Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Lyon, d'une part, d'annuler les décisions du 12 septembre 2022 par lesquelles le préfet du Rhône lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de dix-huit mois et, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Rhône de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de procéder à l'effacement de son inscription dans le système d'information Schengen.
Par un jugement n° 2206938 du 5 décembre 2022, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a annulé les décisions du 12 septembre 2022 par lesquelles le préfet du Rhône a fait obligation à M. D... de quitter le territoire français, lui a refusé un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de dix-huit mois et enjoint à cette autorité de procéder au réexamen de la situation de l'intéressé dans un délai de deux mois, après lui avoir délivré une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 janvier 2023 le préfet du Rhône demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2206938 du 5 décembre 2022 du magistrat désigné par le tribunal administratif de Lyon ;
2°) de rejeter la demande de M. D....
Il soutient que :
- l'arrêté contesté a été signé par une autorité compétente ;
- les moyens soulevés par M. D... en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire défense enregistré le 16 novembre 2023, M. D..., représenté par Me Bechaux, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- c'est à juste titre que le tribunal a retenu le moyen tiré de l'incompétence compte tenu des éléments dont il disposait ;
- l'obligation de quitter le territoire français méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3, 1° de la convention relative aux droits de l'enfant ; elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- le refus de délai de départ volontaire est illégal en l'absence de menace établie pour l'ordre public et en l'absence de risque de fuite ;
- la fixation du pays de destination est illégale en conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français est illégale en conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français et du refus de délai de départ volontaire ; elle est disproportionnée dans son principe et au moins dans sa durée.
Par une décision du 1er mars 2023, M. D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, conclue à Rome le 4 novembre 1950 ;
- l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire, relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles, complété par un protocole, deux échanges de lettres et une annexe, modifié, signé à Alger le 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience, à laquelle elles n'étaient ni présentes ni représentées.
Le rapport de Mme Vergnaud, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant algérien né le 26 mai 1990, est entré en France en dernier lieu en mars 2021 selon ses déclarations. Par un arrêté du 12 septembre 2022, le préfet du Rhône l'a obligé à quitter le territoire français, lui a refusé le bénéfice d'un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de dix-huit mois. Par le jugement attaqué du 5 décembre 2022, dont le préfet du Rhône interjette appel, le magistrat désigné par le tribunal administratif de Lyon a annulé ces décisions et a enjoint au préfet de procéder au réexamen de la situation de M. D... dans un délai de deux mois et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 15 jours.
Sur le moyen d'annulation retenu par le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon :
2. Pour prononcer l'annulation de l'arrêté du 12 septembre 2022 par lequel le préfet du Rhône a obligé M. D... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de dix-huit mois, le magistrat désigné par le tribunal administratif de Lyon s'est fondé sur le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte attaqué, faute pour le préfet du Rhône d'avoir justifié que ce dernier avait qualité pour le signer.
3. Toutefois, le préfet du Rhône produit, pour la première fois en appel, une copie complète de l'arrêté du 12 septembre 2022, comportant la signature de Mme C... A..., ainsi qu'un arrêté du 8 juin 2022, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du 9 juin suivant, donnant délégation de signature à Mme A..., en qualité d'adjointe au chef du bureau de l'éloignement de la préfecture, à effet de signer les actes administratifs établis par le bureau de l'éloignement en cas d'absence ou d'empêchement de Madame E..., directrices des migrations et de l'intégration et de Madame F..., chef du bureau de l'éloignement. Le moyen tiré de ce que l'arrêté aurait été pris par une autorité incompétente doit ainsi être écarté. Par suite et compte tenu de ces nouveaux éléments produits en appel, c'est à tort que, pour annuler l'arrêté attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon s'est fondé sur ce motif.
4. Dès lors, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... tant en première instance qu'en appel.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
5. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de 1'article 3, 1° de la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
6. M. D... fait valoir qu'il a résidé en France de 2017 à 2020, période au cours de laquelle il a entamé une relation avec une ressortissante marocaine, qu'il est revenu en France en mars 2021 auprès de sa compagne alors enceinte, que depuis cette date, il réside en France avec sa compagne, leur fille née en France le 22 mai 2021 et le fils de sa compagne, né en mars 2011 d'une première union. Cependant, il ne conteste pas que sa demande d'asile ayant été rejetée par une décision de l'office français de protection des réfugiés et des apatrides le 8 août 2017, confirmée par une décision de la cour nationale du droit d'asile le 23 janvier 2018, qu'il a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours prise par le préfet de la Haute-Garonne le 27 septembre 2018, puis qu'il a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire sans délai prise par le préfet du Rhône le 4 novembre 2019 en exécution de laquelle il a été éloigné d'office en Algérie. Il est constant qu'il est de nouveau entré irrégulièrement en France, en mars 2021 selon ses déclarations. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que si sa cellule familiale réside dans un centre d'hébergement à Francheville dans le Rhône, il a lui-même indiqué résider régulièrement à Clermont-Ferrand. Il en ressort également qu'il ne dispose pas de ressources stables, que sa compagne est en situation irrégulière sur le territoire français et qu'il a été interpellé et placé en garde à vue, le 12 septembre 2022, pour des faits de violence et de menaces de mort à l'égard de cette dernière, faits pour lesquels il a fait l'objet d'un rappel à la loi. En tout état de cause, compte tenu notamment du jeune âge de sa fille et du fils de sa compagne, il n'établit pas qu'il serait, le cas échéant, dans l'impossibilité de reconstituer sa cellule familiale hors de France. Dans ces conditions le préfet du Rhône n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée ni méconnu l'intérêt supérieur de son enfant en édictant à son encontre une obligation de quitter le territoire français. Par suite, les moyens tirés de la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de 1'article 3, 1° de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent être écartés. Pour les mêmes motifs le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la décision litigieuse sur la situation personnelle et familiale de l'intéressé sera également écarté.
Sur la légalité de la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :
7. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : 1°Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; /(...)/ 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...)/ 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au 3° de l'article L. 142-1, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 721-6 à L. 721-8, L. 731-1, L. 731-3, L. 733-1 à L. 733-4, L. 733-6, L. 743-13 à L. 743-15 et L. 751-5. ".
8. Il ressort des termes de la décision du 12 septembre 2022 que le préfet du Rhône a relevé, pour refuser un délai de départ volontaire à M. D..., que ce dernier ne présentait pas de garanties de représentations suffisantes et que son comportement constituait un risque pour l'ordre public.
9. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas l'intéressé d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
10. En l'espèce, le préfet du Rhône fait valoir en appel que M. D... est entré irrégulièrement en France en dernier lieu en mars 2021 et s'y est maintenu depuis cette date sans demander l'octroi d'un titre de séjour, sollicitant ainsi une substitution de motif sur laquelle M. D... a été mis à même de présenter ses observations. Il résulte de l'instruction que ce motif est de nature à fonder la décision contestée et que le préfet du Rhône aurait pris la même décision en se fondant initialement sur ce motif. Il y a donc lieu de faire droit à la substitution de motif demandée qui ne prive M. D... d'aucune garantie procédurale.
11. Au regard de ce qui précède, M. D... n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait commis une erreur d'appréciation en lui refusant un délai de départ volontaire. Le préfet n'a pas davantage commis d'erreur manifeste d'appréciation de la particularité des circonstances au sens de l'article L. 612-3 précité.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
12. Il résulte de ce qui a été précédemment exposé au point 6 du présent arrêt que M. D... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français au soutien de ses conclusions à fin d'annulation de la décision fixant le pays de destination.
Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de dix-huit mois :
13. En premier lieu, M. D... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français et refus d'octroi d'un délai de départ volontaire au soutien de ses conclusions à fin d'annulation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.
14. En second lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour.
Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11 ".
15. Dès lors que M. D..., qui ne fait valoir aucune circonstance humanitaire, a fait l'objet d'une mesure d'éloignement pour laquelle aucun délai de départ n'a été accordé, le préfet du Rhône pouvait légalement prendre à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français. Par ailleurs, il résulte de ce qui a été précédemment exposé, notamment au point 6 du présent arrêt, que le requérant ne justifie pas de l'intensité et de la stabilité de ses liens familiaux sur le territoire national et qu'en tout état de cause, il n'établit pas être dans l'impossibilité de reconstituer sa cellule familiale hors de France. Dans ces circonstances, les moyens tirés de l'erreur manifeste d'appréciation et du caractère disproportionnée de la décision litigieuse, tant dans son principe que dans sa durée, doivent être écartés.
16. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le préfet du Rhône est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a annulé ses décisions du 12 septembre 2022 obligeant M. D... à quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de dix-huit mois et lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de l'intéressé et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, d'autre part, que les conclusions à fin d'annulation et d'injonction présentées par M. D... doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2206938 du 5 décembre 2022 du magistrat désigné du tribunal administrative de Lyon est annulé.
Article 2 : Les conclusions de première instance et d'appel de M. D... sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée à la préfète du Rhône.
Délibéré après l'audience du 20 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Stillmunkes, président de la formation de jugement,
M. Gros, premier conseiller,
Mme Vergnaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2023.
La rapporteure,
E. Vergnaud
Le président,
H. Stillmunkes
La greffière,
F. Abdillah
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 23LY00081