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31/10/2023 | FRANCE | N°22DA02506

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 31 octobre 2023, 22DA02506


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 17 juin 2022 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle doit être éloignée.

Par un jugement n° 2205122 du 29 novembre 2022, le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté attaqué et a enjoint au préfet du Nord de délivrer à Mme A... un cert

ificat de résidence algérien portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 17 juin 2022 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle doit être éloignée.

Par un jugement n° 2205122 du 29 novembre 2022, le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté attaqué et a enjoint au préfet du Nord de délivrer à Mme A... un certificat de résidence algérien portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er décembre 2022, le préfet du Nord, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme A....

Il soutient que :

- l'arrêté contesté ne méconnaît pas les stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 6-5 de l'accord franco-algérien et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; il n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- les autres moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à Mme A... qui n'a pas produit de mémoire en défense, malgré une mise en demeure adressée le 30 janvier 2023.

Par une ordonnance en date du 28 février 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 3 avril 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guillaume Toutias, premier conseiller,

- et les observations de Me Moulay Abdejalil Dalil Essakali, représentant Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante algérienne née le 21 avril 1978, est selon ses déclarations entrée en France le 6 octobre 2014 sous couvert d'un visa de court séjour à entrées multiples, délivré le 7 septembre 2014 par les autorités consulaires françaises à Annaba. S'étant maintenue en situation irrégulière au-delà de la date de validité de ce dernier, elle a sollicité, le 6 juillet 2021, la délivrance d'un certificat de résidence algérien portant la mention " vie privée et familiale ". Par un arrêté du 17 juin 2022, le préfet du Nord a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être éloignée. Le préfet du Nord relève appel du jugement du 29 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté et lui a enjoint de délivrer à Mme A... un certificat de résidence algérien portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois.

Sur le moyen retenu par les premiers juges :

2. Pour solliciter l'annulation de l'arrêté attaqué et des décisions qu'il prononce à son encontre, Mme A... soutenait qu'il était entaché d'erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il emporterait, pour sa situation personnelle et familiale, des effets disproportionnés au regard des buts pour lesquels il a été pris. Elle se prévalait en particulier de l'ancienneté de son séjour en France, de ce que son enfant serait né en France en 2016 et y serait scolarisé depuis 2019 et de ce qu'elle apporterait un soutien quotidien à sa mère, avec laquelle elle vivrait depuis son arrivée en France, qui est veuve depuis 2013 et présenterait, selon ses dires, un état de santé dégradé. Toutefois, Mme A... n'établit pas que sa mère, âgée de 83 ans à la date de l'arrêté attaqué, nécessiterait une assistance quotidienne et permanente et qu'elle serait la seule à même de la lui apporter, les pathologies dont l'intéressée serait atteinte présentant un caractère tout à fait courant. Par ailleurs, l'arrêté attaqué n'a en lui-même ni pour objet ni pour effet de l'empêcher de rendre ponctuellement visite à sa mère, sous couvert de visas de courts séjours dont Mme A... se déciderait à respecter les termes. En outre, en l'état de la législation et de la réglementation en vigueur, la naissance de son enfant en France ne confère, ni à celui-ci ni à elle-même, aucun droit au maintien sur le territoire et Mme A... n'établit pas, eu égard à son jeune âge, qu'il ne puisse pas poursuivre sa scolarité hors de France, et notamment en Algérie, pays dont il a la nationalité. Enfin, si Mme A... indique qu'elle serait présente en France depuis huit ans à la date de l'arrêté attaqué, elle ne l'établit pas et ne justifie d'aucune insertion professionnelle propre à lui assurer une autonomie matérielle et financière. Elle ne possède aucune autre attache familiale en France alors qu'elle dispose toujours en Algérie de son époux, dont elle ne démontre pas être séparée officiellement ou effectivement, ainsi que d'au moins trois frères et sœurs. Dans ces conditions, c'est sans entacher son arrêté d'une erreur manifeste d'appréciation que le préfet du Nord a pu lui refuser la délivrance d'un titre de séjour. Il s'ensuit que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges se sont fondés sur ce motif pour annuler la décision refusant à Mme A... un titre de séjour ainsi que, par voie de conséquence, les décisions subséquentes l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi.

3. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal administratif de Lille et devant la cour.

Sur les autres moyens :

En ce qui concerne les moyens communs aux décisions attaquées :

4. L'arrêté attaqué vise et mentionne les stipulations et dispositions qui constituent les fondements légaux de chacune des décisions qu'il prononce à l'encontre de Mme A.... Il comporte en particulier des considérations de fait suffisants ayant mis l'intéressée à même de comprendre les motifs de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour qui lui est opposée. Dès lors qu'elle est fondée sur celle-ci, la décision portant obligation de quitter le territoire français qui est également prononcée à son encontre n'avait, quant à elle, pas à faire l'objet d'une motivation distincte en application des dispositions du second alinéa de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il ne ressort pas, en outre, des pièces du dossier que le préfet du Nord n'aurait pas procédé à un examen sérieux de la situation personnelle de l'intéressée. A cet égard, contrairement à ce que soutient Mme A..., il ressort des termes mêmes de l'arrêté attaqué qu'il a été pleinement tenu compte de l'ancienneté de son séjour en France, de la présence de sa mère sur le territoire et de la scolarité de son fils. Dès lors, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation des décisions attaquées et de ce qu'elles procéderaient d'un défaut d'examen sérieux doivent être écartés.

En ce qui concerne le refus de titre de séjour et l'obligation de quitter le territoire français :

5. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : / (...) / 5° au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ; / (...) ".

6. Ainsi qu'il a été dit au point 2, si Mme A... indique résider en France depuis huit ans à la date de la décision attaquée, outre qu'elle ne l'établit pas par les rares pièces produites, il est constant qu'elle a vécu la majeure partie de sa vie en Algérie, au moins jusqu'à l'âge de 36 ans. Si sa mère vit actuellement en France en situation régulière, elle n'établit pas que son état de santé la rende entièrement dépendante d'elle-même et que l'assistance dont elle aurait besoin ne puisse pas être apportée par une tierce personne. Elle ne dispose d'aucun autre lien sur le territoire alors que son époux, dont elle n'établit pas être divorcée ou séparée, et au moins trois frères et sœurs résident en Algérie. Rien ne s'oppose à ce que son fils, âgé de seulement 6 ans à la date de l'arrêté attaqué et scolarisé en cours préparatoire, puisse poursuivre sa scolarité en Algérie, pays dont il a la nationalité. Mme A... ne justifie, par ailleurs, d'aucune insertion professionnelle sur le territoire propre à garantir son autonomie matérielle et financière. Dans ces conditions, en lui refusant la délivrance du titre de séjour sollicité et en l'obligeant à quitter le territoire français, le préfet du Nord n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

7. En deuxième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'étaient au demeurant plus en vigueur à la date de l'arrêté attaqué, est inopérant dès lors que les ressortissants algériens sont exclusivement régis par les stipulations de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. A supposer même que Mme A... ait en réalité entendu se fonder sur les stipulations équivalentes de cet accord, à savoir celle de son article 6, paragraphe 5, le moyen, qui ne serait opérant qu'à l'encontre de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour, devrait en tout état de cause être écarté pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 6.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". En l'espèce, la décision attaquée n'a en elle-même ni pour objet, ni pour effet de séparer le fils de Mme A... de sa mère. Ainsi qu'il a été dit au point 2, il n'est en outre pas établi qu'eu égard à son jeune âge, un retour en Algérie compromettrait la poursuite de sa scolarisation. Il le rapprocherait également de son père, dont il n'est pas démontré que celui-ci ne participerait plus

ni à son entretien ni à son éducation. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.

9. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour non plus que de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

10. En premier lieu, ainsi qu'il a été exposé aux points 4 à 9, Mme A... n'établit pas que l'arrêté attaqué, en tant qu'il lui fait obligation de quitter le territoire français, serait illégal. Par suite, elle n'est pas davantage fondée à soutenir que la décision fixant le pays de destination est illégale au motif qu'elle a été prise sur le fondement de cette obligation de quitter le territoire français et le moyen en ce sens doit, dès lors, être écarté.

11. En second lieu, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme doit être écarté pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 2 et 6.

12. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas davantage fondée à demander l'annulation de la décision fixant le pays à destination duquel elle doit être éloignée.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 17 juin 2022 et lui a enjoint de délivrer à Mme A... un certificat de résidence algérien portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois. Il convient donc de prononcer l'annulation de ce jugement et de rejeter les conclusions de Mme A... aux fins d'annulation de l'arrêté préfectoral du 17 juin 2022 ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2205122 du 29 novembre 2022 du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Lille est rejetée en toutes ses conclusions.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme B... A....

Une copie en sera adressée au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience publique du 10 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Thierry Sorin, président de chambre,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 octobre 2023.

Le rapporteur,

Signé : G. ToutiasLe président de chambre

Signé : T. Sorin

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Anne-Sophie Villette

2

N°22DA02506


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA02506
Date de la décision : 31/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Sorin
Rapporteur ?: M. Guillaume Toutias
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : DALIL ESSAKALI

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-10-31;22da02506 ?
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