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30/01/2025 | FRANCE | N°24BX01385

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 1ère chambre, 30 janvier 2025, 24BX01385


Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler les décisions du 17 mai 2024 par lesquelles la préfète des Deux-Sèvres lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant une durée d'un an à compter de son éloignement et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.



Par un jugement n° 2401247 du 23 mai 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.



Procédur

e devant la cour :



Par une requête enregistrée le 7 juin 2024, M. B..., représenté par Me Ormillien,...

Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler les décisions du 17 mai 2024 par lesquelles la préfète des Deux-Sèvres lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant une durée d'un an à compter de son éloignement et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2401247 du 23 mai 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 7 juin 2024, M. B..., représenté par Me Ormillien, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 23 mai 2024 du magistrat désigné du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) d'annuler les décisions du 17 mai 2024 de la préfète des Deux-Sèvres ;

3°) d'enjoindre à la préfète des Deux-Sèvres de lui délivrer un titre de séjour, ou à défaut de réexaminer sa situation administrative dans un délai de 10 jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les décisions attaquées sont insuffisamment motivées ;

- elles sont illégales dès lors qu'elles ont été prises sur le fondement d'une obligation de quitter le territoire français dont le délai d'exécution d'un an était expiré ;

- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elles méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elles portent une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale.

La requête a été communiquée au préfet des Deux-Sèvres qui n'a pas produit de mémoire dans la présente instance.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux en date du

13 août 2024.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Héloïse Pruche-Maurin a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant arménien, né le 1er septembre 1984, est entré en France le 20 octobre 2016 sous couvert d'un visa de court séjour. Il a déposé une demande d'asile qui a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 17 mai 2017, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 11 septembre 2017. Le 13 février 2018, il a déposé une demande de réexamen de sa demande d'asile, qui a été déclarée irrecevable par l'OFPRA le 16 février 2018. Le préfet des Deux-Sèvres lui a alors notifié le 5 avril 2019 une première mesure d'éloignement qu'il n'a pas exécutée. Le 16 septembre 2021, M. B... a sollicité un titre de séjour sur le fondement des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 30 mai 2022, la préfète des Deux-Sèvres a refusé de faire droit à sa demande et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours en fixant le pays de renvoi, décisions dont la légalité a été confirmée par un jugement du tribunal administratif de Poitiers du 18 octobre 2022 et par une ordonnance de la Cour administrative d'appel de Bordeaux du 11 mai 2023. Le 19 décembre 2023, M. B..., qui s'est soustrait à cette nouvelle mesure d'éloignement, a déposé une nouvelle demande de réexamen de sa demande d'asile, rejetée par l'OFPRA le 28 mars 2024. Il a sollicité le 14 mai 2024 la délivrance d'un titre de séjour. Interpellé pour violences le 17 mai 2024, la préfète des

Deux-Sèvres l'a, par deux décisions du même jour, assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours et interdit de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

M. B... relève appel du jugement du 23 mai 2024 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions.

Sur la légalité des décisions contestées :

En ce qui concerne la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 613-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les décisions relatives au refus et à la fin du délai de départ volontaire prévues aux articles L. 612-2 et L. 612-5 et les décisions d'interdiction de retour et de prolongation d'interdiction de retour prévues aux articles L. 612-6, L. 612-7, L. 612-8 et

L. 612-11 sont distinctes de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Elles sont motivées. ". Aux termes de l'article L. 612-7 du même code : " Lorsque l'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative édicte une interdiction de retour. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. ".

3. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux ; la décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs ; si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.

4. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger ; elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet.

5. La décision contestée du 17 mai 2024 interdisant à M. B... de retourner sur le territoire français pour une durée d'un an vise les textes dont elle fait application, et notamment les dispositions de l'article L. 612-7, et comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Elle indique les circonstances dans lesquelles l'intéressé a fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement, qu'il ne l'a pas exécutée, ainsi que les éléments pertinents afférents à sa situation personnelle et familiale. Par suite, le moyen tiré de son insuffisante motivation doit être écarté.

6. En deuxième lieu, M. B... fait valoir qu'il est entré sur le territoire français en 2016, qu'il y réside de manière continue depuis lors, soit depuis 8 ans à la date de la décision contestée, qu'il s'est inséré socialement et professionnellement en France, notamment au travers de son engagement bénévole au profit de diverses associations locales, et qu'il est employé par le GAEC le Billard en tant qu'ouvrier agricole depuis septembre 2023 après avoir travaillé en qualité de saisonnier dans la plantation d'angélique, ce dont il justifie. Toutefois, et alors que ces éléments ne suffisent pas à caractériser des circonstances humanitaires de nature à faire échec au prononcé d'une interdiction de retour, il ressort des pièces du dossier, et notamment de son audition administrative du 17 mai 2024, que M. B... est célibataire et sans charge de familles en France et qu'il a fait l'objet de deux précédentes mesures d'éloignement, en 2019 et 2022, qu'il n'a pas exécutées. Dans ces conditions, la préfète des Deux-Sèvres n'a pas entaché sa décision d'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an d'une erreur d'appréciation.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

8. Dans les circonstances détaillées au point 6, et alors qu'il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que M. B... n'ait pas conservé des attaches familiales dans son pays d'origine dans lequel il a vécu la majeure partie de sa vie, le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaitrait les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme doit être écarté.

9. En quatrième et dernier lieu, M. B... ne peut utilement se prévaloir, à l'encontre de la légalité de l'interdiction de retour du territoire dont il fait l'objet, de l'expiration du délai fixé par les dispositions de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au-delà duquel l'obligation de quitter le territoire français qui lui a été notifiée le 30 mai 2022 ne peut donner lieu, pour son exécution, à une assignation à résidence, dès lors qu'une telle règle, qui n'est pas au nombre des conditions posées par de l'article L. 612-7 pour édicter une interdiction de retour sur ce fondement, n'emporte nullement caducité de la mesure d'éloignement, que l'étranger reste tenu d'exécuter.

En ce qui concerne la légalité de l'assignation à résidence :

10. En premier lieu, aux termes de l'article L. 732-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les décisions d'assignation à résidence, y compris de renouvellement, sont motivées. ".

11. La décision contestée portant assignation à résidence de M. B... pendant quarante-cinq jours vise les textes applicables, notamment le 1° de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle fait référence à l'obligation de quitter le territoire français du 30 mai 2022 prise à son encontre, et précise que le délai de départ volontaire qui lui avait été accordé est expiré et que l'exécution de la mesure d'éloignement dont il fait l'objet demeure une perspective raisonnable. Elle indique également la commune dans laquelle M. B... est assigné à résidence et la durée pendant laquelle ce dernier fait l'objet de cette mesure. L'assignation à résidence en litige, qui comporte les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde, est suffisamment motivée. Le moyen tiré du défaut de motivation doit, par suite, être écarté.

12. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins de trois ans auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé ; (...) ".

13. Contrairement à ce que soutient le requérant, l'assignation à résidence en litige, édictée le 17 mai 2024, a été prise moins de trois ans après l'obligation de quitter le territoire dont il a fait l'objet le 30 mai 2022, délai applicable au litige. Par suite, le moyen tiré de ce que ce délai serait expiré doit être écarté.

14. En troisième et dernier lieu, dans les circonstances exposées aux points 6 à 8, les moyens tirés de ce que la décision contestée méconnaitrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle, plus particulièrement ses perspectives associatives et professionnelles, doivent être écartés.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande d'annulation des décisions du 17 mai 2024 lui interdisant de retourner sur le territoire français pour une durée d'un an et l'assignant à résidence à Niort pour une durée de

quarante-cinq jours. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction doivent être également rejetées.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet des Deux-Sèvres.

Délibéré après l'audience du 9 janvier 2025 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente assesseure,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2025.

La rapporteure,

Héloïse Pruche-MaurinLa présidente,

Evelyne Balzamo

La greffière,

Stéphanie Larrue

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 24BX01385


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24BX01385
Date de la décision : 30/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: Mme Héloïse PRUCHE-MAURIN
Rapporteur public ?: M. KAUFFMANN
Avocat(s) : ORMILLIEN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-30;24bx01385 ?
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