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31/10/2024 | FRANCE | N°24BX01525

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 1ère chambre, 31 octobre 2024, 24BX01525


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 13 octobre 2023 en tant que le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français.



Par un jugement n° 2401134 du 11 juin 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé les décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français contenues dans l'arrêté du 13 octobre 2023, enj

oint au préfet de la Gironde de délivrer à M. A... un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 13 octobre 2023 en tant que le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français.

Par un jugement n° 2401134 du 11 juin 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé les décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français contenues dans l'arrêté du 13 octobre 2023, enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à M. A... un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et de lui restituer ses documents d'état civil, et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 21 juin 2024, le préfet de la Gironde demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 11 juin 2024 en tant qu'il a annulé les décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français contenues dans l'arrêté du 13 octobre 2023 et lui a enjoint de délivrer à M. A... un titre de séjour.

Il soutient que les documents produits par M. A... pour justifier de son état civil ne sont pas probants au regard des dispositions des articles L. 811-2, R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 47 du code civil, de sorte qu'il n'a pas commis d'erreur de droit en rejetant sa demande de titre de séjour présentée sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 août 2024, M. A..., représenté par Me Aymard, demande à la cour de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire et conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit versée à son conseil, en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par le préfet de la Gironde ne sont pas fondés ;

- les moyens relatifs à l'illégalité des décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire la décision fixant le pays de renvoi sont maintenus.

Vu la décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux en date du 13 août 2024 qui maintient de plein droit l'aide juridictionnelle accordée à M. A... le 16 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Béatrice Molina-Andréo,

- et les observations de Me Aymard, représentant M. B... A....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant malien se disant né le 24 décembre 2004, déclare être entré irrégulièrement en France le 15 janvier 2020. Il a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance de la Gironde à la suite d'une ordonnance de placement provisoire du parquet de Rodez du 11 février 2020. Le 1er mars 2023, M. A... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 13 octobre 2023, le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire. Le préfet de la Gironde relève appel du jugement du 11 juin 2024 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a annulé ces deux décisions contenues dans l'arrêté préfectoral du 13 octobre 2023.

Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :

2. Par décision du 10 janvier 2024 du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Bordeaux, M. A... a été admis au maintien de l'aide juridictionnelle totale. Dans ces conditions, les conclusions tendant à son admission provisoire à l'aide juridictionnelle sont devenues sans objet.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. D'une part, aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française. ".

4. D'autre part, aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil ; / 2° Les documents justifiants de sa nationalité ; 3° Les documents justifiants de l'état civil et de la nationalité de son conjoint, de ses enfants et de ses parents lorsqu'il sollicite la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour pour motif familial. / La délivrance du premier récépissé et l'intervention de la décision relative au titre de séjour sollicité sont subordonnées à la production de ces documents. / (...) ". L'article L. 811-2 du même code dispose que : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. / (...) ". Selon l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ". Cet article pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question. La force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

5. Il ressort des termes de l'arrêté contesté que, pour refuser de délivrer le titre de séjour sollicité par M. A... sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Gironde s'est notamment fondé sur l'absence de caractère probant des documents d'état civil présentés à l'appui de sa demande.

6. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui de sa demande de titre de séjour, M. A... a présenté un extrait des minutes d'un jugement supplétif n° 4492 du 24 décembre 2021 de la République du Mali, une copie d'acte d'état civil de la République du Mali et une carte d'identité consulaire malienne. Pour écarter le caractère probant de ces documents, le préfet de la Gironde s'est fondé sur un rapport technique d'analyse documentaire de la cellule fraude de la direction zonale de la police aux frontières (DZPAF) de Bordeaux en date du 31 mars 2023. Ce rapport relève, s'agissant du jugement supplétif, qu'il s'agit d'un document non sécurisé, imprimé numériquement sur un papier ordinaire et personnalisé à la main, que ce document contient une surcharge concernant la commune de naissance et le numéro de la transcription, et que si le cachet du greffier présente bien de l'encre déportée, la signature du greffier n'est qu'une copie numérique scannée sur un autre document et apposée numériquement par une impression en jet d'encre. Le rapport en conclut que ce document, qui n'a pas été signé du greffier en chef et n'a pas été délivré par le tribunal de Diema, est une contrefaçon. Le rapport indique ensuite, s'agissant de l'acte de naissance établi le 31 décembre 2021, que ce document n'est pas conforme au modèle des registres d'acte de naissance maliens, dès lors qu'il mesure 29x14,5 cm, que le numéro de feuillet n'est pas imprimé en rouge et que la signature apposée est celle du 3ème adjoint au maire, en outre différente de celle de la base de données de la direction zonale de la police aux frontières. Le rapport rappelle enfin, s'agissant de la carte d'identité consulaire, que ce document, qui ne constitue pas un document d'état civil, a été délivré sur présentation d'un jugement supplétif du 4 avril 2008, qui prouve que la naissance de l'intéressé a été enregistrée deux fois, ce qui est illégal. Ces éléments étaient suffisants pour renverser la présomption d'authenticité qui s'attache aux documents d'état civil en vertu de l'article 47 du code civil.

7. Toutefois, M. A... a produit, en cours de première instance, une attestation administrative d'authentification établie le 3 novembre 2023 par le 3ème adjoint au maire de la commune rurale de Diema, selon laquelle l'extrait des minutes du jugement supplétif, transcrit au centre principal d'état civil de la mairie de Diema, est authentique, une photographie du volet 1 de l'extrait d'acte de naissance n° 527/CRD figurant au registre d'état civil, une copie d'extrait d'acte de naissance établi le 3 novembre 2023 certifié conforme à l'original n° 527/CRD, ainsi qu'une photographie prise par sa sœur au Mali du jugement n° 4492 du 24 décembre 2021 du tribunal d'instance de Diema tenant lieu d'acte de naissance et déclarant qu'il est né le 24 décembre 2004. Si ces documents sont postérieurs à l'arrêté attaqué du préfet de la Gironde, ils révèlent des faits antérieurs à cet acte qui doivent être pris en compte pour en apprécier la légalité. M. A... a en outre justifié avoir obtenu, en cours de procédure, un passeport sur lequel figure le 24 décembre 2004 comme date de naissance.

8. En admettant même que l'attestation établie le 3 janvier 2023 par le 3ème adjoint au maire de la commune rurale de Diema n'ait pas de caractère probant pour attester de l'authenticité de l'extrait du jugement supplétif produit à l'appui de la demande de titre de séjour, le préfet de la Gironde ne conteste pas sérieusement l'authenticité du jugement supplétif n° 4492, qui comporte les mentions habituelles et est revêtu de la formule exécutoire, en se bornant à remettre en cause la provenance de la photographie de ce jugement, sans apporter le moindre élément permettant de douter qu'elle résulte de la consultation du dossier de M. A... au tribunal civil de Diema, et à indiquer que l'extrait du jugement supplétif et du jugement supplétif lui-même, qui comportent deux écritures différentes, n'ont pas été écrits par les mêmes personnes alors qu'ils sont datés du même jour. Dans ces conditions, il ressort de ce jugement supplétif, dont le numéro correspond, ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges, à celui apposé sur l'extrait des minutes du jugement supplétif et sur l'extrait d'acte de naissance communiqués au préfet dans le cadre de la demande de titre de séjour ainsi que sur la copie dudit extrait établi le 3 novembre 2023, que l'identité du requérant doit être regardée comme établie. Par suite, et alors que le préfet de la Gironde ne produit aucun élément relatif aux suites données au signalement qu'il dit avoir effectué auprès du procureur de la République près le tribunal judicaire de Bordeaux, il n'est pas fondé à soutenir que M. A..., par la présentation de documents frauduleux, n'aurait pas justifié de son identité et de sa qualité de jeune majeur pour l'application des dispositions précitées de l'article L.423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

9. Par ailleurs, le préfet de la Gironde ne critique pas le jugement attaqué en tant qu'il a considéré que M. A... remplissait les autres conditions auxquelles les dispositions de l'article L. 423-22 subordonnent la délivrance d'un titre de séjour.

10. Il résulte de ce qu'il précède que le préfet de la Gironde n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, les premiers juges ont annulé les décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français contenues dans l'arrêté du 13 octobre 2023 et lui ont enjoint de délivrer à M. A... un titre de séjour.

Sur les frais liés au litige :

11. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Aymard, sous réserve qu'il renonce à percevoir la part contributive de l'État à l'aide juridictionnelle.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. A... tendant à l'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.

Article 2 : La requête du préfet de la Gironde est rejetée.

Article 3 : L'Etat versera à Me Aymard la somme de 1 200 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. B... A... et à Me Aymard.

Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 10 octobre 2024 à laquelle siégeaient :

M. Luc Derepas, président,

Mme Evelyne Balzamo, présidente de chambre,

Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente-assesseure.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 octobre 2024.

La rapporteure,

Béatrice Molina-Andréo

Le président,

Luc Derepas

La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 24BX01525


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24BX01525
Date de la décision : 31/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. DEREPAS
Rapporteur ?: Mme Béatrice MOLINA-ANDREO
Rapporteur public ?: M. KAUFFMANN
Avocat(s) : AYMARD

Origine de la décision
Date de l'import : 10/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-31;24bx01525 ?
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