Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 13 octobre 2020 portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans les trente jours, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour en France pendant un an.
Par un jugement n° 2100032 du 24 juin 2021, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de réexaminer la situation de M. A... en lui délivrant une autorisation provisoire de séjour et condamné l'Etat à verser une somme à la SELARL Eden avocats au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 12 juillet 2021, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements ;
- l'arrêté du 18 janvier 2008 relatif à la délivrance, sans opposition de la situation de l'emploi, des autorisations de travail aux étrangers non ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse ;
- la circulaire du ministre de l'intérieur INTK1229185C du 28 novembre 2012 relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Marc Heinis, président de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :
1. En présence d'une demande de régularisation présentée sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il appartient à l'administration de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale " répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ". Dans cette dernière hypothèse, un demandeur qui justifierait d'une promesse d'embauche ou d'un contrat lui permettant d'exercer une activité figurant dans la liste annexée à l'arrêté interministériel du 18 janvier 2008, ne saurait être regardé, par principe, comme attestant, par là-même, des " motifs exceptionnels " exigés par la loi. Il appartient, en effet, à l'administration, sous le contrôle du juge, d'examiner, notamment, si la qualification, l'expérience et les diplômes de l'étranger ainsi que les caractéristiques de l'emploi auquel il postule, dans un métier et une zone géographique caractérisés par des difficultés de recrutement et recensés comme tels dans l'arrêté du 18 janvier 2008, de même que tout élément de sa situation personnelle dont l'étranger ferait état à l'appui de sa demande, tel que par exemple, l'ancienneté de son séjour en France, peuvent constituer, en l'espèce, des motifs exceptionnels d'admission au séjour.
2. Si, pour rejeter la demande de M. A... tendant à son admission exceptionnelle au séjour au titre du travail, l'arrêté attaqué s'est fondé sur l'absence de présentation d'un visa long séjour et d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes et sur le caractère illégal de son activité salariée pour la société BGV Construction d'avril 2019 à août 2020, de tels motifs n'étaient pas au nombre de ceux pouvant être pris en compte pour l'application de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet doit ainsi être regardé comme n'ayant pas procédé à un examen sérieux et particulier de la situation personnelle de l'intéressé.
3. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Ainsi, lorsque la légalité d'une décision est subordonnée à la satisfaction de plusieurs conditions et que l'administration a omis d'examiner l'une de ces conditions au cours de la procédure administrative, elle peut faire valoir pour la première fois devant le juge le motif tiré de ce que cette condition était, en réalité, remplie à la date de la décision attaquée. Il appartient alors au juge, après avoir mis l'auteur du recours à même de présenter ses observations sur ce nouveau motif, de rechercher si celui-ci, combiné à celui qui avait été retenu initialement, est de nature à fonder légalement la décision. Dans l'affirmative, le juge peut écarter le moyen tiré de l'erreur de droit qu'aurait commise l'administration en s'abstenant d'examiner l'une des conditions légales de la décision, sous réserve que le défaut d'examen de cette condition n'ait pas privé l'intéressé d'une garantie procédurale.
4. En l'espèce, le mémoire en défense du préfet devant le tribunal administratif et la requête d'appel du préfet, communiqués par le greffe à M. A..., ont invoqué d'autres motifs tirés de ce que celui-ci ne justifiait ni d'une qualification ni d'un diplôme comme ouvrier maçon, n'avait pas travaillé pour la société Eco Bâtiment pendant la période invoquée de mai 2016 à mai 2017 et ne travaillait plus pour la société BGV Construction. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des bulletins de paye de l'intéressé, que de tels motifs étaient de nature à fonder légalement la décision et il résulte de l'instruction que le préfet aurait pris la même décision s'il s'était fondé initialement sur ces motifs. Il y a donc lieu de procéder à la substitution demandée qui ne prive pas l'intéressé d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
5. Dans ces conditions, c'est à tort que le tribunal administratif a annulé l'arrêté au motif que le préfet n'avait pas procédé à un examen sérieux et particulier de la situation personnelle de M. A....
6. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens de M. A... en première instance et en appel.
Sur les autres moyens invoqués par M. A... :
7. L'auteure de l'arrêté attaqué, cheffe du bureau de l'éloignement, bénéficiait d'une délégation de signature, suffisamment précise, sur le fondement de l'article 43 du décret du 29 avril 2004 et d'un arrêté du 4 septembre 2020 signé par le préfet et régulièrement publié.
8. Conformément aux articles L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration et L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'arrêté attaqué a énoncé, dans ses considérants ou dans son dispositif, les motifs de droit et de fait qui ont fondé ses différentes décisions.
9. Il ressort de la motivation de l'arrêté attaqué que son auteur a procédé, pour toutes ses décisions, à un examen individuel de l'ensemble des éléments alors portés à sa connaissance.
10. Eu égard au caractère irrégulier de l'activité salariée exercée par M. A..., le préfet n'a pas commis d'erreur de fait en relevant que M. A... " n'établit pas disposer de revenus certains, stables et suffisants de nature à ne pas devenir une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale ".
11. Un étranger ne peut utilement invoquer les orientations générales adressées par le ministre de l'intérieur aux préfets, sans les priver de leur pouvoir d'appréciation de chaque cas particulier, pour les éclairer dans la mise en œuvre de leur pouvoir de régularisation. Si la circulaire du 28 novembre 2012 a été mise en ligne sur le site Legifrance le 1er avril 2019, elle n'a pas été insérée dans la liste des " documents opposables " du site " interieur.gouv.fr " établie en application de l'article R. 312-10 du code des relations entre le public et l'administration. Les moyens tirés, au regard de cette circulaire, de la violation du principe de sécurité juridique et de confiance légitime et des articles L. 312-2 et L. 312-3 de ce code doivent donc être écartés.
12. M. A..., né en 1993, a vécu la majeure partie de sa vie en Turquie où réside sa famille. Il est entré en France en novembre 2014 avec un visa court séjour. Sa demande d'asile a été rejetée. Nonobstant une obligation de quitter le territoire français de novembre 2016, il s'est maintenu irrégulièrement en France jusqu'au dépôt de sa demande de titre de séjour en avril 2020. Il est célibataire sans enfant. En l'espèce et compte tenu de ce qui a été dit au point 4, l'arrêté attaqué n'était pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation, n'a pas violé l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et n'a pas porté une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale garantie par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
13. Le requérant n'a pas critiqué les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de la Cour nationale du droit d'asile qui ont rejeté sa demande d'asile. En l'espèce, les moyens tirés de l'erreur manifeste d'appréciation commise à ce titre et de la violation des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.
14. Il résulte de ce qui précède que tous les moyens ci-dessus invoqués, par voie d'action ou d'exception, doivent être écartés.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a annulé son arrêté, lui a enjoint de réexaminer la situation de M. A... en lui délivrant une autorisation provisoire de séjour et a condamné l'Etat à verser une somme à la SELARL Eden avocats au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
16. Le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution pour l'application des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative.
Sur l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
17. La demande présentée par le requérant et son conseil, partie perdante, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens doit être rejetée.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 24 juin 2021 du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Cécile Madeline et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise, pour information, au préfet de la Seine-Maritime.
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N° 21DA01663