Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société BTH ingénierie a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015 et des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 2003820 du 23 juin 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a déchargé cette société, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 2015, des cotisations d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 2013 correspondant à la réintégration dans les bases imposables des charges sur exercice antérieur pour un montant de 20 749 euros ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée correspondant à la réintégration en tant que taxe sur la valeur ajoutée déductible, au titre des années 2013 et 2014, de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée sur les loyers des locaux professionnels, et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 26 août 2022 et le 11 septembre 2023, la société BTH ingénierie, représentée par Me Barrois, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 23 juin 2022 du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 et 2014 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 et des pénalités correspondantes ;
3°) de prescrire une expertise judiciaire pour examiner le caractère probant de sa comptabilité au titre des exercices clos en 2013 et 2014 et de déterminer son chiffre d'affaires et le résultat fiscal imposable pour ces exercices ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
Sur la recevabilité :
- contrairement à ce que soutient l'administration, la délimitation financière ne peut être établie à la seule lecture des moyens dirigés spécifiquement contre telle ou telle imposition compte tenu du fait qu'elle conteste la méthode de reconstitution de son chiffre d'affaires, ce qui induit une décharge totale des impositions restant en litige ;
Sur le fond :
- elle n'a pas été en mesure de discuter utilement la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires dès lors que l'administration n'en a pas précisé toutes les modalités d'établissement ;
- le tribunal s'est mépris sur la charge de la preuve en ce que c'est à l'administration de démontrer le bien-fondé de la reconstitution du chiffre d'affaires et du résultat imposable pour 2013 ;
- la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires décidée par le vérificateur est radicalement viciée, trop sommaire et imprécise, dès lors que les produits retenus pour le calcul de l'assiette de l'impôt sur les sociétés dû au titre de l'année 2014 et le montant de la taxe sur la valeur ajoutée collectée au titre des années 2013 et 2014 ont été calculés sur la base des seuls encaissements bancaires sans retraiter les virements de compte à compte et les remboursements ;
- l'administration a rejeté à tort le caractère déductible de charges correspondant à la rémunération de prestations d'expertise comptable au titre des exercices 2011 et 2012, dès lors que le montant de ces prestations n'était connu qu'à la clôture de l'exercice 2013 ;
- l'administration a rejeté à tort le caractère déductible des charges correspondant aux loyers facturés et aux travaux réalisés sur la maison située à Montussan, dès lors qu'elle n'établit pas l'existence d'un acte anormal de gestion ; l'administration n'a pas démontré que le loyer facturé par la société FBI était excessif ; elle a au demeurant produit de nombreux éléments démontrant le caractère normal du montant de ce loyer réglé au cours de la période vérifiée ; cette charge a été exposée dans l'intérêt de la société ; il en va de même en ce qui concerne les travaux réalisés dans la maison de Montussan ;
- l'administration n'aurait pas dû mettre en œuvre la procédure prévue à l'article 117 du code général des impôts dès lors que la société était à même d'assurer et de justifier l'imposition des bénéficiaires des distributions occultes ; l'amende prévue par l'article 1759 du code général des impôts est infondée ;
- l'application de la majoration pour manquement délibérée est infondée dès lors que l'accomplissement intentionnel des infractions n'est pas démontré ;
- une expertise permettrait utilement de déterminer une méthode de reconstitution du chiffre d'affaires et du résultat fiscal.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 3 mars 2023 et le 26 septembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de constater qu'il n'y a plus lieu de statuer à hauteur de la somme de 20 226 euros qui a fait l'objet d'un dégrèvement ;
2°) de rejeter les conclusions d'appel de la société BTH ingénierie ;
3°) par la voie du recours incident, de prononcer l'annulation de l'article 2 du jugement attaqué qui prononce la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de l'exercice clos en 2013 et de procéder au rétablissement de ces impositions.
Il soutient que :
Sur le non-lieu à statuer :
-compte tenu des dégrèvements intervenus au stade de l'appel, il n'y a plus lieu de statuer à hauteur de la somme de 20 226 euros correspondant au montant dégrevé ;
Sur la recevabilité de l'appel principal :
- l'étendue financière du litige doit être limitée aux rectifications en matière d'impôts sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée contestés par des moyens spécifiques présentés en appel conformément à l'article R. 411-1 du code de justice administrative.
Sur le fond de l'appel principal :
-les moyens de la requérante ne sont pas fondés.
Sur l'appel incident :
- le jugement est insuffisamment motivé s'agissant du bien fondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre des prestations d'expertise comptable comptabilisées par la société le 31 décembre 2013 ; il est entaché d'erreur de droit dès lors qu'il tire les conséquences en matière de TVA de l'application des articles 38 et 39 du code général des impôts relatifs à l'impôt sur les sociétés ;
- c'est à tort que le tribunal, à l'article 2 du jugement attaqué, a déchargé la société BTH Ingénierie en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de l'exercice clos en 2013, correspondant à la réintégration dans les bases imposables de charges sur exercice antérieur d'un montant de 20 749 euros ;
- premièrement, le tribunal, d'une part, ne s'est pas prononcé sur le bien-fondé du rappel de TVA notifié au titre des prestations comptables réalisées en 2011 et 2012 par Mme B..., entachant sa décision d'une insuffisance de motivation ; d'autre part, en tirant des conséquences en matière de TVA tout en visant uniquement les dispositions des articles 39-1-1° et 38-2 du CGI, le tribunal a commis une erreur de droit ;
- deuxièmement, s'agissant du rehaussement du résultat imposable à l'impôt sur les sociétés, en jugeant que les charges afférentes à des prestations comptables réalisées en 2011 et 2012 n'étaient certaines dans leur principe et dans leur montant qu'en 2013, le tribunal a commis une erreur d'appréciation.
Par une ordonnance du 27 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu le 23 octobre 2023.
Par une décision n° 499838 du 20 décembre 2024, le président de la 3ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'Etat a rejeté la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime présentée par la société BTH Ingénierie.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Caroline Gaillard,
- et les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée (Sas) BTH ingénierie a pour activité la réalisation d'expertises judiciaires et de prestations d'ingénierie concernant la sécurité des bâtiments recevant du public. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 et d'un contrôle sur pièces au titre de l'exercice clos en 2015, à l'issue desquels le service lui a notifié, par proposition de rectification du 9 novembre 2016, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2013 et 2014 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014, pour un montant total, en droits et majorations, de 328 337 euros. Pour l'année 2015, à défaut de dépôt de déclarations en matière d'impôt sur les sociétés, le service a engagé la procédure d'évaluation d'office et lui a notifié des rehaussements d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, d'un montant total de 145 016 euros, par une proposition de rectification du 17 décembre 2018. La société BTH ingénierie a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de prononcer la décharge de ces impositions.
2. Par un jugement du 23 juin 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a déchargé la société BTH ingénierie, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de l'année 2015, des cotisations d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 2013 correspondant à la réintégration dans les bases imposables des charges sur exercice antérieur pour un montant de 20 749 euros ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée correspondant à la réintégration en tant que taxe sur la valeur ajoutée déductible au titre des années 2013 et 2014 de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée sur les loyers des locaux professionnels, et a rejeté le surplus de sa demande. La société BTH ingénierie relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande. Le ministre conclut au non-lieu à statuer à hauteur de la somme de 20 226 euros correspondant au dégrèvement intervenu au stade de l'appel, au rejet de la demande de la société BTH ingénierie et, par la voie de l'appel incident, à l'annulation de l'article 2 du jugement attaqué prononçant la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée au titre de l'année 2013 et en conséquence au rétablissement des impositions, en droit et pénalités, mises à la charge de la société en matière d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée au titre de l'exercice clos en 2013, correspondant à la réintégration dans les bases imposables de charges sur exercice antérieur d'un montant de 20 749 euros.
Sur l'étendue du litige :
3. De première part, l'administration ayant procédé en cours d'instance d'appel, par une décision du 2 mars 2023, au dégrèvement de la somme de 18 159 euros relative à des rehaussements et pénalités mis à la charge de la société au titre de l'exercice clos en 2014 en considération de trois virements bancaires de compte à compte pour des sommes respectives de 10 000 euros, 10 000 euros et 11 000 euros correspondant à un rehaussement en base de 25 833 euros et un rappel de TVA de 5 167 euros, les conclusions de la requête relative à ces impositions et pénalités sont devenues sans objet.
4. De deuxième part, en exécution du jugement attaqué, par une décision du 13 juillet 2022 antérieure à la requête d'appel, l'administration a procédé au dégrèvement de la somme totale, en droits et pénalités, de 208 183 euros correspondant à des rehaussements et des pénalités mis à la charge de la société BTH ingénierie au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015. Les conclusions de la requête relatives à la part de ces impositions et pénalités, non contesté dans le cadre de l'appel incident de l'administration, sont irrecevables. En revanche, en tant qu'il concerne les impositions mises à la charge de la société BTH ingénierie en matière d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée au titre de l'exercice clos en 2013, correspondant à la réintégration dans les bases imposables de charges sur exercice antérieur d'un montant de 20 749 euros, le litige n'est pas privé d'objet.
5. De troisième part, compte tenu des moyens invoqués par la société BTH ingénierie, critiquant notamment la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires dans son ensemble et des conclusions de cette société tendant à la décharge des impositions restant en litige, l'étendue financière du litige ne peut, contrairement à ce que soutient l'administration, être réduite aux seules rectifications faisant l'objet de moyens spécifiques.
Sur l'appel principal :
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :
S'agissant du rejet de la comptabilité :
6. Il résulte de l'instruction que, pour rejeter la comptabilité de la société BTH ingénierie au titre des exercices clos en 2013 et 2014, le service vérificateur a notamment relevé les difficultés à obtenir la comptabilité de cette société, inachevée s'agissant de l'exercice clos en 2014, et les nombreuses anomalies des écritures comptables, notamment l'utilisation d'un compte client unique rendant impossible le suivi des encaissements. Par suite, c'est à bon droit que le service a rejeté la comptabilité de la société comme non probante au titre de ces exercices.
S'agissant de la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires :
Quant à l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2013 et aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 :
7. Aux termes de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales : " Lorsque, ayant donné son accord à la rectification ou s'étant abstenu de répondre dans le délai légal à la proposition de rectification, le contribuable présente cependant une réclamation faisant suite à une procédure contradictoire de rectification, il peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition, en démontrant son caractère exagéré ". En application du premier alinéa de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales, la société BTH ingénierie ayant contesté ces impositions mises à sa charge dans le cadre de la procédure contradictoire, la charge de la preuve du bien-fondé de la reconstitution du chiffre d'affaires de cette société incombe à l'administration fiscale.
8. Pour reconstituer le chiffre d'affaires de la société BTH ingénierie, soumise à la TVA comme à l'impôt sur les sociétés, le service vérificateur a examiné les montants crédités sur les deux comptes bancaires de cette société obtenus auprès des établissements bancaires par le biais du droit de communication. Ces données, qui sont propres à l'entreprise, lui ont permis de reconstituer en détail les encaissements à prendre en compte pour établir le montant de la TVA collectée, laquelle s'établissait au taux normal, et le chiffre d'affaires réalisé. Le service vérificateur a relevé que l'ensemble des opérations réalisées par la société était soumis à la TVA au taux normal et a, par suite, déterminé le montant hors taxe des recettes encaissées et la TVA y afférente, et comparé les montants ainsi obtenus avec les montants déclarés sur la déclaration de résultat déposée pour l'exercice clos en 2013 et les déclarations de TVA des années 2013 et 2014. Le fait générateur pour l'impôt sur les sociétés et l'exigibilité pour la TVA étant constitués par l'encaissement des sommes correspondantes, cette méthode a permis au service de reconstituer les bases imposables telles qu'elles auraient dû être déclarées par la société BTH ingénierie. Si cette société soutient que, pour le calcul des bases d'imposition, l'administration n'aurait pas retraité tous les virements de compte à compte, les " potentiels remboursements en crédit ", certaines charges déductibles en matière d'impôt sur les sociétés et les éventuels taux de taxe sur la valeur ajoutée, elle n'apporte aucun justificatif à l'appui de ses allégations. Dans ces conditions, l'administration apporte la preuve qui lui incombe du bien-fondé de la reconstitution du chiffre d'affaires de la société BTH Ingéniérie auquel elle a procédé.
Quant à l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2014 :
9. Aux termes de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales : " Dans tous les cas où une imposition a été établie d'office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition. ". L'article R. 193-1 du même livre dispose : " Dans le cas prévu à l'article L. 193 le contribuable peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition mise à sa charge en démontrant son caractère exagéré ". Il résulte de l'instruction qu'en l'absence de déclaration de résultats au titre de l'exercice 2014, le service a taxé d'office la société BTH ingénierie, à qui il appartient dès lors soit d'établir le caractère radicalement vicié ou excessivement sommaire de la reconstitution du chiffre d'affaires effectuée par l'administration, soit de proposer une méthode de reconstitution plus précise que celle proposée par le service.
10. Ainsi qu'il a été dit au point 8, la méthode suivie par l'administration a été fondée sur les données propres de l'entreprise obtenues dans le cadre du droit de communication. La société requérante soutient que la méthode suivie est radicalement viciée ou excessivement sommaire. A cet égard, si elle a identifié trois virements de compte à compte pour des montants respectifs de 10 000 euros, 10 000 euros et 11 000 euros, effectués en septembre et en novembre 2014, qui n'auraient pas été pris en compte par le service, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que l'administration a accepté, en cours d'instance d'appel, de procéder au dégrèvement des impositions correspondant à ces trois virements de compte à compte. En l'absence d'autres éléments précis et étayés permettant de remettre en cause la méthode utilisée, et à défaut de proposer une méthode de reconstitution plus précise que celle proposée par le service, la société BTH Ingéniérie, en se bornant à produire postérieurement aux années vérifiées la déclaration de résultat reconstituée, n'apporte pas la preuve qui lui incombe, du caractère radicalement vicié ou excessivement sommaire de la méthode de reconstitution utilisée par le service.
S'agissant de la déductibilité des charges de loyers et de travaux :
Quant aux charges relatives aux loyers facturés à la société BTH ingénierie par la société Foncière C... Investissement (FBI) pour 2013 et 2014 :
11. En vertu des dispositions de l'article 39 du code général des impôts, le bénéfice imposable est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale. Le versement par une société d'un loyer excessif au regard des conditions du marché au profit d'une autre société ne relève pas, en règle générale, d'une gestion commerciale normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant de tels avantages, l'entreprise a agi dans son propre intérêt. S'il appartient à l'administration, dans l'hypothèse d'une rectification contradictoire, d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour qualifier un acte anormal de gestion, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que l'entreprise n'est pas en mesure de justifier qu'elle a bénéficié en retour de contreparties.
12. Lorsqu'une société bénéficie d'un loyer délibérément majoré par rapport aux loyers de biens comparables, sans que cet écart de prix ne comporte de contrepartie, l'avantage ainsi octroyé doit être regardé comme une libéralité consentie à cette société. La preuve d'une telle libéralité doit être regardée comme apportée par l'administration lorsqu'est établie l'existence, d'une part, d'un écart significatif entre le montant du loyer par rapport aux loyers de biens comparables pratiqués sur le marché et, d'autre part, d'une intention, pour le locataire, d'octroyer, et, pour la société bailleresse, de recevoir une libéralité du fait du montant excessif du loyer. Cette intention est présumée lorsque les parties sont en relation d'intérêts.
13. Il résulte de l'instruction que, durant la période du 17 novembre 2009 au 18 mai 2012, la société BTH ingénierie était titulaire d'un bail commercial, signé en 2009, relatif à des locaux professionnels qu'elle occupait et pour lesquels elle versait un loyer annuel de 21 450 euros à la société " 43 avenue Lafontaine ". A compter du 18 mai 2012, elle a été remplacée dans ses contrats par la société FBI qui lui a alors sous-loué ces locaux pour un loyer annuel de 72 000 euros comprenant 12 000 euros de charges.
14. Pour remettre en cause la déductibilité des charges correspondant aux loyers facturés par la société FBI à la société BTH ingénierie, l'administration a relevé que le montant du loyer annuel avait été triplé à compter de la reprise du bail par la société FBI. Elle a estimé que cette surfacturation constituait un acte anormal de gestion. Si la société requérante fait à cet égard valoir que le bail initial ne comportait pas de locaux aménagés, elle ne justifie ni que le changement de bail aurait été effectué dans son intérêt, alors qu'elle a en partie supporté le coût de l'aménagement et de l'équipement des bureaux dans le cadre du précédent bail, ni la hausse significative de 300% du loyer dû. Si elle produit une expertise immobilière de M. A... justifiant du montant des loyers, cette étude a été réalisée en 2017 alors que l'augmentation de loyer date de 2012 et fixe un prix au mètre carré par comparaison, sans préciser comment cette comparaison a été effectuée, ni quels sont les immeubles ayant été retenus comme comparables. En outre, les deux offres produites par la société requérante ont été émises au cours de l'année 2022, soit plus de dix ans après la signature du bail avec la société FBI. Dans ces conditions, et compte tenu des liens unissant les deux sociétés qui ont les mêmes dirigeants de droit et de fait, l'administration apporte la preuve qui lui incombe que le montant du loyer versé par la société BTH ingénierie est excessif et constitue ainsi un acte anormal de gestion. Il suit de là que c'est à bon droit qu'elle a rectifié en conséquence les résultats de la société BTH ingénierie quand bien même elle s'est elle-même acquittée de la TVA.
Quant aux charges correspondant aux travaux engagés sur la maison d'habitation du gérant de la société BTH ingénierie au titre de 2013 et 2014 :
15. Il résulte de l'instruction que le service a remis en cause la déductibilité des charges correspondant à des travaux réalisés par la société requérante dans une maison située à Montussan qui constitue la résidence principale de son gérant. En se bornant à faire valoir que son gérant, M. C..., serait soumis à des astreintes, la société BTH ingénierie ne produit aucun élément de nature à établir que ces travaux auraient été engagés dans l'intérêt de l'entreprise alors qu'il n'est pas allégué qu'il s'agirait d'un élément de rémunération de l'intéressé. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a rectifié les résultats de la société sur ce point et a refusé de déduire la taxe sur la valeur ajoutée afférente à ces travaux.
En ce qui concerne les pénalités :
S'agissant de l'amende prévue par l'article 1759 du code général des impôts :
16. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; (...) ". Selon l'article 117 du même code : " Au cas où la masse des revenus distribués excède le montant total des distributions tel qu'il résulte des déclarations de la personne morale visées à l'article 116, celle-ci est invitée à fournir à l'administration, dans un délai de trente jours, toutes indications complémentaires sur les bénéficiaires de l'excédent de distribution. (...) ". Enfin, selon l'article 1759 du même code : " Les sociétés et les autres personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés qui versent ou distribuent, directement ou par l'intermédiaire de tiers, des revenus à des personnes dont, contrairement aux dispositions des articles 117 et 240, elles ne révèlent pas l'identité, sont soumises à une amende égale à 100 % des sommes versées ou distribuées. Lorsque l'entreprise a spontanément fait figurer dans sa déclaration de résultat le montant des sommes en cause, le taux de l'amende est ramené à 75 % ".
17. Il résulte de l'instruction que le service a considéré que les rehaussements opérés sur les exercices 2013 et 2014 constituaient des revenus réputés distribués au sens de l'article 109 du code général des impôts et a demandé à la société BTH Ingénierie, à l'occasion de la proposition de rectification du 9 novembre 2016, et en application de la procédure prévue à l'article 117 du code général des impôts, de lui transmettre la liste des bénéficiaires de ces revenus distribués dans le délai de trente jours. Des demandes complémentaires lui ont été adressées pour compléter cette liste. Par un courrier du 5 décembre 2017, l'administration a rejeté la liste qui lui avait été communiquée en considérant qu'elle n'était pas vraisemblable. Contrairement à ce que soutient la société BTH Ingénierie, la circonstance que l'administration connaisse ou soit susceptible de connaître les bénéficiaires de sommes regardées comme des revenus réputés distribués n'est pas de nature à lui interdire d'inviter la société distributrice à désigner l'identité et l'adresse des bénéficiaires dans un délai de trente jours, dans les conditions prévues par l'article 117 du code général des impôts, et ne fait obstacle ni à ce qu'elle applique à cette société, à défaut de toute réponse, l'amende prévue par l'article 1759 du même code, ni à ce qu'une réponse tardive ou manifestement incomplète ou insuffisante soit assimilée à un défaut de réponse. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions citées au point précédent doit être écarté.
S'agissant de la majoration pour manquement délibéré :
18. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; (...) ". Il incombe à l'administration d'apporter la preuve, lorsqu'elle applique cette majoration, que le contribuable a procédé, par l'insuffisance, l'inexactitude ou le caractère incomplet de ses déclarations, à un manquement délibéré, dans l'intention d'éluder l'impôt.
19. En relevant l'importance des minorations constatées et la répétition de ces minorations sur l'ensemble de la période vérifiée, l'administration établit que la société ne pouvait ignorer qu'elle minorait son résultat imposable et le montant de taxe de la valeur ajoutée dont elle devait s'acquitter. Par suite, l'administration apporte la preuve, qui lui incombe, du bien-fondé de la majoration pour manquement délibéré mise à la charge de la société BTH Ingénierie au titre des années 2013 et 2014.
20. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que la société BTH ingénierie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté le surplus de sa demande en décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés pour les exercices clos en 2013 et 2014 auxquelles elle a été assujettie et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de l'année 2014.
Sur le recours incident du ministre :
21. D'une part, aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature, les dépenses de personnel et de main-d'œuvre, le loyer des immeubles dont l'entreprise est locataire / (...) ". Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive. En vertu de ces principes, lorsqu'une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis. La seule circonstance que l'entreprise n'aurait pas suffisamment répondu à ces demandes d'explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, l'administration devant alors fournir devant le juge tous éléments de nature à étayer sa contestation du caractère déductible de la dépense. Le juge de l'impôt doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration.
22. D'autre part, aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. / 2. Le droit à déduction prend naissance lorsque la taxe déductible devient exigible chez le redevable. (...) II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : / a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures ". Les dispositions de l'article 242 nonies A, devenues le I de cet article, de l'annexe II au code général des impôts précisent que : " Les mentions obligatoires qui doivent figurer sur les factures en application du II de l'article 289 du code général des impôts sont les suivantes : 1° Le nom complet et l'adresse de l'assujetti et de son client /(...)/ 8° Pour chacun des biens livrés ou des services rendus, la quantité, la dénomination précise, le prix unitaire hors taxes et le taux de taxe sur la valeur ajoutée légalement applicable ou, le cas échéant, le bénéfice d'une exonération ; (...)".
23. Il résulte de l'instruction que la société BTH ingénierie a comptabilisé, le 31 décembre 2013, au compte 672, une première charge, libellée " Charges ex. antérieur 2010/2011 " d'un montant de 10 284 euros, et une seconde charge, libellée " Charges ex. antérieur 2012 " d'un montant de 10 465,35 euros. Ces deux charges correspondent à des prestations de services accomplies en 2011 et 2012 par Mme B..., comptable, et la société a déduit, au cours de l'année 2013, la taxe sur la valeur ajoutée afférente à ces prestations pour un montant total de 5 420,93 euros. Pour justifier de l'inscription en charges de ces prestations d'expertise comptable, la société BTH ingénierie s'est prévalue devant l'administration d'un document intitulé " facturation année 2013 ", portant sur un montant de 33 076,45 euros, se rapportant aux années 2010, 2011, 2012 et 2013. Il résulte toutefois de l'instruction, notamment de la proposition de rectification du 9 décembre 2016, que ce document, qui ne comporte aucun détail des prestations rendues et ne mentionne pas le montant de la taxe sur la valeur ajoutée, ne peut constituer une facture régulière permettant de justifier du bien-fondé de l'inscription en charge des sommes correspondantes à ces prestations. En outre, ce document a été établi par la société Aquitaine Pro et Conseil dont la création date seulement du 1er janvier 2012. Il ne pouvait donc prendre en compte des prestations antérieures à 2012.
24. En l'absence de tout autre élément, c'est donc à bon droit que l'administration a réintégré la somme de 20 749 euros correspondant au montant des prestations d'expertise réalisées en 2011 et 2012 dans le résultat imposable à l'impôt sur les sociétés de la société BTH ingénierie et qu'elle a également écarté la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée correspondante.
25. Il suit de là, sans qu'il soit besoin d'examiner sa régularité, que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a prononcé la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels la société BTH ingénierie a été assujettie au titre de l'année 2013 correspondant à la réintégration dans les bases imposables des charges sur exercice antérieur pour un montant de 20 749 euros.
Sur les frais liés à l'instance :
26. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme demandée par la société requérante au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer à hauteur de la somme de 18 159 euros correspondant au dégrèvement intervenu par décision du 2 mars 2023.
Article 2 : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 23 juin 2022 est annulé.
Article 3 : Les cotisations d'impôt sur les sociétés et les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la société BTH ingenierie au titre de l'année 2013 correspondant à la réintégration dans les bases imposables des charges sur exercice antérieur pour un montant de 20 749 euros sont rétablis.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société BTH ingénierie et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie sera adressée à la direction de contrôle fiscal sud-ouest.
Délibéré après l'audience du 19 décembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Karine Butéri, présidente,
M. Stéphane Gueguein, président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 janvier 2025.
La rapporteure,
Caroline Gaillard
La présidente,
Karine Butéri
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22BX02342