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29/08/2024 | FRANCE | N°22DA00540

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 1ère chambre, 29 août 2024, 22DA00540


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société par actions simplifiée (SAS) Montigny Gohelle Distribution (MGD) a demandé au tribunal administratif de Lille :

- de condamner le syndicat mixte des transports Artois Gohelle (SMTAG) à lui verser la somme de 164 871 euros en réparation des préjudices subis du 1er juillet 2017 au 31 mars 2018 ;

- de mettre à la charge du SMTAG le versement de la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice

administrative.



Par un jugement n° 1809232 du 4 janvier 2022, le tribunal administra...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Montigny Gohelle Distribution (MGD) a demandé au tribunal administratif de Lille :

- de condamner le syndicat mixte des transports Artois Gohelle (SMTAG) à lui verser la somme de 164 871 euros en réparation des préjudices subis du 1er juillet 2017 au 31 mars 2018 ;

- de mettre à la charge du SMTAG le versement de la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1809232 du 4 janvier 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande et mis à la charge de la SAS Montigny Gohelle Distribution la somme de 1 500 euros à verser au SMTAG au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 3 mars 2022, la société par actions simplifiée (SAS) Montigny Gohelle Distribution (MGD), représentée par Me David Mink, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner le syndicat mixte des transports Artois Gohelle (SMTAG) à lui verser la somme de 164 871 euros en réparation des préjudices subis du 1er juillet 2017 au 31 mars 2018, déduction faite de l'avance de 106 000 euros versée par le SMTAG ;

3°) de mettre à la charge du SMTAG la somme de 2 500 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a subi un préjudice anormal et spécial du 1er juillet 2017 au 31 mars 2018 en raison de travaux publics menés par le SMTAG sur l'avenue François Mitterrand qui, en raison de leur durée et de leur intensité, ont rendu excessivement difficile l'accès au magasin Intermarché qu'elle exploite ;

- s'agissant de la période du 1er juillet 2017 au 15 novembre 2017, le SMTAG a reconnu sa responsabilité ; le principe d'estoppel s'oppose à ce qu'il se prévale désormais d'une position contraire qui lui est défavorable ; le tribunal n'a pas pris position sur ce moyen et sur les préjudices subis en 2017 ;

- s'agissant de la période du 16 novembre 2017 au 31 mars 2018, deux procès-verbaux de constat d'huissier attestent de la persistance du blocage de l'accès au supermarché ; si le SMTAG soutient que les travaux ne lui sont pas imputables, il n'apporte aucun élément en ce sens.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 décembre 2022, le syndicat mixte Artois mobilités, anciennement dénommé syndicat mixte des transports Artois Gohelle, représenté par Me Mathieu Noël, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la société Montigny Gohelle Distribution le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens présentés dans la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 1er mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 4 avril 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- et les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société par actions simplifiée (SAS) Montigny Gohelle Distribution (MGD) exploite sous l'enseigne " Intermarché " un supermarché situé 49 avenue François Mitterrand à Montigny-en-Gohelle (Pas-de-Calais). Des travaux de voirie effectués pour le compte du syndicat mixte des transports Artois Gohelle (SMTAG) ont eu lieu dans cette avenue à compter du 1er juillet 2017. Par une délibération du 9 mars 2017, le SMTAG a institué une commission d'indemnisation amiable du préjudice économique (CIAPE) afin d'instruire les demandes d'indemnisation des pertes de rentabilité anormales des commerçants et responsables d'entreprises résultant de ces travaux. Estimant que la baisse de son chiffre d'affaires entre le 1er juillet 2017 et le 31 mars 2018 constitue un préjudice " anormal et spécial " imputable à ces travaux, la société MGD a présenté une demande indemnitaire auprès de la commission. Un protocole d'indemnisation provisoire conclu le 10 novembre 2017 entre le SMTAG et la société MGD a fixé le versement d'une avance de 106 000 euros couvrant les mois de juillet à septembre 2017. La CIAPE a émis, le 17 janvier 2018, un avis favorable au versement d'une indemnité définitive de 150 471 euros en réparation des préjudices subis du fait des travaux réalisés du 1er juillet 2017 au 15 novembre 2017. Le 12 avril 2018, la société MGD a demandé au SMTAG une indemnisation complémentaire de 120 400 euros en réparation des préjudices subis du 16 novembre 2017 au 31 mars 2018. Le 16 mai 2018, le SMTAG a, de nouveau, accepté de verser une indemnisation pour la période antérieure au 15 novembre 2017 mais a refusé de faire droit à la demande d'indemnisation complémentaire. Elle a ensuite implicitement rejeté le recours gracieux formé par la SAS MGD le 18 juin 2018. Par la présente requête, la SAS MGD interjette appel du jugement n° 1809232 du 4 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Lille a, en son article 1er, refusé de faire droit à sa demande tendant à la condamnation du SMTAG, devenu depuis le syndicat mixte Artois mobilités, à lui verser la somme de 164 871 euros en réparation des préjudices subis du 1er juillet 2017 au 31 mars 2018.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L.9 du code de justice administrative : " Les jugements doivent être motivés ".

3. La SAS MGD fait grief au tribunal administratif de Lille de ne pas s'être prononcé sur les préjudices qu'elle allègue avoir subis en 2017, à compter du 1er juillet, et sur le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'estoppel selon lequel une partie ne peut se prévaloir d'une position contraire à celle qu'elle a prise antérieurement lorsque ce changement se produit au détriment de l'autre partie.

4. Toutefois, il ressort du point 3 du jugement attaqué que le tribunal a examiné si les préjudices invoqués présentaient le caractère grave et spécial requis pour engager la responsabilité du SMTAG et a notamment estimé que l'accès au magasin était resté possible " pendant toute la durée des travaux ", ce qui inclut nécessairement la période allant du 1er juillet 2017, date de début des travaux, au 31 décembre 2017. Il a, par ailleurs, regardé comme inopérante la circonstance que le syndicat avait proposé, à deux reprises, à la société de l'indemniser pour la baisse de son activité commerciale entre le 1er juillet 2017 et le 15 novembre 2017. Il a ainsi implicitement écarté le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'estoppel. Par suite, la SAS MGD n'est pas fondée à soutenir que le jugement est irrégulier pour défaut de motivation et défaut de réponse à un moyen opérant.

Sur le bien-fondé du jugement :

5. La SAS MGD demande que le SMTAG l'indemnise de la baisse de chiffre d'affaires qu'elle affirme avoir subie entre le 1er juillet 2017 et le 31 mars 2018 du fait des difficultés d'accès à son magasin, générées par les travaux de voirie réalisés dans la commune de Montigny-en-Gohelle pour le compte du syndicat, et se prévaut de sa prise de position en faveur de son indemnisation exprimée dans deux courriers du 31 janvier 2018 et du 16 mai 2018.

6. La responsabilité du maître de l'ouvrage est engagée, même sans faute, à raison des dommages que l'ouvrage public dont il a la garde peut causer aux tiers. Cette responsabilité n'est susceptible d'être atténuée ou supprimée que dans le cas où elle est imputable à un cas de force majeure ou à une faute de la victime, sans que le maître de l'ouvrage puisse se prévaloir du fait d'un tiers. Le riverain d'une voie publique qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics, à l'égard de laquelle il a la qualité de tiers, doit établir, d'une part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages allégués et, d'autre part, le caractère grave et spécial de son préjudice, les riverains des voies publiques étant tenus de supporter, sans contrepartie, les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général. Si, en principe, les modifications apportées à la circulation générale et résultant soit de changements effectués dans l'assiette, la direction ou l'aménagement des voies publiques, soit de la création de voies nouvelles, ne sont pas de nature à ouvrir droit à indemnité, il en va autrement dans le cas où ces modifications ont pour conséquence d'interdire ou de rendre excessivement difficile l'accès des riverains à la voie publique. Lorsqu'il est saisi par un requérant, qui s'estime victime d'un dommage de travaux publics, de conclusions indemnitaires à raison d'un préjudice grave et spécial, il appartient au juge administratif de porter une appréciation globale sur l'ensemble des chefs de dommages allégués.

7. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'avis favorable rendu le 17 janvier 2018 et réitéré le 18 avril 2018 par la CIAPE pour verser une indemnité définitive d'un montant de 150 471 euros au magasin Intermarché au titre du préjudice subi du 1er juillet au 15 novembre 2017, le SMTAG a fait savoir à l'exploitant de l'enseigne, par deux courriers du 31 janvier 2018 et du 16 mai 2018, que " cette proposition d'indemnisation sera suivie et [qu']un protocole d'indemnisation [lui] sera soumis prochainement ".

8. Toutefois, premièrement, la SAS MGD ne peut utilement invoquer la méconnaissance du principe d'estoppel qui ne résulte d'aucune disposition ou convention ou d'aucun principe directement applicable en droit français.

9. Deuxièmement, il n'existe pas en plein contentieux de la responsabilité un principe général en vertu duquel la partie, qui a accepté, au stade précontentieux, le principe de sa responsabilité et fixé un montant de réparation du préjudice subi par l'autre partie, ne saurait se contredire dans la procédure contentieuse au détriment de cette partie dès lors qu'aucun protocole transactionnel n'a été signé par les deux parties. Dans la mesure où, à la suite des propositions d'indemnisation émises, à un stade amiable, par le SMTAG et acceptées en partie par la SAS MGD, aucune transaction n'a été conclue entre les parties, le SMTAG a le droit de revenir, dans l'instance contentieuse, sur ses propositions.

10. En tout état de cause, en l'absence de toute renonciation des parties à porter leur contestation en justice, et compte tenu du principe selon lequel une personne publique ne doit pas être condamnée à verser une somme d'argent qu'elle ne doit pas, il appartient au juge de s'assurer que les conditions d'engagement de la responsabilité d'une personne publique sont remplies.

11. En l'espèce, il résulte de l'instruction que des travaux de voirie réalisés pour le compte du SMTAG ont consisté en l'aménagement de voies de bus notamment sur l'avenue François Mitterrand et le boulevard Salvador Allende, situés de part et d'autre du rond-point Pierre Bérégovoy desservant le magasin " Intermarché " exploité par la SAS MGD. En fournissant un plan général des travaux dépourvu de toute précision temporelle, le SMTAG ne conteste pas utilement que les travaux en cause se sont étalés entre le 1er juillet 2017 et le 31 mars 2018, cette dernière date ressortant du procès-verbal de constat d'huissier du 8 juin 2018.

12. Cependant, la SAS MGD ne démontre pas la réalité de son préjudice en se bornant à verser, d'une part, trois procès-verbaux d'huissier de justice dressés entre le 1er février et le 28 mars 2018 qui mentionnent le maintien de l'accès au magasin, signalé par un panneau, en dépit de la restriction à un sens de circulation sur l'avenue François Mitterrand et de la présence occasionnelle d'un engin de travaux, d'autre part, des pièces comptables brutes qui ne suffisent pas à apprécier la baisse de chiffre d'affaires alléguée entre ces deux dates. Ainsi, la société MGD n'établit pas que les travaux affectant les voies desservant son magasin auraient excédé les sujétions normales qui peuvent être imposées aux riverains de la voie publique et seraient de nature à lui ouvrir droit à réparation. Ses conclusions indemnitaires doivent donc être rejetées.

13. Il résulte de ce qui précède que la SAS MGD n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 4 janvier 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du syndicat mixte Artois mobilités, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par la société MGD au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

15. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SAS MGD le versement d'une somme de 1 000 euros à verser au syndicat mixte Artois mobilités en application des dispositions précitées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SAS Montigny Gohelle Distribution est rejetée.

Article 2 : La SAS Montigny Gohelle Distribution versera au syndicat mixte Artois Mobilités une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Montigny Gohelle Distribution et au syndicat mixte Artois mobilités.

Délibéré après l'audience publique du 4 juillet 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Denis Perrin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 août 2024.

La présidente-rapporteure,

Signé : I. LegrandLa présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au préfet du Pas-de-Calais en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Nathalie Roméro

N°22DA00540 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22DA00540
Date de la décision : 29/08/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Isabelle Legrand
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : SELARL PARME AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 18/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-08-29;22da00540 ?
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