Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 10 juin 2021 par lequel le préfet du Nord lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français, lui a refusé un délai de départ volontaire et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.
Par un jugement n° 2104999 du 14 mars 2023, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision refusant un titre de séjour " vie privée et familiale " à M. B... et a enjoint au préfet de délivrer un tel titre de séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement.
Procédure devant la cour :
I - Par une requête enregistrée sous le n° 23DA00894 le 15 mai 2023, le préfet du Nord, représenté par Me Jean-Alexandre Cano, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de M. B....
Il soutient que son arrêté n'a pas violé l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et renvoie, s'agissant des autres moyens à ses écritures de première instance.
Par un mémoire en défense enregistré le 5 juin 2023 et des pièces enregistrées le 2 août 2023, M. B..., représenté par Me Bilel Laïd, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 1 500 euros, à verser à son conseil en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il fait valoir qu'il ne peut pas faire l'objet d'une mesure d'éloignement, qu'il n'a pas d'attaches dans son pays, a une vie commune avec la mère de ses enfants et a la volonté de s'intégrer notamment par le travail. Il reprend également les moyens soulevés dans ses écritures de première instance.
M. B... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 19 septembre 2023 du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Douai.
Par une ordonnance du 3 juillet 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 août 2023 à 12 heures.
II - Par une requête enregistrée sous le N° 23DA00895 le 15 mai 2023, le préfet du Nord, représenté par Me Jean-Alexandre Cano, demande à la cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement du 14 mars 2023.
Par un mémoire en défense enregistré le 5 juin 2023 et des pièces enregistrées le 2 août 2023, M. B..., représenté par Me Bilel Laïd conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 1 500 euros, à verser à son conseil en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements ;
- le code de justice administrative ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,
- et les observations de Me Bilel Laïd représentant de M. B... également présent.
Considérant ce qui suit :
1. Il y a lieu de joindre les requêtes susvisées pour y statuer par une seule décision.
Sur la recevabilité de la requête d'appel :
2. Aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 à R. 751-4-1. ".
3. Le jugement contesté date du 14 mars 2023 et a été notifié le même jour. La requête a été enregistrée le lundi 15 mai 2023. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par M. B... ne peut qu'être écartée.
Sur la légalité de la décision du 10 juin 2021 du refus de titre :
En ce qui concerne l'étendue du litige :
4. Par jugement du 22 juillet 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a statué sur les conclusions d'annulation des décisions du 10 juin 2021 portant obligation de quitter le territoire français, refus d'octroi d'un délai de départ volontaire et fixation du pays de destination et a renvoyé à la formation collégiale les conclusions d'annulation du refus de titre. L'appel qui tend à l'annulation du jugement rendu à la suite de ce renvoi, ne concerne donc que la décision de refus de titre.
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
5. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
6. S'agissant de la durée du séjour en France de M. B..., né le 17 avril 1984, celui-ci est entré en France en 1988 selon ses déclarations, alors qu'il était âgé de quatre ans. Pour établir sa durée de résidence, M. B... produit un certificat de scolarité établi le 5 mai 2001 par le directeur de l'école de Vicq qui indique que l'intéressé a été scolarisé dès son arrivée en France jusqu'en juin 1996. Il produit ensuite des certificats de scolarité en collège à compter de septembre 1996 jusqu'en septembre 2002. Il a bénéficié en 2001 d'un document de circulation pour mineur valable jusqu'à sa majorité. Il a reconnu après sa naissance le 23 août 2004, sa première fille. Il a obtenu un titre de séjour " vie privée et familiale " valable du 19 juin 2008 au 18 juin 2009. Il a été incarcéré du 7 juin 2012 au 12 mars 2020, puis placé sous surveillance électronique jusqu'au 12 juin 2020. Il a également reconnu en novembre 2015 et en août 2019 après leur naissance deux autres enfants et est le père d'une quatrième enfant née en septembre 2020. Il a enfin demandé un titre le 12 février 2020. Il résulte de ces éléments que M. B... établit ainsi la durée de sa résidence habituelle en France de plus de trente ans à la date de la décision, ce qui n'est pas sérieusement contesté.
7. S'agissant de ses attaches familiales, M. B... soutient qu'il vit avec la mère, de nationalité française, de ses trois derniers enfants depuis 2012 et produit les témoignages de celle-ci et de proches. Il justifie aussi qu'il vit avec elle depuis sa sortie de prison, ce qui n'est pas non plus contesté. Il établit également au moyen d'un relevé de parloirs que celle-ci lui a rendu régulièrement visite en prison depuis au moins mai 2018. M. B... et la mère de ses trois derniers enfants ont en outre déposé un dossier de mariage. Il ressort toutefois d'une attestation du maire de Roeulx du 29 juin 2021 qu'ils ont annulé ce projet. M. B... est père de quatre enfants de nationalité française, dont trois sont nés alors qu'il était incarcéré. Il justifie de versements sur le compte bancaire de son épouse de sommes dues par l'employeur de M. B... et par Pôle emploi en date du 26 mai 2021. L'intéressé produit également une attestation des enseignantes de l'école maternelle de sa première fille indiquant qu'il est parfois venu la chercher au cours de l'année scolaire 2007/2008. Enfin la mère de M. B..., titulaire d'un titre de séjour de dix ans et sa sœur de nationalité française vivent en France, son père adoptif étant décédé, et témoignent de leurs attaches avec celui-ci.
8. S'agissant de son insertion sociale et professionnelle, M. B... a été embauché en qualité d'aide monteur tuyauteur en mai et juin 2021. L'entreprise où il travaillait a proposé, certes quelques jours après la décision contestée, le 24 juin 2021, de l'embaucher en contrat à durée indéterminée à temps plein à compter du 5 juillet 2021.
9. S'agissant de l'atteinte à l'ordre public, le casier judiciaire de l'intéressé fait état de 15 condamnations dont une du 27 mars 2014 pour vol aggravé par trois circonstances en récidive et pour vol avec destruction ou dégradation en récidive. Il avait également été condamné le 19 septembre 2012 pour violence commise en réunion suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours. Les faits les plus récents ayant fait l'objet de condamnations, datent du 1er septembre 2017.
10. Dans ces conditions, compte tenu de sa durée de séjour, de ses attaches familiales et professionnelles en France, alors que l'intéressé ne peut pas faire l'objet d'une mesure d'éloignement, comme l'a d'ailleurs jugé de manière définitive le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille dans son jugement du 22 juillet 2021, M. B... établit qu'il a fixé en France le centre de ses intérêts. Au demeurant, les faits pour lesquels il a été condamné sont anciens. Par suite, il résulte de ce qui précède que le préfet du Nord n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a annulé, dans les circonstances très particulières de l'espèce, sa décision du 10 juin 2021 de refus de titre.
Sur la requête à fin de sursis à exécution :
11. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution présentées par le préfet du Nord.
Sur les frais liés à l'instance :
12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans la présente instance, la somme de 1 000 euros à verser au conseil de M. B..., sous réserve que ce dernier renonce à percevoir le bénéfice de la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
DECIDE :
Article 1er : La requête n° 23DA00894 du préfet du Nord est rejetée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du préfet du Nord à fin de sursis à exécution du jugement.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à Me Bilel Laïd, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle, sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. A... B..., et à Me Bilel Laïd.
Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 7 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
Mme Isabelle Legrand, présidente assesseure,
M. Denis Perrin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 septembre 2023.
Le rapporteur,
Signé : D. Perrin La présidente de la 1ère chambre
Signé : G. Borot La greffière,
Signé : C. Sire
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Christine Sire
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N° 23DA00894, 23DA00895