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14/01/2025 | FRANCE | N°21BX04569

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 4ème chambre, 14 janvier 2025, 21BX04569


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'association Vive la forêt (VLF) et l'association des riverains du lac de Lacanau (ARLL) ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 22 janvier 2021 par lequel la préfète de la Gironde a autorisé le défrichement de parcelles de bois situées sur les parcelles cadastrées section AK n° 1 et n° 41 situées sur le territoire de la commune de Lacanau.



Par un jugement n° 2100594 du 22 octobre 2021, le tribunal administratif de B

ordeaux a annulé l'arrêté du 22 janvier 2021.



Procédure devant la cour :

Par une...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Vive la forêt (VLF) et l'association des riverains du lac de Lacanau (ARLL) ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 22 janvier 2021 par lequel la préfète de la Gironde a autorisé le défrichement de parcelles de bois situées sur les parcelles cadastrées section AK n° 1 et n° 41 situées sur le territoire de la commune de Lacanau.

Par un jugement n° 2100594 du 22 octobre 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 22 janvier 2021.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 17 décembre 2021 et le 18 octobre 2022, la société en nom collectif Moutchic, anciennement société civile de construction vente, représentée par Me Bonneau, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 22 octobre 2021 du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'il annule l'arrêté du 22 janvier 2021 par lequel la préfète de la Gironde a autorisé le défrichement de parcelles de bois situées sur les parcelles cadastrées AK1 et AK41 sur la commune de Lacanau ;

2°) de mettre à la charge de l'association Vive la forêt et de l'association des riverains du lac de Lacanau le paiement de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif de Bordeaux a commis une erreur de droit en considérant que le terrain d'assiette du projet s'intégrait dans une unité paysagère d'ensemble et en qualifiant la totalité de l'unité foncière d'espace remarquable ;

- le terrain d'assiette du projet ne constitue pas, en lui-même, un espace remarquable au sens des articles L. 121-23 et R. 121-4 du code de l'urbanisme ; la plus grande majorité de l'unité foncière a été anthropisé avant même que ne soit réalisé le lotissement limitrophe du terrain; des bâtiments ont été édifiés et des voies ont été réalisées sur la totalité de la surface du terrain pour les desservir ; ce terrain est par ailleurs dépourvu d'intérêt écologique, dès lors qu'il n'est inclus dans aucune zone naturelle d'intérêt écologique floristique et faunistique (ZNIEFF), zone importante pour la conservation des oiseaux (ZICO) ou zone Natura 2000 et ne fait pas l'objet d'une protection spécifique ; aucune étude réalisée au stade de l'élaboration des documents d'urbanisme ne justifie que le terrain d'assiette soit regardé comme constituant un espace naturel remarquable ; en raison de la faible densité d'arbres et de leur état, du statut de friche d'une partie majeure du terrain, le PLU a pu classer une partie du terrain en zone " à urbaniser " ;

- le terrain d'assiette ne participe pas à la préservation de l'espace remarquable forestier de pins maritimes, et ne saurait de ce fait constituer une unité paysagère avec lui, compte tenu de ses caractéristiques ; la protection écologique du terrain est inopérante s'agissant de la qualification d'une unité paysagère, qui tient à la nécessité de préserver l'espace naturel ; le terrain d'assiette fait état d'une faible densité d'arbres qui étaient, avant leur coupe, pour la majorité d'entre eux malades de sorte que le terrain d'assiette rompt toute possibilité d'unité paysagère ;

- la consultation du public a été régulièrement menée, conformément à l'article L. 123-9 du code de l'environnement ;

- l'étude d'impact est suffisante s'agissant des impacts du défrichement sur les espèces protégées en application de l'article L. 110-1 du code de l'environnement ;

- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 121-6 du code de l'urbanisme est inopérant ;

- la circonstance que l'une des prescriptions émises par l'architecte des bâtiments de France n'aurait pas été suivie n'est pas de nature à entacher d'illégalité l'autorisation de défrichement ;

- l'allégation selon laquelle l'autorisation aurait dû concerner un terrain plus vaste que celui déclaré ne justifie pas l'annulation de l'arrêté attaqué ;

- le défrichement dans la bande des cents mètres du littoral n'est pas interdit au regard de l'article L. 121-16 du code de l'urbanisme ;

- le moyen tiré de la méconnaissance des règles de la zone NR du plan local d'urbanisme n'est pas fondé ; la piste réalisée doit être regardée comme respectant le caractère naturel du lieu et comme un aménagement léger au sens de l'article R. 121-5 du code de l'urbanisme ;

- l'arrêté attaqué n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation s'agissant de l'application de l'article L. 341-5 du code forestier ;

- le moyen tiré de l'insuffisance de la compensation forestière n'est pas fondé.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 28 mars 2022, la commune de Lacanau, représentée par la SELAS Cazamajour et Urbanlaw, demande à la cour d'annuler le jugement n° 2100594 du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'il annule l'arrêté du 22 janvier 2021 par lequel la préfète de la Gironde a autorisé le défrichement de parcelles de bois situées sur les parcelles cadastrées AK1 et AK41.

Elle soutient que :

- son intervention est recevable ; elle justifie d'un intérêt suffisant au maintien de l'arrêté attaqué ;

- le tribunal a commis une erreur de droit et une erreur de fait en qualifiant le terrain d'assiette du projet d'espace naturel remarquable, dès lors qu'il se présente comme une zone altérée par l'activité humaine et s'inscrit dans l'enveloppe d'un village existant au sens de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme ; le schéma de cohérence territoriale (SCOT) des lacs médocains écarte le secteur du Moutchic/Carreyre, des espaces naturels remarquables au titre de la loi littoral pour l'inclure dans les espaces urbanisés du territoire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 mai 2022, l'association Vive la forêt et l'association les riverains du lac de Lacanau, représentées par Me Ruffié, concluent :

1°) au rejet de la requête de la société Moutchic ;

2°) à titre subsidiaire, en cas d'annulation du jugement, à l'annulation de l'arrêté du 22 janvier 2021 ;

3°) à ce que leur soient communiqués les documents examinés lors de la réunion de cadrage du 21 mai 2019 ;

4°) à ce que soit mis à la charge de la société Moutchic et de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- elles justifient d'un intérêt à agir contre l'arrêté attaqué ;

- le terrain d'assiette du projet constitue un espace naturel remarquable au sens de l'article L. 121-23 et de l'article R. 121-4 du code de l'urbanisme ; l'artificialisation ancienne ne fait pas perdre le caractère de site remarquable " par principe " ; l'autorisation concerne un espace forestier ancien et nullement un site anthropisé ; la majorité du défrichement se fait au sein d'un espace qui n'a jamais connu de construction et le projet ne permet pas de considérer qu'il s'agit de réinvestir une friche, en s'éloignant au contraire des espaces anciennement construits ;

- l'espace est nécessaire au maintien des équilibres biologiques et/ou présente un intérêt écologique ; la présence d'oiseaux sauvages protégés au titre de la directive 2009/147/CE du parlement européen doit être prise en compte ; des espèces protégées floristiques " lotier velu " sont présentes au sein de l'emprise de l'autorisation de défrichement ; toute la forêt dunaire contribuant à la stabilisation du système dunaire doit être protégée ;

- il s'agit d'un espace boisé d'un seul tenant ayant les mêmes caractéristiques que la partie classée en NR au plan local d'urbanisme (PLU) de la commune, formant une unité paysagère entre la dune et le lac ;

- à titre subsidiaire, si la cour ne retenait pas le moyen tendant à la caractérisation d'un espace remarquable du littoral, par l'effet dévolutif de l'appel, d'autres moyens de la requête de première instance sont de nature à justifier son annulation ;

- la consultation du public n'a pas été régulièrement menée, en méconnaissance de l'article L. 123-9-1 du code de l'environnement ;

- l'étude d'impact n'est pas suffisante s'agissant des impacts du défrichement sur les espèces protégées en application de l'article L. 110-1 du code de l'environnement ; aucune note de contexte ne permettait au public de comprendre pourquoi sur une étendue forestière de 12 ha seulement 3,54 hectares étaient soumis à défrichement ;

- l'absence de référence dans l'étude d'impact à la destruction accidentelle, la capture du lézard des murailles, la destruction et l'altération de l'habitat de 29 espèces protégées, et la destruction du lotier velu n'a pas permis une compréhension des enjeux par le public, s'agissant du respect de l'article L. 341-5 du code forestier ;

- l'arrêté attaqué méconnait l'article R. 121-6 du code de l'urbanisme ;

- l'avis de l'architecte des bâtiments de France (ABF) est nécessaire pour toute autorisation délivrée au titre du code de l'environnement ; il n'a pas été recueilli s'agissant du défrichement ;

- l'arrêté ignore les prescriptions émises par l'architecte des bâtiments de France ;

- la détermination du périmètre de l'autorisation de défrichement est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- le défrichement dans la bande des cents mètres du littoral n'est pas autorisé au regard de l'article L. 121-16 du code de l'urbanisme ;

- l'arrêté attaqué méconnait les règles fixées par la zone NR du plan local d'urbanisme ; il entraîne un empiètement de 8 900 m² en zone NR du PLU ; la desserte n'est nécessaire que pour la protection des bâtiments créés et ne peut constituer une exception au titre de l'article L. 341-2 du code forestier ; un défrichement sur 50 mètres de large, ne laissant subsister que quelques sujets, ne relève pas d'un aménagement léger ;

- la demande d'autorisation porte atteinte à un espace remarquable tel que le protège le PLU de la commune de Lacanau, mais également à la bande littorale ; la réserve boisée de seulement 0,1580 ha est insuffisant à préserver ce site inscrit ; compte tenu des spécificités du site (site inscrit entourant le site classé du lac de Lacanau, enchâssé dans des espaces littoraux remarquables et éligible lui-même au statut d'espace littoral remarquable), en n'ajustant pas le périmètre de l'aire de défrichement au strict nécessaire pour le projet tel qu'il existe aujourd'hui, l'autorisation délivrée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- l'alinéa 8 de l'article L. 341-5 du code forestier a été méconnu ;

- l'accès prévu au sud est situé à 305 mètres de l'accès situé au nord, en méconnaissance du plan de prévention des risques d'incendie de forêt (PPRIF) de la commune de Lacanau ;

- la surface à compenser est insuffisante ; concernant la localisation du boisement compensateur, l'arrêté est insuffisant en tant qu'il s'écarte des lignes directrices.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 septembre 2023, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire déclare s'en remettre à la sagesse de la cour.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bénédicte Martin,

- les conclusions de Mme Pauline Reynaud, rapporteure publique,

- et les observations de Me Vieira, pour les associations Vive la forêt et des riverains du lac de Lacanau et de Me Chatel pour la commune de Lacanau.

Considérant ce qui suit :

1. Le 25 février 2020, la société civile de construction vente (SCCV) Moutchic a déposé un dossier de demande d'autorisation de défrichement, déclaré complet le 29 avril 2020, portant sur une superficie de 3,5463 hectares de bois situés sur les parcelles section AK n°s 1 et 41, au lieu-dit " le Moutchic " en bordure du lac, sur le territoire de la commune de Lacanau, dans le cadre d'un projet de création d'un pôle médico-social comprenant une résidence autonomie de 53 appartements, un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) de 62 chambres, un pôle de santé et une crèche. Par un arrêté du 22 janvier 2021 la préfète de la Gironde a autorisé le défrichement de parcelles de bois pour une surface totale de 3,3883 hectares. L'association Vive la forêt et l'association des riverains du lac de Lacanau ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 22 janvier 2021. La société Moutchic relève appel du jugement n° 2100594 du 22 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 22 janvier 2021.

Sur la recevabilité de l'intervention de la commune de Lacanau :

2. La commune de Lacanau soutient être propriétaire des parcelles, objet de la demande d'autorisation de défrichement, laquelle a été déposée avec son accord et s'inscrit dans un projet de vente et de réalisation d'un projet d'intérêt général à vocation médico-sociale. Par suite, elle justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et l'objet du litige. Son intervention doit être admise.

Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif de Bordeaux :

3. Pour annuler l'arrêté attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a jugé que le terrain d'assiette du projet de défrichement, situé entre Carreyre et Le Moutchic, s'intégrait dans une unité paysagère d'ensemble caractérisée notamment par une continuité boisée depuis la zone littorale du lac de Lacanau jusqu'à la dune boisée, " espace boisé classé ", classée en zone NR, et devait être regardé comme constituant un espace naturel remarquable. Il en a ainsi déduit que l'arrêté d'autorisation de défrichement avait été pris en méconnaissance des dispositions des articles L. 121-23 et R. 121-4 du code de l'urbanisme.

4. Aux termes de l'article L. 121-23 du code de l'urbanisme : " Les documents et décisions relatifs à la vocation des zones ou à l'occupation et à l'utilisation des sols préservent les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques. / Un décret fixe la liste des espaces et milieux à préserver, comportant notamment, en fonction de l'intérêt écologique qu'ils présentent, les dunes et les landes côtières, les plages et lidos, les forêts et zones boisées côtières, les îlots inhabités, les parties naturelles des estuaires, des rias ou abers et des caps, les marais, les vasières, les zones humides et milieux temporairement immergés ainsi que les zones de repos, de nidification et de gagnage de l'avifaune désignée par la directive 79/409 CEE du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages ". Aux termes de l'article R. 121-4 du même code : " En application de l'article L. 121-23, sont préservés, dès lors qu'ils constituent un site ou un paysage remarquable ou caractéristique du patrimoine naturel et culturel du littoral et sont nécessaires au maintien des équilibres biologiques ou présentent un intérêt écologique : / 1° Les dunes, les landes côtières, les plages et les lidos, les estrans, les falaises et les abords de celles-ci ; / 2° Les forêts et zones boisées proches du rivage de la mer et des plans d'eau intérieurs d'une superficie supérieure à 1 000 hectares ; (...) / 6° Les milieux abritant des concentrations naturelles d'espèces animales ou végétales (...) ainsi que les espaces délimités pour conserver les espèces en application de l'article L. 411-2 du code de l'environnement et les zones de repos, de nidification et de gagnage de l'avifaune désignée par la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages ; / 7° Les parties naturelles des sites inscrits ou classés en application des articles L. 341-1 et L. 341-2 du code de l'environnement (...) ".

5. Le juge de l'excès de pouvoir exerce un contrôle normal sur l'application des dispositions de l'article L. 121-23 du code de l'urbanisme en vertu desquelles les documents et décisions relatifs à la vocation des zones ou à l'occupation et à l'utilisation des sols préservent les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques.

6. Pour apprécier si les parcelles en litige présentent le caractère de site ou paysage remarquable à protéger au sens du premier alinéa de l'article L. 121-23 du code de l'urbanisme, l'autorité compétente ne peut se fonder sur leur seule continuité avec un espace présentant un tel caractère, sans rechercher si elles constituent avec cet espace une unité paysagère justifiant dans son ensemble cette qualification de site ou paysage remarquable à préserver.

7. Le règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Lacanau indique que la zone NR correspond aux espaces remarquables au titre de la loi littoral.

8. L'arrêté litigieux autorise le défrichement des parcelles cadastrées section AK n° 1 et n° 41, sur une surface de 3,3883 hectares située en partie dans la bande littorale des cents mètres du lac de Lacanau. Il ressort des pièces du dossier que ces parcelles sont pour partie classées en zone NR du plan local d'urbanisme (PLU) de la commune de Lacanau, approuvé le 11 mai 2017, correspondant aux espaces remarquables au titre de la loi littoral, et bordées en leur partie nord et ouest par une dune boisée, espace boisé classé, elle-même classée en zone NR. Les parcelles sont distantes de 50 mètres du site Natura 2000 d'habitats naturels d'intérêt floristique fort " zones humides de l'arrière-dune du littoral girondin " et de 230 m du site Natura 2000 " côte médocaine et dépressions humides ". Elles se situent au sein d'une partie naturelle du site inscrit depuis 1968 des étangs girondins et sont incluses dans le site inscrit des étangs arrière-dunaires.

9. Il ressort des pièces du dossier, notamment du procès-verbal de reconnaissance des bois à défricher du 17 juin 2020 que les parties de parcelles visées par la demande d'autorisation de défrichement sont constituées d'un boisement de pins maritimes âgés d'au moins 80 ans et en bon état sanitaire, et d'un sous-bois peu dense, composé de robiniers, arbousiers, ajoncs et brandes. Elles jouxtent au nord et au nord-est une vaste zone naturelle et boisée. Contrairement à ce que soutient la société Moutchic, la zone faisant l'objet de l'autorisation de défrichement est dépourvue de toute construction, les bâtiments, laissés à l'abandon, de l'ancienne base aéronautique, du sanatorium et du centre médico-scolaire, lequel a fermé en 1985, se situant en dehors de ce périmètre. La présence, au sud-ouest, d'un lotissement, d'ailleurs séparé par une bande de terrain, classée " espace boisé classé ", n'est pas de nature à ôter au terrain d'assiette du projet, son caractère naturel.

10. Il ressort également de l'étude d'impact jointe au dossier de demande d'autorisation de défrichement que les parcelles en litige présentent un enjeu écologique, qualifié de fort dans l'étude d'impact, sur leur partie nord, eu égard notamment à la présence de trois espèces d'intérêt communautaire, le milan noir, espèce d'avifaune nicheuse protégée, dont la nidification au sein de la futaie de pin maritime est avérée, le grand rhinolophe et le murin à oreilles échancrées, espèces protégées et inscrites aux annexes II et IV de la directive Habitats, faune, flore, pour lesquelles la zone a révélé la présence de gîtes de parturition et constitue une zone de chasse. Le procès-verbal de reconnaissance des bois à défricher, établi par la direction départementale des territoires et de la mer, note que le défrichement en litige va induire une perte d'habitat, d'aire de repos, de nourrissage et de reproductions pour les chiroptères et les oiseaux. Le défrichement devrait aussi entraîner la destruction d'une station de lotier velu, espèce végétale patrimoniale protégée au niveau régional.

11. Dans ces conditions, ainsi que l'ont jugé les premiers juges, les parcelles en cause s'intègrent dans une unité paysagère d'ensemble, depuis le littoral du lac de Lacanau jusqu'à l'ancienne dune boisée, et présentent un intérêt écologique justifiant qu'elles soient qualifiées d'espace remarquable au sens des dispositions de l'article L. 121-23 du code de l'urbanisme, nonobstant la présence d'une route séparant ces parcelles du littoral du lac de Lacanau, et le classement d'une partie de ces parcelles en zone à urbaniser par les documents locaux d'urbanisme. Par suite, l'arrêté attaqué portant autorisation de défrichement méconnait les dispositions des articles L. 121-23 et R. 121-4 du code de l'urbanisme.

12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, ni de procéder à la mesure d'instruction sollicitée en défense, que la société Moutchic n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 22 janvier 2021 par lequel la préfète de la Gironde a autorisé le défrichement de parcelles de bois, situées sur les parcelles cadastrées section AK n°1 et n° 41 de la commune de Lacanau.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'association Vive la forêt et l'association des riverains du lac de Lacanau, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, le versement de la somme demandée par la société Moutchic au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire de la société Moutchic et de l'Etat le versement à l'association Vive la forêt et à l'association Les riverains du lac de Lacanau de la somme globale de 1 500 euros sur le même fondement.

DECIDE :

Article 1er : L'intervention de la commune de Lacanau est admise.

Article 2 : La requête de la société Moutchic est rejetée.

Article 3 : L'Etat et la société Moutchic verseront solidairement à l'association Vive la forêt et l'association des riverains du lac de Lacanau la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Moutchic, à l'association Vive la forêt, désignée représentante unique en application de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, à la commune de Lacanau et à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.

Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 19 décembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente,

Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,

Mme Lucie Cazcarra, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 janvier 2025.

La rapporteure,

Bénédicte Martin La présidente,

Frédérique Munoz-PauzièsLa greffière,

Laurence Mindine

La République mande et ordonne à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 21BX04569


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX04569
Date de la décision : 14/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MUNOZ-PAUZIES
Rapporteur ?: Mme Bénédicte MARTIN
Rapporteur public ?: Mme REYNAUD
Avocat(s) : CAZAMAJOUR & URBANLAW

Origine de la décision
Date de l'import : 19/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-14;21bx04569 ?
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