Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 27 mars 2023, la SARL Nicole Solaire, représentée par Me Canton, a demandé au tribunal administratif de Bordeaux ;
1°) d'annuler l'arrêté du 27 janvier 2023 par lequel le préfet de Lot-et-Garonne a refusé de faire droit à sa demande de dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement dans le cadre d'un projet de réalisation d'une centrale solaire au sol sur le territoire de la commune de Nicole ;
2°) d'enjoindre au préfet de Lot-et-Garonne de réexaminer sa demande dans un délai de quatre mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté litigieux est entaché d'incompétence négative, le préfet s'étant borné à reprendre les motifs de l'avis émis le 14 juin 2022 par le conseil scientifique régional du patrimoine naturel de la région Nouvelle-Aquitaine, sans se les approprier ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elle retient que la société pétitionnaire ne démontre pas l'absence de solution alternative satisfaisante et n'a pas intégré dans la méthode de détermination du terrain d'assiette du projet un critère environnemental ;
- le préfet a entaché l'arrêté litigieux d'une erreur de droit en retenant que la dérogation demandée ne pouvait être délivrée pour un projet à réaliser sur un terrain situé au sein d'une zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique.
Par une ordonnance du 29 janvier 2024, le président du tribunal administratif de Bordeaux a transmis à la cour, en application de l'article R. 311-6 du code de justice administrative, le dossier de la requête de la société Nicole Solaire.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 mai 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Kolia Gallier,
- et les conclusions de M. Michaël Kauffmann, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Nicole Solaire a sollicité auprès du préfet de Lot-et-Garonne la délivrance d'une dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement dans le cadre d'un projet de réalisation d'une centrale solaire au sol sur le territoire de la commune de Nicole. Elle demande l'annulation de l'arrêté du 27 janvier 2023 par lequel le préfet a refusé de faire droit à sa demande.
2. En premier lieu, pour rejeter la demande de la société requérante, le préfet de Lot-et-Garonne a retenu, au terme d'une analyse précise et détaillée, d'une part, que le terrain d'assiette du projet, situé au sein d'une zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique, présente un intérêt faunistique et floristique et qu'il est situé au droit d'un secteur rassemblant des milieux présentant un intérêt patrimonial pour plusieurs espèces protégées qui y sont identifiées et, d'autre part, que l'analyse des sites alternatifs présentée dans le dossier de demande n'a pas intégré de critère environnemental, de sorte que les enjeux liés aux espèces protégées par l'article L. 411-1 du code de l'environnement ne peuvent être regardés comme ayant été suffisamment pris en compte dans l'analyse des variantes. Si le conseil scientifique régional du patrimoine naturel de Nouvelle-Aquitaine a également retenu, par son avis du 14 juin 2022, que l'analyse des solutions alternatives par la société pétitionnaire ne prenait pas en compte les enjeux environnementaux, il ne ressort pas des termes de l'arrêté que le préfet se serait estimé lié par le sens ou les motifs de cet avis. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet de Lot-et-Garonne aurait entaché sa décision d'incompétence négative en s'estimant, à tort, en situation de compétence liée pour rejeter la demande de la société Nicole Solaire doit être écarté.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : / 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; / 2° La destruction, la coupe, la mutilation, l'arrachage, la cueillette ou l'enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ; / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces ; (...)". L'article L. 411-2 du même code dispose : " I. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : (...) / 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : / a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ; / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; / d) A des fins de recherche et d'éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ; / e) Pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d'une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d'un nombre limité et spécifié de certains spécimens. (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant, d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.
5. Il ressort du dossier de demande de " dérogation espèces protégées " fourni à l'administration par la société pétitionnaire dans le cadre de sa demande d'autorisation environnementale pour la réalisation d'un projet de centrale photovoltaïque au sol sur le territoire de la commune de Nicole, que la recherche de solution alternative satisfaisante a été effectuée, d'une part, en excluant d'emblée de toute recherche les sites se trouvant dans un périmètre Natura 2000, dans un parc naturel national ou régional ainsi que ceux situés dans une zone soumise aux risques naturels forts ou modérés. Toutefois, l'implantation d'une centrale photovoltaïque dans une telle zone ne faisant l'objet d'aucune interdiction de principe, l'exclusion de ces sites en amont de toute analyse de leurs caractéristiques n'apparait pas pertinente. D'autre part et surtout, pour retenir le site situé sur le territoire de la commune de Nicole parmi les neuf sites qu'elle avait identifiés sur le territoire de la communauté de communes de Confluent et Coteaux Prayssas, la société pétitionnaire s'est bornée à exclure les sites présentant une surface insuffisante et ceux pour lesquels la faisabilité technique et urbanistique a été évaluée à un niveau de contrainte moyen ou fort à très fort. Néanmoins, si la société pétitionnaire pouvait à ce stade de son analyse exclure les sites sur lesquels l'implantation du projet était techniquement impossible, elle ne pouvait départager les autres sites sans intégrer à son étude comparative un critère environnemental permettant de rendre compte du niveau de l'atteinte aux espèces protégées que porterait le projet sur chacun d'entre eux. En particulier, la seule circonstance que trois des sites présélectionnés se situent en zone à usage agricole qui ne fait pas par elle-même obstacle à l'implantation d'une centrale photovoltaïque, deux de ces sites disposant d'ailleurs d'une surface disponible suffisante et d'un niveau de contrainte jugé faible s'agissant de la faisabilité technique, ne saurait suffire à les disqualifier. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le préfet a retenu, ainsi d'ailleurs que l'avait également relevé le conseil scientifique régional du patrimoine naturel de Nouvelle-Aquitaine, que la méthode employée par la société pétitionnaire ne permettait pas de démontrer l'absence de solution alternative satisfaisante au sens et pour l'application des dispositions précitées au point 3 ci-dessus, ce qui faisait obstacle à ce qu'il soit fait droit à sa demande.
6. En troisième et dernier lieu, il ne ressort pas des termes de l'arrêté attaqué, contrairement à ce que soutient la société requérante, que le préfet de Lot-et-Garonne aurait déduit de la seule circonstance que le terrain d'assiette du projet est situé dans une zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique que la dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement sollicitée devait être refusée. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit qu'aurait commise le préfet doit être écarté.
7. Il résulte de ce qui précède que la SARL Nicole Solaire n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de Lot-et-Garonne du 27 janvier 2023. Sa requête doit, par suite, être rejetée en toutes ses conclusions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SARL Nicole Solaire est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Nicole Solaire et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée au préfet de Lot-et-Garonne.
Délibéré après l'audience du 12 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente-assesseure,
Mme Kolia Gallier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2024.
La rapporteure,
Kolia GallierLa présidente,
Evelyne Balzamo
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24BX00211 2