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28/08/2024 | FRANCE | N°23DA01934

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 2ème chambre, 28 août 2024, 23DA01934


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 10 novembre 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il doit être éloigné.



Par un jugement n° 2300034 du 30 mai 2023, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.



Proc

édure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 13 octobre 2023, M. B..., représenté par Me Nadejda...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 10 novembre 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il doit être éloigné.

Par un jugement n° 2300034 du 30 mai 2023, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 13 octobre 2023, M. B..., représenté par Me Nadejda Bidault, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 10 novembre 2022 du préfet de la Seine-Maritime ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ou, subsidiairement, de procéder à un réexamen de sa situation en lui remettant dans l'attente une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, en application des dispositions de l'article 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991, une somme de 1 500 euros à verser à son conseil désigné au titre de l'aide juridictionnelle.

Il soutient que :

- la décision portant refus de séjour, en ce qu'elle ne comporte que des formules stéréotypées et ne prend pas en considération sa situation familiale et matérielle, n'est pas suffisamment motivée ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que sa conjointe et leurs deux filles résident en France, qu'il s'investit dans l'éducation de ses filles, qu'il n'a plus aucun lien dans son pays d'origine et que le couple qu'il forme avec sa compagne dispose de moyens d'existence suffisants ;

- elle est entachée, pour les mêmes motifs que ceux exposés précédemment, d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant dès lors que l'intérêt de ses filles est de pouvoir vivre aux cotés de leurs deux parents, qu'elles ont toujours vécu et été scolarisées en Europe et qu'elles n'ont aucun lien avec le Nigéria ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en tant qu'elle se fonde sur la décision portant refus de séjour qui est elle-même illégale ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de destination est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 novembre 2023, le préfet de la Seine-Maritime conclut au rejet de la requête d'appel de M. B....

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par une ordonnance en date du 19 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 avril 2024 à 12 heures.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 septembre 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Guillaume Toutias, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., né le 2 mars 1980, de nationalité nigériane, est entré irrégulièrement en France dans le courant de l'année 2019 pour rejoindre sa conjointe et leurs deux filles qui résident régulièrement sur le territoire. Le 2 septembre 2022, il a sollicité son admission au séjour pour des motifs tenant à sa vie privée et familiale. Par un arrêté du 10 novembre 2022, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de faire droit à sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il doit être éloigné. M. B... relève appel du jugement du 30 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ".

3. Il ressort des pièces du dossier, et il n'est pas sérieusement contesté par le préfet de la Seine-Maritime, que M. B..., à la date de l'arrêté attaqué, est présent en France et réside au domicile de sa compagne et de leurs deux filles depuis au moins novembre 2019, soit trois années. Si la cellule familiale a été séparée entre 2017, date d'arrivée en France de la compagne de M. B..., et 2019, date de sa propre installation sur le territoire, l'antériorité du couple et de la cellule familiale n'est pas contestée, pas plus que l'existence d'une communauté de vie antérieure. A cet égard, il ressort de leurs actes de naissance que les deux enfants sont nées en Italie en 2009 et 2012 et qu'ils mentionnent la filiation de M. B... et de sa compagne. En outre, il ressort des différentes attestations versées au dossier que M. B... participe activement à l'éducation de ses filles, qui sont toutes les deux scolarisées sans interruption en France depuis leur arrivée sur le territoire en 2017. Enfin, il ressort également des pièces du dossier que la compagne de M. B... disposait, à la date de l'arrêté attaqué, d'un récépissé de renouvellement de son titre de séjour dans l'attente de la remise d'une carte de séjour pluriannuelle valable jusqu'au 19 août 2026 et qu'elle justifie d'une situation professionnelle stable et de nature à offrir à sa famille et à son compagnon des conditions matérielles permettant une bonne insertion dans la société française. Aucun élément du dossier n'est de nature à révéler l'absence, pour M. B..., de toute perspective d'intégration professionnelle. Il justifie aussi des démarches entreprises pour progresser dans son apprentissage de la langue française. Dans ces conditions, compte tenu de l'ancienneté de la cellule familiale que M. B... forme avec sa compagne et leurs deux filles, de ce que celles-ci sont établies régulièrement en France et des conditions matérielles d'existence de la famille, le préfet de la Seine-Maritime, en refusant de délivrer à M. B... la carte de séjour temporaire sollicitée, doit être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et comme ayant méconnu les stipulations et dispositions citées au point précédent. Le moyen soulevé en ce sens par M. B... doit, dès lors, être accueilli.

4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 novembre 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour et, par voie de conséquence, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

5. Eu égard au motif d'annulation ci-dessus retenu, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime, ou à tout autre préfet territorialement compétent, de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu en revanche d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par M. B....

Sur les frais liés au litige :

6. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Nadejda Bidault, avocate de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Nadejda Bidault de la somme de 1 000 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2300034 du 30 mai 2023 du tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 10 novembre 2022 du préfet de la Seine-Maritime est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Maritime, ou à tout autre préfet territorialement compétent, de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Nadejda Bidault une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Nadejda Bidault renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet de la Seine-Maritime et à Me Nadejda Bidault.

Délibéré après l'audience publique du 9 juillet 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Baronnet, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 août 2024.

Le rapporteur,

Signé : G. ToutiasLe président de la formation

de jugement,

Signé : M. C...

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

l'agent de greffe

2

N°23DA01934


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01934
Date de la décision : 28/08/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Baronnet
Rapporteur ?: M. Guillaume Toutias
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : BIDAULT

Origine de la décision
Date de l'import : 01/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-08-28;23da01934 ?
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