Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... F... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 26 octobre 2022 par lequel la préfète de l'Ain l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de dix-huit mois.
Par un jugement n° 2208056 du 4 novembre 2022, la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon a fait droit à sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 28 novembre 2022, la préfète de l'Ain demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement de la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon du 4 novembre 2022 ;
2°) de rejeter la demande de M. F... présentée en première instance.
La préfète de l'Ain soutient que :
- sa décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas entachée d'un défaut d'examen complet de la situation de M. F... du seul fait qu'elle ne mentionne pas que l'un des enfants mineurs de celui-ci s'est vu délivrer un titre de séjour ;
- les autres moyens soulevés en première instance par le requérant ne sont pas fondés.
Par un mémoire, enregistré le 11 septembre 2023, M. A... F..., représenté par Me Pochard, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 200 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à charge pour son conseil de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Il soutient que :
- le moyen tiré de l'illégalité de la décision contestée pour absence d'examen effectif et suffisant en droit et en fait de sa situation est fondé ;
- subsidiairement, ses autres moyens soulevés en première instance sont fondés.
Par ordonnance du 14 septembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 29 septembre 2023.
M. F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 février 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Mehl-Schouder, présidente-rapporteure.
Considérant ce qui suit :
1. M. F..., ressortissant arménien né le 30 septembre 1981 à Erevan, est entré en France le 3 janvier 2018 avec son épouse et leurs trois enfants, et ils y ont sollicité l'asile. Leurs demandes ont été rejetées, en dernier lieu, par des ordonnances de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 28 février 2019, et cette Cour a également rejeté le 10 décembre 2019 les demandes de réexamen de leurs demandes d'asile. Les demandes de titres de séjour introduites par M. F... ont été rejetées par des arrêtés du 6 novembre 2019 du préfet de l'Ain et du 12 novembre 2020 du préfet de la Haute-Savoie, qui l'obligent également à quitter le territoire dans un délai de trente jours, et les recours en annulation que M. F... a introduit ont été rejetés, en dernier lieu, par la cour administrative d'appel de Lyon, par des ordonnances du 26 juillet 2021. Par un arrêté du 26 octobre 2022, la préfète de l'Ain l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de dix-huit mois. La préfète de l'Ain relève appel du jugement par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon a fait droit à la demande de M. F... tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Pour prendre à l'encontre de M. F... l'arrêté du 26 octobre 2022, la préfète de l'Ain a retenu que celui-ci s'était maintenu en France malgré le refus opposé à sa demande de titre de séjour et ses demandes d'asile, qu'il séjourne en France depuis environ quatre ans et demi de façon irrégulière, que son épouse et leurs enfants sont également dépourvus de droit au séjour et qu'il a vécu l'essentiel de son existence en Arménie, où il n'établit pas être dépourvu de liens et où son épouse et leurs enfants ont vocation à l'accompagner. La préfète a également souligné que M. F... n'était pas en mesure de s'exprimer en langue française, qu'il est hébergé dans un logement associatif et ne justifie ainsi pas d'une insertion socio-professionnelle particulière en France. Elle en a déduit l'absence d'atteinte à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. S'il ressort des pièces du dossier que le fils cadet de M. F..., B..., encore mineur à la date de la décision en litige, s'était vu délivrer une carte de séjour temporaire valable du 13 juin 2022 au 12 juin 2023, il ressort des explications fournies par la préfète en appel, que cette carte lui a été délivrée compte tenu de sa présence continue en France depuis ses treize ans, conformément aux dispositions de l'article L. 423-21 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ce qui ne donne pas pour autant un droit au séjour à son père, un tel titre de séjour ne faisant au surplus pas obstacle à ce que ce fils, alors encore mineur ainsi qu'il a été dit, suive ses parents pour retourner dans le pays dont ils ont la nationalité, étant au demeurant relevé que le recours de son autre fils, D..., tendant à l'annulation du refus de titre de séjour et à l'obligation de quitter le territoire français, a été rejetée par le tribunal administratif le 16 novembre 2022. Ainsi, l'absence de prise en compte d'un tel élément ne caractérise pas un défaut d'examen sérieux de la situation de M. F.... Par suite, la préfète de l'Ain est fondée à soutenir que c'est à tort que, pour annuler l'arrêté litigieux, la magistrate déléguée du tribunal administratif de Lyon a accueilli le moyen tiré de l'absence d'examen complet de la situation de M. F....
3. Il y a toutefois lieu, dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. F... tant en première instance qu'en appel.
En ce qui concerne la décision d'obligation de quitter le territoire français :
4. En premier lieu, si M. F... soutient que la décision en litige est entachée d'insuffisance de motivation, il ressort des termes de cette décision, rappelés notamment au point 2 ci-dessus, qu'elle comprend les éléments factuels propres à sa situation, la seule erreur de fait évoquée au même point ne suffisant pas à caractériser une insuffisance de motivation sur sa situation familiale. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient l'intimé, la préfète de l'Ain a expressément visé la convention internationale relative aux droits de l'enfant et a porté une appréciation sur la situation et l'intérêt supérieur des enfants de M. F.... Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté litigieux doit être écarté.
5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que la seule erreur de fait sur la situation administrative du fils de M. F..., B..., n'a pas eu d'incidence sur le sens de la décision prise par la préfète de l'Ain, eu égard, notamment, au motif pour lequel un titre de séjour lui a été délivré.
6. En troisième lieu, M. F... soutient qu'il ne peut reprendre une vie privée et familiale normale dans son pays d'origine et que sa famille a tissé des liens forts sur le territoire français, où elle justifie d'une intégration remarquable. Toutefois, il ressort du dossier que M. F..., dont le séjour en France restait encore relativement récent à la date de la décision en litige, s'est maintenu sur le territoire français malgré les différentes décisions de refus de reconnaissance de la qualité de réfugié et les précédents refus de titre de séjour assortis de décisions d'obligation de quitter le territoire français, qu'il n'a pas exécutées. En outre, il a vécu l'essentiel de son existence en Arménie, où il a nécessairement conservé des liens dès lors notamment qu'il y a vécu jusqu'à l'âge de trente-six ans et que son épouse et leurs enfants, de même nationalité, ont vocation à l'accompagner. Les activités de bénévolat qu'il a exercées sont insuffisantes, à elles seules, à démontrer une intégration particulière dans la société française. Ainsi qu'il a été dit au point 2 ci-dessus, la préfète a également souligné, sans que cela ne soit sérieusement contesté, que M. F... n'est pas en mesure de s'exprimer en langue française, qu'il est hébergé dans un logement associatif et qu'il ne justifie pas d'une insertion socio-professionnelle particulière en France. Ses demandes d'asile ont fait l'objet de rejets définitifs et rien ne fait ainsi obstacle à ce que la cellule familiale se reconstitue hors de France, et plus particulièrement en Arménie, où il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il encourrait des risques qui ne lui permettraient pas d'y mener une vie privée et familiale normale. Ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, la décision de refus de titre de séjour ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
7. En quatrième lieu, la décision contestée n'emporte pas séparation de M. F... et de ses enfants, et n'empêche pas ces derniers de poursuivre leurs scolarités et activités sportives à l'extérieur du territoire national. Par suite, les moyens tirés de la violation des stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et de l'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'intérêt supérieur de ses enfants, doivent être écartés.
En ce qui concerne la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire :
8. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision portant refus de délai de départ volontaire.
9. En deuxième lieu, la décision refusant le bénéfice d'un délai de départ volontaire reprend les dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, plus particulièrement celles des articles L. 612-2 et l. 612-3, et souligne le risque de soustraction à l'obligation qui lui est faite de quitter le territoire et son refus de l'exécuter. Elle est dès lors suffisamment motivée.
10. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision en litige serait entachée d'un défaut d'examen de sa situation.
11. En quatrième lieu, pour les mêmes motifs aux ceux énoncés au point 6 et alors que rien n'empêche les enfants de poursuivre leurs scolarités et activités à l'extérieur du territoire national, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation familiale doit être écarté comme non fondé.
En ce qui concerne la décision désignant le pays de renvoi :
12. En premier lieu, la décision en litige, qui se fonde sur les dispositions des articles L. 612-2, L. 721-3 et L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, précise que l'intéressé allègue être menacé en cas de retour dans son pays d'origine, l'Arménie, sans toutefois produire d'élément nouveau et probant, et rappelle les décisions déjà rendues sur ce point par le juge administratif et le juge de l'asile. Elle est, dès lors, suffisamment motivée.
13. M. F... soutient que sa sécurité n'est pas assurée en cas de retour dans son pays d'origine, compte tenu notamment des agressions violentes dont il aurait été la victime, ainsi que ses beaux-parents et deux de ses enfants, de la part de membres d'une mafia arménienne, sans que la police arménienne, qui serait corrompue, ne l'ait protégé. Toutefois, les allégations du requérant sont insuffisamment précisées pour tenir les faits allégués pour établis, alors même qu'ils s'inscrivent dans une dynamique de corruption dont le degré est relevé par la documentation générale qu'il produit. Il produit également des certificats établis par un médecin de l'association " médecine et droit d'asile ", attestant que M. F... et ses enfants ont subi des traumatismes physiques et également, en ce qui concerne M. et Mme F..., psychologiques. Toutefois, ces certificats sont insuffisants, à eux-seuls, à établir la réalité du récit du requérant, dont la demande d'asile a d'ailleurs été rejetée à plusieurs reprises, par l'OFPRA et la CNDA. Par suite, en désignant l'Arménie comme pays de renvoi, la préfète de l'Ain n'a méconnu ni les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni n'a commis d'erreur manifeste d'appréciation.
14. En dernier lieu, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du I de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant doivent être écartés par les mêmes motifs que ceux repris aux points 6 et 7.
En ce qui concerne la décision interdisant le retour sur le territoire français :
15. En premier lieu, l'arrêté attaqué est signé par M. E... C..., chef du bureau de l'éloignement et du contentieux de la préfecture de l'Ain, qui a reçu délégation de la préfète de ce département pour signer de tels actes en cas d'absence ou d'empêchement de la directrice de la citoyenneté et de l'intégration, par un arrêté du 31 janvier 2022, publié le lendemain au recueil des actes administratifs de la préfecture. Le moyen tiré de l'incompétence de ce signataire ne peut dès lors être accueilli.
16. En deuxième lieu, il appartient au préfet, en vertu des dispositions des articles L. 612-7 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'assortir une obligation de quitter le territoire français sans délai d'une interdiction de retour sur le territoire français, sauf dans l'hypothèse où des circonstances humanitaires justifieraient qu'il déroge à ce principe. Il doit par ailleurs tenir compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. En l'espèce, M. F... ne justifie d'aucune circonstance humanitaire de nature à faire obstacle à l'édiction d'une telle décision à son encontre, étant relevé que son fils B... est désormais majeur, et que le reste de sa famille réside de manière irrégulière sur le territoire français. Par ailleurs, eu égard à ce qui a été dit au point 6 ci-dessus, en fixant à dix-huit mois la durée de cette interdiction, la préfète de l'Ain n'a pas commis d'erreur d'appréciation dans l'application des dispositions déjà mentionnées ni n'a méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
17. Il résulte de ce qui précède que la préfète de l'Ain est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui doit être annulé, la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon a fait droit à la demande de M. F....
Sur les frais liés à l'instance :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse quelque somme que ce soit à M. G... au titre des frais de l'instance.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 4 novembre 2022 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : Les conclusions de M. F... présentées tant en première instance qu'en appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... F... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète de l'Ain et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.
Délibéré après l'audience du 5 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Monique Mehl-Schouder, présidente-rapporteure,
Mme Anne-Gaëlle Mauclair, première conseillère,
Mme Claire Burnichon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2023.
La présidente-rapporteure,
M. Mehl-Schouder
La première conseillère la plus ancienne,
A.-G. MauclairLa greffière,
F. Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY03495