Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association ... a demandé au tribunal administratif de Lille, par une première requête, d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, la décision du 27 juin 2018 par laquelle l'inspecteur du travail a rejeté sa demande d'autorisation de licenciement de M. B... A... et, d'autre part, la décision implicite par laquelle la ministre du travail a rejeté le recours hiérarchique formé le 9 juillet 2018. Elle demandait également qu'il soit enjoint à la ministre du travail de réexaminer sa demande d'autorisation de licenciement dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir. Par une seconde requête, l'association ... a demandé au même tribunal, d'annuler pour excès de pouvoir, la décision du 25 février 2019 par laquelle la ministre du travail a, d'une part, retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé le 9 juillet 2018, d'autre part, annulé la décision du 27 septembre 2018 de l'inspecteur du travail rejetant la demande d'autorisation de licenciement de M. A..., et enfin refusé de délivrer l'autorisation de licenciement sollicitée. Elle demandait également qu'il soit enjoint à la ministre du travail de réexaminer sa demande d'autorisation de licenciement dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir.
Par un jugement commun n° 1900273 et n° 1903397 du 3 novembre 2021, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 25 février 2019 de la ministre du travail en tant qu'elle refusait la demande d'autorisation de licenciement de M. A... et a enjoint à la ministre du travail de procéder à une nouvelle instruction de la demande d'autorisation de licenciement de M. A... dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement. Il a enfin prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions d'annulation de la première demande de l'association ....
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 30 décembre 2021 et un mémoire enregistré le 21 juin 2022 et non communiqué, M. B... A..., représenté par Me Benoît Titran, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a annulé la décision ministérielle du 25 février 2019 rejetant la demande d'autorisation de son licenciement ;
2°) de rejeter les demandes de l'association ... ;
3°) de mettre à la charge de l'association ..., la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le grief retenu par l'employeur du vol d'un sac de masques n'est pas établi ;
- les matériels manquants dans son véhicule de fonction ou non restitués avaient été utilisés par ses soins pour assurer la continuité de l'assistance respiratoire ;
- les interventions directes auprès des patients sont des faits prescrits, compte tenu de leur ancienneté ;
- aucun des griefs n'a engendré de préjudice pour l'employeur ;
- il n'a pas modifié de sa propre initiative un traitement médical ou un dispositif médical ;
- le licenciement est en lien avec le mandat.
Par un mémoire en défense et un mémoire, enregistrés les 16 et 20 juin 2022, l'association ..., représentée par Me Benoît Guerville, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la matérialité des faits est établie, notamment le vol de masques ;
- les faits étaient suffisamment graves pour justifier la demande de licenciement.
Par un mémoire, enregistré le 16 mai 2022, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion s'associe aux conclusions de M. A... d'annulation du jugement du tribunal administratif du 3 novembre 2021 en tant qu'il a annulé sa décision du 25 février 2019.
Par une ordonnance du 17 juin 2022, la clôture de l'instruction a été fixée, la dernière fois au 22 juin 2022 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,
- et les observations de Me Titran pour M. A... et de Me Lebrun pour l'association ....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A... est employé de l'association ... depuis le 8 janvier 1996. Il exerce les fonctions de technicien respiratoire, chargé de la mise en place de machines d'assistance respiratoire chez les patients. Il détient par ailleurs les mandats de délégué du personnel, délégué syndical et membre du comité social et économique. L'association ... a demandé à l'inspecteur du travail territorialement compétent l'autorisation de le licencier pour faute grave. Par décision du 27 juin 2018, l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser ce licenciement. Saisi par l'association, sur recours hiérarchique, la ministre du travail, par décision du 25 février 2019, a retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique et la décision de l'inspecteur du travail et a rejeté la demande d'autorisation. Le tribunal administratif de Lille, saisi par deux requêtes distinctes de l'association ..., a annulé la décision ministérielle en tant qu'elle refusait la demande d'autorisation de licenciement et a prononcé un non-lieu sur les conclusions d'annulation de la décision de l'inspecteur du travail et du rejet implicite du recours hiérarchique. Il a également enjoint à la ministre du travail de procéder à une nouvelle instruction de la demande d'autorisation de licenciement de M. A... dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement. M. A... relève appel de ce jugement du 3 novembre 2021, uniquement en tant qu'il a annulé la décision ministérielle du 25 février 2019 rejetant la demande d'autorisation de son licenciement.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif :
2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives qui bénéficient, dans l'intérêt des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, ne peuvent être licenciés qu'avec l'autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
3. En l'espèce, la décision ministérielle du 25 février 2019 retient que, parmi les griefs reprochés par l'association à M. A..., le vol de masques ne peut être retenu mais que les autres faits, à savoir les détournements de produits et consommables à des fins médicales ainsi que l'intervention directe auprès de patients, sans prescription médicale, traçabilité et consigne en ce sens, sont établis. Le tribunal administratif a considéré que la ministre du travail avait commis une erreur d'appréciation en estimant que les griefs établis n'étaient pas d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement.
4. Il ressort des pièces du dossier que, lors de la restitution du véhicule de fonction de M. A..., deux humidificateurs, un modem, un oxymètre et deux câbles d'alimentation qui devaient s'y trouver n'ont pu être récupérés. M. A... a restitué rapidement le modem et l'oxymètre qu'il avait utilisés pour sa mère malade, et depuis décédée. M. A... soutient par ailleurs, sans être sérieusement contredit, que les deux câbles avaient été utilisés pour remplacer des accessoires défectueux chez des patients. La disparition des humidificateurs est, elle, établie, mais sans qu'il soit démontré que l'activité de l'association en ait été pénalisée. Il est également justifié que se trouvait dans le véhicule une machine qui avait été notée comme restituée le 3 novembre 2017. Toutefois, l'absence de restitution de ce matériel n'a pas été relevée par l'employeur pendant plus de deux mois alors que celui-ci indique qu'il ne possédait que trente-neuf appareils équivalents dont trente-huit étaient posés chez des patients. Si ces faits de détournement de matériels sont établis et s'ils constituent des fautes, il n'est pas démontré que leur absence ait pénalisé l'activité de l'association.
5. Il est par ailleurs reproché à M. A... d'avoir modifié l'appareillage d'une patiente de sa propre initiative. Si l'intéressé a reconnu, lors de la réunion du comité d'entreprise du 13 mars 2018 être intervenu à plusieurs reprises chez cette patiente, il produit l'attestation de cette dernière qui explique qu'elle souhaite recourir au même technicien, en l'occurrence M. A... en qui elle a confiance et qu'elle connait depuis plus de vingt ans. Elle indique que M. A... est intervenu à sa demande. Elle atteste également que M. A... n'a pas allongé les tuyaux de son appareil médical, comme cela lui est reproché mais lui a seulement donné un conseil à cette fin. Par ailleurs, l'attestation médicale, produite par l'association, se contente d'indiquer de manière générale que les modifications des appareils respirateurs ne peuvent se faire sans accord médical. Si M. A... est donc intervenu chez cette patiente en 2013 sans que cela soit programmé par l'association, il n'est pas établi que, lors de ces interventions, l'intéressé n'aurait pas respecté les prescriptions médicales ou aurait mis en danger la patiente. S'agissant des autres interventions directes chez un patient sur la période comprise entre 2011 et 2015, s'il est établi qu'elles n'ont pas non plus été programmées par l'association, il n'est démontré aucun préjudice pour l'association, ni aucune mise en danger du patient.
6. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 5 que si certains faits sont établis, leur portée et leur gravité est limitée. Ces faits en outre sont anciens, et l'association ne les a identifiés que début 2018, alors que, comme le démontrent les pièces qu'elle fournit, le logiciel de suivi de l'activité lui permettait de les détecter dès qu'ils sont survenus. Par ailleurs, si M. A... a fait l'objet d'un avertissement, le 19 décembre 2017, pour un comportement similaire, et d'une mise à pied du 19 octobre 2017 pour ne pas avoir répondu à des appels pendant sa garde, il n'est pas établi qu'il ait depuis réitéré l'absence de respect des consignes de son employeur. Ces faits ne justifiaient donc pas que soit autorisé le licenciement de M. A.... Par suite, celui-ci est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 25 février 2019 pour le motif d'une erreur d'appréciation. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par l'association ... en première instance.
Sur les autres moyens soulevés par l'association ... :
7. La décision ministérielle du 25 février 2019 vise les textes dont elle fait application et comporte les considérations de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen soulevé en première instance par l'association ... et tiré de l'insuffisante motivation de la décision du 25 février 2019 doit être écarté.
8. L'association ... soutient également que la matérialité du vol d'un sac de masques, grief écarté par la décision ministérielle du 25 février 2019, est matériellement établi. Ce grief est fondé sur une attestation d'un autre salarié, établie le 8 janvier 2018. Les autres attestations produites par l'association se contentent de rapporter les propos de ce salarié. Si l'association soutient que M. A... a reconnu ce fait lors de la réunion du comité d'entreprise du 12 mars 2018, le procès-verbal de cette réunion se borne à mentionner qu'au cours de l'entretien préalable, M. A... a expliqué qu'il ne s'était nullement vanté d'avoir utilisé un sac de masques mais a précisé qu'il n'inscrivait les dispositifs médicaux dans le logiciel que chez les patients et non à la sortie de l'entrepôt logistique. Il ne résulte donc pas de ces éléments que le vol d'un sac de masques soit établi, le doute en cas de déclarations contradictoires comme en l'espèce, devant profiter au salarié en application de l'article L. 1333-1 du code du travail. Par suite, l'association ... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que la décision ministérielle du 25 février 2019 n'a pas retenu ce grief.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 25 février 2019 par laquelle la ministre du travail a refusé d'autoriser l'association ... à licencier pour faute M. A..., et ce, sans qu'il soit besoin de se prononcer, ni sur la régularité du jugement, ni sur la prescription des faits fautifs.
10. Il n'y a pas lieu, en tout état de cause, dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions de l'association ... dirigées contre l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association ... la somme de 2 000 euros à verser à M. A... sur le même fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Lille du 3 novembre 2021 sont annulés.
Article 2 : Les demandes de l'association ... présentées devant le tribunal administratif de Lille tendant à l'annulation de la décision ministérielle du 25 février 2019 et à ce qu'il soit enjoint, sous astreinte, à la ministre du travail de se prononcer sur la demande d'autorisation de licenciement sont rejetées.
Article 3 : L'association ... versera la somme de 2 000 euros à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à l'association ... et à la ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience publique du 23 juin 2022 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- M. Denis Perrin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 juillet 2022.
Le rapporteur,
Signé : D. Perrin
La présidente de chambre,
Signé : G. BorotLa greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne à la ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
C. Huls-Carlier
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N° 21DA02979
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