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26/06/2025 | FRANCE | N°25BX00060

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 1ère chambre, 26 juin 2025, 25BX00060


Vu la procédure suivante :



Procédure antérieure :



M. A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler l'arrêté du

11 janvier 2024 par lequel le préfet de la Guadeloupe l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français de deux ans.



Par un jugement n° 2400069 du 10 octobre 2024, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande. >


Procédure devant la cour :



Par une requête et des pièces enregistrées les 10 janvier et 15 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler l'arrêté du

11 janvier 2024 par lequel le préfet de la Guadeloupe l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français de deux ans.

Par un jugement n° 2400069 du 10 octobre 2024, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des pièces enregistrées les 10 janvier et 15 mai 2025, M. A..., représenté par Me Navin, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 10 octobre 2024 du tribunal administratif de la Guadeloupe ;

2°) d'annuler l'arrêté du 11 janvier 2024 du préfet de la Guadeloupe ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Guadeloupe de lui délivrer une carte de séjour avec autorisation de travail, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'obligation de quitter le territoire français et le refus implicite de délivrance d'un titre de séjour méconnaissent les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- ils sont entachés d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- ils méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- ils méconnaissent les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision fixant le pays de renvoi est insuffisamment motivée ;

- elle est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; son exécution doit être suspendue.

Par une ordonnance du 28 mars 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 19 mai 2025 à 12h00.

Un mémoire a été enregistré pour le préfet de Guadeloupe le 19 mai 2025, postérieurement à la clôture d'instruction, et n'a pas été communiqué.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E... ;

- les observations de Me Navin, représentant M. C... A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., de nationalité haïtienne, né le 10 octobre 1989, est entré en France irrégulièrement le 22 janvier 2013, selon ses déclarations. Il a déposé une demande d'asile qui a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 22 août 2013, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du

14 octobre 2013. Par arrêté du 24 décembre 2020, le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire dans un délai de trente jours, mesure d'éloignement qu'il n'a pas exécutée. Contrôlé en situation irrégulière sur le territoire français le 11 janvier 2024, cette même autorité l'a, par arrêté du même jour, obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. L'intéressé relève appel du jugement du 10 octobre 2024 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 11 janvier 2024.

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

2. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., qui parle couramment français, est présent sur le territoire français depuis 2013 où il vit avec sa femme, qu'il a épousée le

26 avril 2017 au consulat d'Haïti, et leurs trois jeunes enfants nés en 2016, 2019 et 2022. Les très nombreuses pièces produites, telles que l'ensemble de ses avis d'impositions indiquant un revenu fiscal sur la période comprise entre 2013 et 2016 ou les documents relatifs à ses démarches administratives et professionnelles pendant toutes ces années ou au suivi médical de ses enfants, permettent, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, d'établir sa présence sur le territoire français depuis plus de onze ans à la date de la décision contestée. S'agissant de la mesure d'éloignement contestée dans la présente instance, il fait notamment valoir qu'il ne peut être reconduit dans son pays d'origine dès lors que son fils aîné est atteint d'un trouble autistique sévère qui nécessite une prise en charge pluridisciplinaire intensive, avec un taux d'incapacité fixé par décision de la maison départementale des personnes handicapées en date du

17 août 2021 égal ou supérieur à 50% et inférieur à 80%, justifiant l'octroi d'une allocation d'éducation de l'enfant handicapé et de l'aide humaine mutualisée aux élèves handicapés valable du 1er septembre 2021 au 31 août 2024, et qu'une telle prise en charge serait impossible en Haïti. Il ressort ainsi des pièces du dossier que le jeune D... fait l'objet d'une prise en charge effective en France, qu'il a été orienté vers une unité localisée pour l'inclusion scolaire (ULIS) et que l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé a été renouvelée jusqu'en septembre 2026 par des décisions de la maison départementale des personnes handicapées des 1er mars et

28 mai 2024, qui, bien que postérieures à la décision contestée, révèlent une situation antérieure, et enfin, qu'il ne saurait être traité avec les mêmes chances de réussite en Haïti. En outre, il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 10 mai 2024 par lequel le préfet de la Guadeloupe a refusé de délivrer un titre de séjour et a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours son épouse, Mme B..., a été annulé par le tribunal administratif par un jugement du 22 avril 2025 qui a considéré que la décision de refus de séjour portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers. Dans ces conditions, même si M. A... s'est maintenu en situation irrégulière sur le territoire français après une première mesure d'éloignement qu'il n'a pas exécutée, le préfet de la Guadeloupe a, compte tenu notamment de l'intérêt supérieur du jeune D..., mineur, à rester en France, commis une erreur manifeste d'appréciation dans l'examen de la situation personnelle et familiale de M. A... en prononçant l'obligation de quitter le territoire français en litige.

3. Il résulte de ce qui précède que les décisions fixant le pays de destination et interdisant à M. A... de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans sont illégales du fait de l'illégalité de la décision d'obligation de quitter le territoire français. Contrairement à ce que soutient le requérant, l'arrêté attaqué ne porte uniquement que sur ces décisions, l'ensemble de ses moyens dirigés contre " un refus implicite de titre de séjour " devant être écartés comme étant inopérants.

4. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 11 janvier 2024 par lequel le préfet de la Guadeloupe l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français de deux ans.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

5. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 721-6, L. 721-7, L. 731-1, L. 731-3, L. 741-1 et L. 743-13, et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ". Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision ".

6. L'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français, qui n'est pas la conséquence de l'annulation d'une décision de refus de titre de séjour, n'implique pas par elle-même la délivrance d'un titre de séjour. En revanche, il résulte des dispositions précitées de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que cette annulation implique un réexamen de la situation de M. A... et l'octroi d'une autorisation provisoire de séjour durant ce réexamen. Il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Guadeloupe de procéder au réexamen de sa situation et de prendre une nouvelle décision dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et de délivrer à l'intéressé une autorisation provisoire de séjour durant ce réexamen. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

7. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 200 euros à verser à M. A....

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 10 octobre 2024 et l'arrêté du 11 janvier 2024 du préfet de la Guadeloupe sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Guadeloupe de réexaminer la situation de M. A... et de prendre une nouvelle décision dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 200 euros à M. C... A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., au préfet de la Guadeloupe et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 5 juin 2025 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente assesseure,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 juin 2025

La rapporteure,

Héloïse E...La présidente,

Evelyne Balzamo

La greffière,

Stéphanie Larrue

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 25BX00060


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 25BX00060
Date de la décision : 26/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: Mme Héloïse PRUCHE-MAURIN
Rapporteur public ?: M. KAUFFMANN
Avocat(s) : NAVIN

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-26;25bx00060 ?
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