de manifestations sportives, récréatives ou culturelles à but lucratif peuvent être tenus d'y assurer un service d'ordre lorsque leur objet ou leur importance le justifie. / Les personnes physiques ou morales pour le compte desquelles sont mis en place par les forces de police ou de gendarmerie des services d'ordre qui ne peuvent être rattachés aux obligations normales incombant à la puissance publique en matière de maintien de l'ordre sont tenues de rembourser à l'Etat les dépenses supplémentaires qu'il a supportées dans leur intérêt. Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application du présent article ". Ces dispositions sont relatives aux seuls services d'ordre qui, étant assurés dans l'intérêt de l'organisateur d'une manifestation, excèdent les besoins normaux de sécurité auxquels la collectivité est tenue de pourvoir dans l'intérêt général. Il résulte du premier alinéa de cet article que seuls les organisateurs de manifestations sportives, récréatives ou culturelles à but lucratif sont susceptibles de se voir imposer par l'autorité compétente de l'Etat la tenue d'un tel service d'ordre. En revanche, il résulte du second alinéa que toute personne physique ou morale pour le compte de laquelle un tel service d'ordre est assuré par les services de police ou de gendarmerie est tenue de rembourser à l'Etat les dépenses correspondantes.
4. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret du 5 mars 1997 : " Donnent lieu à remboursement à l'Etat les prestations suivantes exécutées par les forces de police et de gendarmerie dans les services d'ordre lorsqu'ils ne peuvent être rattachés aux obligations normales incombant à la puissance publique en matière de sécurité et d'ordre publics : 1° L'affectation et la mise à disposition d'agents ; 2° Le déplacement, l'emploi et la mise à disposition de véhicules, de matériels ou d'équipements ; 3° Les prestations d'escortes ". Aux termes de l'article 2 de ce décret : " Préalablement à l'exécution des prestations mentionnées à l'article 1er du présent décret, une convention est signée dans les conditions prévues à l'article 4 avec le bénéficiaire des prestations effectuées par les forces de police et de gendarmerie. Cette convention prévoit l'obligation pour le bénéficiaire de souscrire une assurance. Les garanties sont définies par arrêté du ministre de l'intérieur et doivent être reprises dans la convention susmentionnée ". Selon l'article 4 du même décret : " Les modalités d'exécution techniques et financières du concours apporté par les forces de police et de gendarmerie sont préalablement déterminées par une convention conclue entre le représentant de l'Etat et les bénéficiaires de ces prestations (...) ". Si ces dispositions prévoient que, lorsque l'organisateur d'une manifestation décide d'avoir recours aux forces de police ou de gendarmerie pour assurer un service d'ordre, les modalités d'exécution techniques et financières de ce concours sont déterminées par convention, elles ne font pas obstacle à ce qu'en l'absence d'une telle convention, des prestations de service d'ordre exécutées en raison des nécessités du maintien de l'ordre public par les forces de police et de gendarmerie qui sont directement imputables à l'événement et qui vont au-delà des besoins normaux de sécurité auxquels la collectivité est tenue de pourvoir soient mises à la charge de l'organisateur de la manifestation.
5. Il résulte de l'instruction que le festival " Rock en Seine " génère un afflux de spectateurs ou de véhicules de nature à créer une augmentation importante du trafic aux abords des sites et des troubles nécessitant la mise en place d'un service d'ordre et le remboursement à l'Etat des dépenses correspondant aux missions exercées dans son intérêt, qui excèdent les besoins normaux de sécurité auxquels la collectivité est tenue de pourvoir dans l'intérêt général. Par suite, l'association Plus de sons n'est pas fondée à soutenir que la somme qui lui est réclamée ne pouvait être mise à sa charge à défaut de convention signée en amont des prestations de service d'ordre facturées.
6. En deuxième lieu, si les requérants peuvent invoquer à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative l'illégalité dont serait entaché un règlement devenu définitif faute d'avoir été attaqué dans le délai du recours pour excès de pouvoir, un tel moyen ne peut être accueilli que dans la mesure ou la décision dont l'annulation est demandée constitue une mesure d'application des dispositions réglementaires dont l'illégalité est invoquée par voie d'exception et où sa légalité est subordonnée à celle de ces dispositions. Le titre exécutoire émis le 5 mai 2020 ne constitue pas une mesure d'application des dispositions de l'instruction du 15 mai 2018 dont la portée est essentiellement interprétative. Par suite, l'association requérante ne peut utilement soutenir que cette même instruction serait entachée d'un vice d'incompétence et d'une erreur de droit au regard de de l'article L. 211-11 du code de la sécurité intérieure.
7. En troisième lieu, il résulte des termes mêmes de l'article L. 211-11 du code de la sécurité intérieure que le législateur a prévu le remboursement, par les organisateurs de manifestations sportives, récréatives ou culturelles, de certaines dépenses qui ont été supportées par les services de police ou de gendarmerie pour mettre en place, dans l'intérêt de ces personnes privées, des services d'ordre à l'occasion des manifestations qu'elles organisent. La requérante, qui ne met pas en cause la conformité de ces dispositions à la Constitution par la voie d'une question prioritaire de constitutionnalité, ne saurait, par suite, utilement soutenir que l'instruction du 15 mai 2018, en ce qu'elle rappelle le principe de ce remboursement, méconnaîtrait les articles 12 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui prévoient l'entretien d'une force publique " par une contribution commune ".
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 28 octobre 2010, modifié par arrêté du 24 décembre 2014 : " Les montants des remboursements dus par les bénéficiaires des prestations exécutées par les forces de police et de gendarmerie prévus par l'article 3 du décret n° 97-199 du 5 mars 1997 susvisé et l'article 2 du décret n° 2008-252 du 12 mars 2008 susvisé sont calculés conformément au tableau ci-après ". Aux termes de l'article 2 du même arrêté : " [...] Pour les manifestations à but non lucratif ayant donné lieu à rémunération de services rendus par les forces de police et de gendarmerie antérieurement à l'entrée en vigueur du présent arrêté, le montant total des remboursements dus par les bénéficiaires des prestations, sauf circonstances particulières et à prestations équivalentes, ne peut excéder chaque année le montant total facturé au cours des douze derniers mois majoré de 20 % ". Il résulte d'une part, de ces dispositions que le montant des remboursements dus par les bénéficiaires des prestations exécutées par les forces de police est calculé selon le tableau reproduit dans l'arrêté. D'autre part, seules les manifestations à but non lucratif ayant donné lieu à rémunération de services rendus par les forces de police et de gendarmerie, antérieurement à l'entrée en vigueur de l'arrêté du 28 octobre 2010, peuvent bénéficier du bouclier tarifaire prévu par ce même article.
9. L'association requérante soutient d'une part que le bouclier tarifaire prévu par l'article 2 de l'arrêté du 28 octobre 2010, modifié par un arrêté du 24 décembre 2014, devrait lui être appliqué dès lors qu'elle organise le festival Rock en Seine depuis 2003. D'autre part, elle soutient que lors du même événement organisé les années précédentes, la facturation était deux fois moins élevée. Toutefois, d'une part, il résulte de l'instruction que l'association Plus de sons ne bénéficie de prestations exécutées par les forces de l'ordre et donnant lieu à remboursement que depuis l'édition 2013 du festival, soit postérieurement à l'entrée en vigueur de l'arrêté du 28 octobre 2010. D'autre part, le préfet de police a adressé le 23 septembre 2019 une facture détaillée faisant état de la mobilisation de 366 agents ainsi que des frais de mise à disposition de véhicules et de matériel pour un montant total de 79 378,30 euros, calculé conformément à l'article 1er de l'arrêté du 28 octobre 2010. En outre, l'association requérante ne démontre pas que les prestations facturées auraient été inutiles ou redondantes avec des prestations réalisées par ses soins. Par suite, l'association Plus de sons, qui ne peut utilement soutenir que l'article 2 de l'arrêté du 28 octobre 2010 devrait lui être appliqué, n'est pas fondée à soutenir que le montant du titre de perception serait disproportionné.
Sur la régularité du titre de perception :
10. Aux termes du deuxième alinéa de l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : " Toute créance liquidée faisant l'objet (...) d'un ordre de recouvrer indique les bases de la liquidation (...) ". Ainsi, tout état exécutoire doit indiquer les bases de la liquidation de la créance pour le recouvrement de laquelle il est émis et les éléments de calcul sur lesquels il se fonde, soit dans le titre lui-même, soit par référence précise à un document joint à l'état exécutoire ou précédemment adressé au débiteur.
11. Il résulte de l'instruction que le titre de perception émis le 5 mai 2020 mentionne la facture précédemment adressée à l'association Plus de sons, identifiée par son numéro d'émission et par son objet, ainsi que la date à laquelle elle a été émise et son montant. En outre, cette facture détaille précisément pour chaque chef de dépense, les quantités mobilisées, le prix unitaire par jour, le nombre de jours facturés et le montant total facturé. Par suite, l'association Plus de sons n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'aurait pas été régulièrement informée des bases et éléments de calcul de la somme mise à sa charge dans le titre de perception.
12. Il résulte de ce qui précède que l'association Plus de sons n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, la somme demandée par l'association Plus de sons au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de l'association Plus de sons est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à l'association Plus de sons
Copie en sera adressée au préfet de police de Paris.
Délibéré après l'audience du 24 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Heers, présidente de chambre
Mme Bruston, présidente assesseure,
Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2023.
La rapporteure,
S. BRUSTON
La présidente,
M. HEERS
La greffière,
O. BADOUX-GRARE
La République mande et ordonne au ministre d'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA03170