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20/12/2023 | FRANCE | N°22LY02651

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 20 décembre 2023, 22LY02651


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner le centre hospitalier de Saint-Pierre-de-Bœuf à lui verser, en qualité d'ayant droit de Mme E... B... et à titre personnel, une indemnité de 25 283,55 euros en réparation des conséquences dommageables de la prise en charge de sa mère.

Par un jugement n° 2100692 du 28 juin 2022, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.





Procédure devant la c

our :



Par une requête enregistrée le 28 août 2022 Mme C... B..., représentée par Me Pichon, demande à la c...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner le centre hospitalier de Saint-Pierre-de-Bœuf à lui verser, en qualité d'ayant droit de Mme E... B... et à titre personnel, une indemnité de 25 283,55 euros en réparation des conséquences dommageables de la prise en charge de sa mère.

Par un jugement n° 2100692 du 28 juin 2022, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 28 août 2022 Mme C... B..., représentée par Me Pichon, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2100692 du 28 juin 2022 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Saint-Pierre-de-Bœuf à lui verser, en qualité d'ayant droit de Mme E... B..., et à titre personnel, une indemnité de 25 283,55 euros en réparation des conséquences dommageables de la prise en charge de sa mère ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Pierre-de-Bœuf une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'organisation des soins au centre hospitalier est inadaptée à la prise en charge des personnes en soins palliatifs en ce que le système d'astreinte ne permet pas une continuité des soins ;

- le protocole permettant une sédation par Hypnovel n'a pu être mis en œuvre faute de la présence d'un médecin ;

- les médicaments prescrits, Valium et Hypnovel, n'ont pas été disponibles selon les modalités requises ;

- les prestations de soins infirmiers n'ont pas été conformes aux prescriptions médicales ;

- ces dysfonctionnements sont à l'origine d'une majoration des souffrances endurées par sa mère avant son décès et d'une souffrance morale pour elle, présente à ses côtés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 novembre 2022, le centre hospitalier du Pilat rhodanien, venant aux droits du centre hospitalier de Saint-Pierre-de-Bœuf, représenté par Me Rebaud, conclut, à titre principal, au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- aucun manquement dans la prise en charge de Mme B... n'est directement imputable au centre hospitalier ;

- les manquements éventuellement imputables aux médecins libéraux exerçant dans le centre hospitalier ne sauraient engager sa responsabilité ;

- les demandes indemnitaires sont surévaluées.

Par une ordonnance du 5 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 octobre 2023 à 16h30.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vergnaud, première conseillère,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Pedersen, substituant Me Pichon, représentant Mme B..., et celles de Me Louveau, substituant Me Rebaud, représentant le centre hospitalier du Pilat rhodanien.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... B..., née le 5 février 1943, a été prise en charge en soins palliatifs par le centre hospitalier de Saint-Pierre-de-Bœuf à compter du 15 octobre 2018. Elle y est décédée le 23 décembre 2018 à 17H05. Mme C... B..., fille de Mme E... B..., estimant la prise en charge de cette dernière défaillante, a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Rhône-Alpes qui, au vu du rapport d'expertise du docteur A... du 2 juin 2020, s'est déclarée incompétente le 22 septembre 2020. Par le jugement attaqué du 28 juin 2022, dont Mme C... B... interjette appel, le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande de cette dernière tendant à la condamnation du centre hospitalier de Saint-Pierre-de-Bœuf à l'indemniser, en sa qualité d'ayant droit de Mme E... B... et à titre personnel, des préjudices résultant des manquements dans la prise en charge de sa mère.

2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique : " I - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".

3. Il n'est pas contesté que Mme E... B... a été prise en charge au centre hospitalier de Saint-Pierre-de-Bœuf sous la responsabilité médicale de médecins exerçant à titre libéral. Les interventions effectuées par ces médecins, ne constituent pas par elles-mêmes une mission de service public, mais une modalité d'exercice de la profession libérale de médecin relevant de la compétence des juridictions judicaires. Il en résulte que la responsabilité du centre hospitalier ne saurait être engagée sur le terrain de la faute qu'à raison d'un défaut d'organisation ou à raison des soins, notamment infirmiers, qui auraient été pratiqués en dehors des prescriptions médicales faites ou qui n'auraient pas respecté les recommandations et bonnes pratiques afférentes à ces prescriptions.

4. En premier lieu, Mme C... B... soutient que l'organisation des permanences et astreintes des médecins libéraux au centre hospitalier de Saint-Pierre-de-Bœuf n'a pas permis d'assurer la continuité des soins de sa mère dès lors qu'aucun médecin, de garde ou d'astreinte, n'a été mobilisé les 22 et 23 décembre 2018 avant le décès de sa mère.

5. Il résulte de l'instruction que le Dr D..., qui n'était ni d'astreinte, ni de garde, a été contactée par téléphone le dimanche 23 décembre 2018 en fin de matinée puis à 14h30. Si elle a donné à l'infirmière de garde l'autorisation de mettre en place un pousse seringue électrique pour l'administration de morphine en continu afin de soulager les douleurs, puis de faire un bolus de 10mg de morphine et d'augmenter le débit du pousse seringue, elle a également recommandé d'appeler le médecin de garde pour entendre la fille de la patiente au sujet d'une procédure de sédation profonde par Hypnovel. Cependant, il est constant qu'aucun médecin de garde ou d'astreinte n'a été contacté par l'infirmière de garde le 23 décembre 2018 avant le décès de Mme E... B.... Cette abstention doit être regardée comme une carence dans l'organisation du service de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier.

6. En deuxième lieu, la requérante soutient que les soins n'ont pas été conformes aux prescriptions médicales dès lors que l'infirmière de garde dans la nuit du 22 au 23 décembre 2018 a refusé l'administration de morphine en continu et a imposé le respect d'un délai de quatre heures entre deux administrations de morphine. Cependant, il résulte de l'instruction, notamment du rapport de transmissions ciblées, que le Dr D... avait prescrit une administration de morphine toutes les 4 heures, ou de façon plus rapprochée en fonction de la douleur, et que l'administration de morphine en continu par pousse seringue électrique n'a été prescrite que le 23 décembre en fin de matinée. Par ailleurs, il résulte du rapport de transmissions ciblées ainsi que du rapport du pharmacien du centre hospitalier que ces prescriptions ont été respectées, Mme E... B... ayant reçu 10mg de morphine en sous cutané toutes les quatre heures du 21 décembre à 21h au 23 décembre à 10h puis en perfusion sous cutanée au pousse seringue à compter du 23 décembre à midi. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que l'état de Mme E... B... aurait nécessité une administration supplémentaire de morphine entre 3h 30 et 7h le 23 décembre. Il résulte de ces éléments que les prescriptions médicales ont bien été respectées.

7. En troisième lieu, la requérante soutient que sa mère a subi une interruption dans l'administration de Valium dans la nuit du 22 au 23 décembre 2018. Cependant, il résulte de l'instruction, notamment du rapport du pharmacien du centre hospitalier, que du Valium 10mg/2ml a été prescrit en intra rectale le 21 décembre si besoin le soir puis le 22 décembre en systématique le soir et à avancer si besoin. Il en résulte également que bien que le dispositif adéquat ait été présent l'administrateur de garde a été sollicité pour l'obtenir auprès d'un établissement partenaire et que l'administration d'une ampoule a été faite le 22 décembre à 17h, deux ampoules étant prévues pour le 23 décembre au soir. Par suite, Mme E... B... n'a eu à subir aucune interruption dans l'administration de Valium et l'administration de ce médicament, en l'espèce par voie rectale, a été faite selon les modalités résultant des prescriptions médicales.

8. En quatrième lieu, la requérante soutient que la non disponibilité d'Hypnovel et d'une pompe à morphine contrôlée par le patient dans un service de soins palliatifs est fautive. Cependant il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que si un dispositif analgésique contrôlé par le patient, qui permet d'assurer la meilleure prise en charge de la douleur selon l'expert, n'est pas disponible, la mise en place d'un pousse seringue électrique, qui délivre également de la morphine en continu, les bolus étant réalisés par les infirmières, est conforme à la bonne pratique. Par ailleurs l'expert indique que l'usage de l'Hypnovel demeurait rare en France à la date de la prise en charge de Mme B... et que l'usage du Valium pour soulager les douleurs d'un patient en phase terminale ne constitue pas un manquement, même si le mode d'administration peut être regardé comme inadapté en l'espèce. En tout état de cause, la prescription anticipée d'un protocole Hypnovel n'est pas établie par les éléments du dossier et la prescription et les modalités d'administration de Valium relève d'une prescription médicale.

9. Enfin, l'expert indique que si, de son point de vue la prise en charge de la phase agonique de la patiente n'était médicalement pas la plus adaptée à la situation, les soins de vie de la patiente ont été dispensés dans les règles de l'art et il résulte de ce qui a précédemment été exposé que les soins médicaux ont été administrés dans le respect des prescriptions du médecin. S'agissant des essais d'aspiration bronchique, s'ils ont pu aggraver l'inconfort de la fin de vie aux dires de l'expert, il résulte de l'instruction qu'ils ont été pratiqués à la demande et sur l'insistance de la fille de la patiente. Dans ces conditions, il résulte de ce qui précède que seule la circonstance que l'infirmière de garde le 23 décembre 2018 se soit abstenue de contacter le médecin de garde peut être regardé comme constitutif d'une carence fautive dans l'organisation du service de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier.

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les souffrances endurées par Mme E... B... :

10. Si le rapport d'expertise mentionne que les souffrances endurées peuvent être évaluées à 3 sur une échelle de 7, au regard de ce qui a été dit précédemment aucune majoration des souffrances n'est imputable à l'administration des soins par le personnel du centre hospitalier. Dans les circonstances de l'espèce, l'abstention fautive du recours à un médecin de garde n'a pu entrainer qu'une perte de chance d'éviter une majoration des douleurs dans les toutes dernières heures avant le décès dont le taux pourra être évalué à 70 %. Dans les circonstances de l'espèce, il pourra être fait une juste appréciation du préjudice subi en l'évaluant à 4 000 euros et, compte tenu du taux de perte de chance, une somme de 2 800 euros sera mise à la charge du centre hospitalier du Pilat rhodanien à ce titre.

En ce qui concerne les préjudices personnels de Mme C... B... :

11. L'abstention fautive du recours au médecin de garde dans l'après-midi du 23 décembre a privé Mme C... B... de la possibilité de s'entretenir avec un médecin sur l'accompagnement médical des dernières heures de vie de sa mère et la prise en charge de ses souffrances conformément aux vœux de cette dernière. Dans ces circonstances de l'espèce, il pourra être fait une juste appréciation du préjudice moral résultant directement de ce seul manquement fautif en l'évaluant à la somme de 3 000 euros.

12. Par ailleurs, il sera fait droit à la demande de remboursement des frais de transport de Mme C... B... pour se rendre à la réunion d'expertise du 18 mai 2020 en lui allouant à ce titre la somme de 283,55 euros.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... B... est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué du 28 juin 2022, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Le centre hospitalier du Pilat rhodanien, venant aux droits du centre hospitalier de Saint-Pierre-de-Bœuf, doit être condamné à verser à Mme C... B... la somme de 2 800 euros en sa qualité d'ayant droit de Mme E... B... et une somme de 3 283,55 euros au titre de ses préjudices personnels.

Sur les frais d'instance :

14. Dans les circonstances de l'espèce il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier du Pilat rhodanien une somme de 1 500 euros à verser à la requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, les conclusions présentées sur le même fondement par le centre hospitalier du Pilat rhodanien, partie perdante, doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2100692 du 28 juin 2022 du tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier du Pilat rhodanien est condamné à verser à Mme C... B... la somme de 2 800 euros en sa qualité d'ayant droit de Mme E... B... et une somme de 3 283,55 euros au titre de ses préjudices personnels, ainsi qu'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., à la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire et au centre hospitalier du Pilat rhodanien.

Délibéré après l'audience du 4 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

Mme Vergnaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 décembre 2023.

La rapporteure,

E. Vergnaud

Le président,

F. Pourny

La greffière,

F. Abdillah

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY02651


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY02651
Date de la décision : 20/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: Mme Edwige VERGNAUD
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : PICHON

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-20;22ly02651 ?
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