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19/12/2024 | FRANCE | N°24BX00781

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 1ère chambre, 19 décembre 2024, 24BX00781


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les arrêtés du 11 février 2024 par lesquels le préfet de la Gironde, d'une part, lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans et, d'autre part, l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours dans le département de la Giron

de avec obligation de se présenter tous les lundis entre 9 heures et 12 heures à la directi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les arrêtés du 11 février 2024 par lesquels le préfet de la Gironde, d'une part, lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans et, d'autre part, l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours dans le département de la Gironde avec obligation de se présenter tous les lundis entre 9 heures et 12 heures à la direction zonale de la police aux frontières du Sud-Ouest.

Par un jugement n° 2401079 du 16 février 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 27 mars 2024, M. D..., représenté par Me Crescence Marie France, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) d'annuler les arrêtés du 11 février 2024 du préfet de la Gironde ;

3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et subsidiairement, de lui accorder le bénéfice provisoire de l'aide juridictionnelle.

Il soutient que :

- la décision d'éloignement est entachée d'une erreur de fait ; le préfet de la Gironde a retenu, à tort, qu'il ne disposait plus de l'autorité parentale sur son fils ;

- le préfet n'a pas procédé à un examen complet de sa situation ;

- cette décision méconnaît les stipulations du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant compte tenu de la présence en France de son fils dont il assume l'éducation et l'entretien ;

- cette décision méconnaît également l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle, notamment en ce qui concerne l'ancienneté de son séjour en France ;

- elle méconnaît, en outre, les dispositions du 3° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il réside régulièrement en France depuis plus de dix ans ;

- la décision portant interdiction de retour en France pour une durée de trois ans est dépourvue de base légale compte tenu de l'illégalité de la décision d'éloignement ;

- elle méconnaît par ailleurs les stipulations du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant assignation à résidence est dépourvue de base légale compte tenu de l'illégalité de la décision d'éloignement.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 avril 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Kolia Gallier Kerjean,

- et les observations de Me Crescence, représentant M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant algérien né le 1er janvier 1972, a fait l'objet d'une interpellation par les forces de l'ordre à la suite de laquelle le préfet de la Gironde a édicté à son encontre, le 11 février 2024, un arrêté portant obligation de quitter sans délai le territoire français, détermination du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire national pour une durée de trois ans ainsi qu'un arrêté portant assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours dans le département de la Gironde avec obligation de se présenter tous les lundis entre 9 heures et 12 heures à la direction zonale de la police aux frontières du Sud-Ouest. Il relève appel du jugement du 16 février 2024 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.

Sur l'arrêté portant obligation de quitter sans délai le territoire français, détermination du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire national pour une durée de trois ans :

2. Pour édicter à l'encontre de M. D... une décision portant obligation de quitter le territoire français ainsi qu'une interdiction de retour sur le territoire national, le préfet de la Gironde a notamment retenu que si l'intéressé se prévalait de la présence en France de son enfant né en 2010 de nationalité tchèque, il ne justifiait pas, à la date de l'arrêté attaqué, disposer de nouveau de l'autorité parentale dont il avait été déchu, de même que la mère de l'enfant, par un jugement du tribunal de district de la République tchèque du 29 mai 2018, qui a confié cette autorité parentale à la grand-mère maternelle de l'enfant. Il ressort des pièces du dossier que, par un jugement du 16 novembre 2023 antérieur à l'arrêté litigieux, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Bordeaux a ordonné la mainlevée de la délégation de l'exercice de l'autorité parentale à l'égard du jeune B... C... au profit de Mme E..., sa grand-mère maternelle, et constaté en conséquence que le père de l'enfant exerçait l'autorité parentale. Par suite, M. D... est fondé à soutenir que l'arrêté litigieux mentionne à tort qu'il ne disposait pas de l'autorité parentale sur son fils à la date de son édiction.

3. Toutefois, si le requérant produit quelques pièces, essentiellement relatives aux années 2018 à 2021, permettant d'établir son lien avec son fils, il ne justifie que de peu d'éléments pour les années les plus récentes. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé, qui indique être entré en France en 2012, s'est vu délivrer un certificat de résidence en raison de son état de santé au mois de mai 2013, régulièrement renouvelé jusqu'au mois de juin 2017, mais qu'il séjourne irrégulièrement sur le territoire national depuis une mesure d'éloignement édictée à son encontre le 3 avril 2019, dont la légalité a été confirmée par le tribunal administratif de Bordeaux le 27 décembre 2019 et par la cour administrative d'appel de Bordeaux le 27 avril 2020. Par ailleurs, si M. D... justifie de quelques activités professionnelles ponctuelles et limitées entre 2014 et 2023, il ressort des pièces du dossier qu'il était, à la date de l'arrêté litigieux, en situation de grande précarité et sans domicile ni ressources lui permettant d'accueillir son fils qui a été admis, avec sa grand-mère maternelle, dans une structure sociale. En outre, le requérant est célibataire et n'établit l'existence d'aucune autre attache privée ou familiale en France que celle de son fils qui a vocation à le suivre et de sa belle-mère qui souhaite pouvoir repartir en République tchèque, alors qu'il est constant qu'il ne sera pas isolé en Algérie où vivent ses parents et son frère. Au regard de l'ensemble de ces éléments, il résulte de l'instruction que le préfet de la Gironde aurait pris la même décision s'il n'avait pas retenu, à tort, que M. D... ne disposait pas de l'autorité parentale sur son fils.

4. Si M. D... indique avoir informé les forces de l'ordre, lors de son interpellation le 10 février 2024, de ce qu'il avait recouvré l'autorité parentale sur son fils, il ressort seulement du procès-verbal de son audition qu'il a indiqué " avoir la charge " de son enfant. Par ailleurs, l'arrêté retrace de façon exacte et suffisamment précise le parcours en France de l'intéressé. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. D....

5. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable à la date de l'arrêté litigieux : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) / 3° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention " étudiant " ; (...) ".

6. A supposer même que M. D... puisse être regardé comme ayant séjourné de façon continue en France depuis plus de dix ans à la date de l'arrêté litigieux, il ressort des pièces du dossier et n'est pas sérieusement contesté par l'intéressé qu'il n'a été en situation régulière qu'entre les mois de mai 2013 et juin 2017. Faute de séjourner régulièrement en France depuis plus de dix ans, le requérant ne peut utilement se prévaloir des dispositions précitées.

7. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

8. Pour les mêmes motifs que ceux indiqués au point 3 ci-dessus, compte tenu en particulier des conditions de séjour en France de M. D... dont le fils a vocation à le suivre en Algérie et quand bien même l'intéressé séjourne depuis une durée conséquente en France, le préfet n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport au but en vue duquel l'arrêté litigieux a été édicté et le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté. Pour les mêmes raisons, le moyen tiré de l'erreur manifeste commise par le préfet dans l'appréciation de sa situation personnelle doit être écarté.

9. Aux termes du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

10. Ainsi qu'il a été indiqué, le fils de M. D..., âgé de dix ans à la date de l'arrêté litigieux, a vocation à suivre son père dans son pays d'origine, celui-ci ne disposant en France que d'une situation extrêmement précaire ne lui permettant pas d'assumer la charge de son enfant. La circonstance que le jeune B..., qui vit avec sa grand-mère maternelle qui souhaite retourner en République tchèque et confier l'enfant à son père, soit scolarisé en France depuis plusieurs années ne saurait, en elle-même, constituer une atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant, dès lors qu'il ne ressort des pièces du dossier aucun obstacle à ce que le jeune B... poursuive sa scolarité en Algérie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.

11. L'ensemble des moyens dirigés contre la décision d'éloignement ayant été écartés, M. D... n'est pas fondé à soutenir que la décision lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans serait dépourvue de base légale compte tenu de l'illégalité de cette décision.

12. Pour les mêmes motifs que ceux exposés précédemment, cette décision ne méconnait ni les stipulations du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant, ni celles de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

Sur l'arrêté portant assignation à résidence :

13. L'ensemble des moyens dirigés contre l'arrêté du 11 février 2024 portant obligation de quitter le territoire français, détermination du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire national pour une durée de trois ans ayant été écartés, M. D... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de cet arrêté au soutien de ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du même jour l'assignant à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Sa requête doit, par suite, être rejetée en toutes ses conclusions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 28 novembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente,

M. Nicolas Normand, président-assesseur,

Mme Kolia Gallier Kerjean, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2024.

La rapporteure,

Kolia Gallier KerjeanLa présidente,

Béatrice Molina-Andréo

La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 24BX00781 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24BX00781
Date de la décision : 19/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MOLINA-ANDREO
Rapporteur ?: Mme Kolia GALLIER
Rapporteur public ?: M. KAUFFMANN
Avocat(s) : CRESCENCE

Origine de la décision
Date de l'import : 29/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-19;24bx00781 ?
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