Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de La Réunion de condamner d'une part, l'Etat à lui verser la somme de 1 740 000 euros en réparation des préjudices subis en raison de l'absence d'attribution par la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) de La Réunion ou l'Etat d'un terrain agricole exploitable aux fins d'élevage de bovins, d'autre part, la SAFER de La Réunion à lui verser la somme de 1 120 000 euros au titre des préjudices moral et matériel subis.
Par un jugement n° 1901561 du 12 janvier 2022, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 11 mars 2022, et un mémoire enregistré le 20 juin 2022, M. A..., représenté par Me Rakotonirina, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement n° 1901561 du 12 janvier 2022 du tribunal administratif de La Réunion ;
2°) d'annuler les décisions du préfet de la Réunion du 5 avril 2013 et du 9 avril 2014 ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 1 800 000 euros, en réparation des préjudices subis ;
4°) d'enjoindre à l'Etat d'ordonner à la SAFER de lui octroyer une superficie de terrain de dix hectares agricoles réellement exploitables, en contrepartie du paiement à la SAFER en 2008 de la somme de 38 000 euros ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il y a lieu de confirmer la compétence du tribunal administratif ;
- le courrier du préfet de La Réunion du 5 avril 2013 a le caractère d'une décision, laquelle reconnait les manquements de la SAFER en actant une compensation de trois hectares, et lui fait grief en reconnaissant son préjudice sans lui octroyer aucune indemnisation ;
- aucune prescription n'a eu lieu ; il a agi dans un délai raisonnable ;
- aucune indemnité ne lui a été attribuée en compensation des pertes d'exploitation et de revenus subis, ce qui a entrainé la cession de terrains inexploitables en 2008 ; il a sollicité par lettre du 13 août 2018 adressée à la direction de l'agriculture et de la forêt (DAF) une indemnisation de 60 000 euros par an depuis 1991 ; en lui refusant cette indemnisation financière, le préfet a rendu impossible la réparation de l'ensemble des préjudices subis.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 mai 2022, la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) de La Réunion, représentée par Me Duleroy, conclut à titre principal à l'incompétence de la juridiction administrative, à titre subsidiaire, au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. A... la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- ce litige ne relève pas de la compétence du juge administratif ; l'appelant n'apporte pas de critiques utiles du jugement ; la SAFER, société anonyme, relève exclusivement du droit privé ;
- les lettres des 5 avril 2013 et 9 octobre 2014 ne sont pas des actes administratifs décisoires mais des documents administratifs faisant office de compte-rendu de réunions, qui ne font pas grief ;
- le contentieux n'est pas lié par une demande indemnitaire préalablement formée devant l'administration ;
- si la direction de l'aménagement, de l'agriculture et de la forêt peut faire des propositions dans le règlement de certaines affaires, elle ne peut se substituer à la SAFER qui dispose, seule, d'un pouvoir décisionnaire dans les matières qui relèvent de sa compétence.
Par un mémoire en défense enregistré le 26 juin 2023, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- les lettres du 5 avril 2013 et du 9 octobre 2014 ne révèlent pas l'existence de décisions susceptibles d'être attaquées par la voie du recours en excès de pouvoir ;
- le préfet de la Réunion s'est limité à un rôle de médiateur dans le traitement par la SAFER de la rétrocession en litige, en organisant des réunions et en adressant des courriers retraçant leur contenu à M. A... : il n'a commis aucune faute ; M. A..., qui ne précise pas l'étendue de son préjudice, n'est pas fondé à rechercher la responsabilité pour faute de l'Etat.
Par ordonnance du 7 juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 4 septembre 2023 à 12 h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bénédicte Martin,
- et les conclusions de Mme Nathalie Gay, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par décision du 30 août 1991, la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) de La Réunion a exercé son droit de préemption sur des parcelles d'une surface de 1 hectare 85 ares et 22 centiares situées à Saint-Joseph, pour lesquelles M. A..., éleveur, avait signé le 9 juillet 1991 un compromis de vente. Invité par la SAFER à déposer une candidature pour l'attribution d'un lot agricole, M. A... après avoir essuyé plusieurs refus entre 1992 et 2006, s'est vu proposer le 30 octobre 2006, un terrain agricole de 7 hectares 87 ares et 80 centiares situé à la Plaine des Palmistes pour un montant de 38 000 euros. A la suite de la contestation par M. A... des conditions d'exploitation dans lesquelles ces parcelles lui ont été livrées par la SAFER, le préfet de La Réunion lui a adressé, après expertise, le 5 avril 2013, une proposition de la SAFER de lui attribuer trois hectares de terrains mitoyens de ses parcelles, permettant d'atteindre une surface agricole utile de cinq hectares, et d'assurer la prise en charge du coût des travaux des parcelles. Par lettre du 9 octobre 2014, le préfet de La Réunion a évoqué deux possibilités de résolution du litige opposant M. A... à la SAFER et privilégié la solution tenant à la conservation d'une parcelle de 7 000 m² autour de la maison d'habitation et un échange du reste du terrain avec une surface agricole d'environ 4 à 5 hectares, à charge pour les parties de rechercher la surface correspondante. Le 17 décembre 2015, un expert a été désigné par le tribunal de grande instance de Saint Denis de La Réunion, et a conclu dans son rapport d'expertise transmis le 30 août 2016 à un partage de responsabilités entre les deux parties, a évalué le montant des travaux nécessaires pour rendre l'ensemble des parcelles viables et conformes à leur destination pour l'élevage, ainsi que la perte de marge brute subie par l'exploitant et a constaté le refus de M. A... d'accepter une proposition de la SAFER en date du 2 décembre 2014 de lui céder gratuitement deux parcelles " de bonne valeur agronomique ". Par jugement du 12 janvier 2022, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté la demande de M. A... tendant d'une part, à l'annulation des décisions préfectorales du 5 avril 2013 et du 9 octobre 2014, d'autre part, à la condamnation de l'Etat et de la SAFER à lui verser respectivement les sommes de 1 740 000 euros et de 1 120 000 euros en réparation des préjudices matériel et moral subis. M. A... relève appel de ce jugement en tant que ses conclusions à fin d'annulation des décisions des 5 avril 2013 et 9 avril 2014 et ses conclusions à fin de condamnation de l'Etat ont été rejetées.
Sur la compétence de la juridiction administrative :
2. Dans sa requête d'appel, M. A... ne conteste le jugement du tribunal administratif de La Réunion qu'en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des décisions du préfet de La Réunion en date des 5 avril 2013 et 9 octobre 2014, ainsi que ses conclusions indemnitaires, au titre des fautes commises par les services de l'Etat dans la gestion de sa situation, mais ne présente aucune conclusion tendant à la condamnation de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) de La Réunion. Dès lors, l'exception d'incompétence de la juridiction administrative opposée par la SAFER doit être écartée.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. L'article R 421-1 du code de justice administrative prévoit que : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier que les courriers des 5 avril 2013 et 9 octobre 2014, qui se bornent à rendre compte des conclusions des réunions de conciliation organisées sous l'égide du préfet de La Réunion et invitent M. A... à faire part de son accord aux propositions qui en sont issues, ne présentent pas de caractère décisoire et, sont par suite insusceptibles de recours pour excès de pouvoir. Par suite, les premiers juges ont estimé à bon droit que les conclusions dirigées contre ces courriers étaient manifestement irrecevables et devaient être rejetées.
Sur la responsabilité :
5. Il résulte de l'instruction, notamment des observations de l'expert judiciaire, que le litige opposant M. A... à la SAFER porte sur les conditions d'attribution de parcelles agricoles, qui n'ayant été défrichées que partiellement en 2008, ne pouvaient être exploitées pour l'élevage. Dans son rapport, l'expert a conclu à un partage des responsabilités à hauteur de 8 036 euros pour M. A... et 12 389, 60 euros pour la SAFER, à charge pour le premier de reprendre les friches progressives, les travaux et les semis sur les parcelles défrichées par la SAFER en 2008 et pour la seconde de procéder au défrichage de deux surfaces de 0, 92 et 0, 78 hectares. Il résulte également de l'instruction que la SAFER a adressé des propositions de compensation à M. A..., qui ne soutient pas y avoir donné suite. Par ses courriers des 5 avril 2013 et 9 octobre 2014, le préfet de La Réunion, qui est intervenu dans le cadre d'une tentative de médiation entre la SAFER et M. A..., s'est borné à rendre compte des réunions organisées en vue de trouver un accord et à informer ce dernier de sa volonté de l'accompagner dans la recherche d'une solution lui permettant de réaliser son projet d'exploitation agricole, en rappelant les propositions formulées par la SAFER. Dans ces conditions, M. A..., qui n'apporte en appel aucun élément de fait ou de droit nouveau de nature à remettre en cause l'appréciation du tribunal, n'est pas fondé à soutenir que le préfet de La Réunion aurait commis, en lui adressant ces courriers qui ne présentent aucun caractère décisoire et n'ont pas pour objet de se substituer à la SAFER, une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Par suite, ses conclusions indemnitaires, dont le montant n'est d'ailleurs pas justifié, doivent être rejetées.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées en défense, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fins d'injonction :
7. Le présent arrêt de rejet n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par M. A... ne peuvent être accueillies.
Sur les frais liés au litige :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. A... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la SAFER de La Réunion tendant à l'application de ces dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la SAFER de La Réunion au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, et à la société d'aménagement foncier et d'établissement rural de La Réunion.
Copie en sera communiquée au préfet de La Réunion.
Délibéré après l'audience du 30 janvier 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
M. Michaël Kauffmann, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 février 2024.
La rapporteure,
Bénédicte MartinLa présidente,
Evelyne BalzamoLe greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22BX00842