Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille :
- de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;
- d'annuler l'arrêté du 21 février 2024 par lequel le préfet du Nord a décidé de le remettre aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile ;
- d'enjoindre au préfet du Nord de l'admettre en qualité de demandeur d'asile ;
- de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 200 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un jugement n° 2402195 du 23 mai 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a prononcé un non-lieu à statuer sur la demande d'admission à l'aide juridictionnelle à titre provisoire de M. A... (article 1), a annulé l'arrêté du 21 février 2024 (article 2), a enjoint au préfet du Nord de procéder au réexamen de la situation de M. A... (article 3) a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser au conseil de M. A..., Me Zairi, au titre des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 (article 4) et a rejeté le surplus des conclusions de la requête (article 5).
Procédures devant la cour :
I - Par une requête, enregistrée sous le n° 24DA01629 le 6 août 2024, le préfet du Nord, représenté par Me Nicolas Rannou, demande à la cour d'annuler le jugement du 23 mai 2024 en ses articles 2 à 4 et de rejeter la demande présentée en première instance par M. A....
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a retenu le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 : l'entretien individuel a été mené par un agent qualifié de la préfecture ; en tout état de cause, l'audience devant le tribunal est de nature à remédier à l'éventuelle défaillance au stade de l'entretien ;
- les moyens invoqués par M. A... en première instance et tirés du défaut de motivation de l'arrêté, du défaut d'examen particulier de sa situation, de la violation des articles 3.2, 4 et 17 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013, de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à M. A... qui n'a pas produit de mémoire.
Par une ordonnance du 7 octobre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 24 octobre 2024.
II - Par une requête, enregistrée sous le n° 24DA01775 le 28 août 2024, le préfet du Nord, représenté par Me Nicolas Rannou, demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 23 mai 2024.
Il soutient que :
- les moyens qu'il invoque sont sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation présentées par M. A... en première instance ;
- c'est à tort que le tribunal a retenu le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 : l'entretien individuel a été mené par un agent qualifié de la préfecture ; en tout état de cause, l'audience devant le tribunal est de nature à remédier à l'éventuelle défaillance au stade de l'entretien ;
- les moyens invoqués par M. A... en première instance et tirés du défaut de motivation de l'arrêté, du défaut d'examen particulier de sa situation, de la violation des articles 3.2, 4 et 17 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013, de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 21 octobre 2024, la présidente de la 1ère chambre a dispensé d'instruction la requête n° 24DA01775, en application des dispositions de l'article R. 611-8 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n° 604/2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- la directive n° 2013/33/UE du 26 juin 2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Les rapports de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure, ont été entendus au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant soudanais né le 12 décembre 2003, a déposé une demande d'asile auprès des services de la préfecture du Nord le 16 novembre 2023. A la suite de cette demande, le préfet du Nord, constatant que les empreintes de l'intéressé avaient été enregistrées dans la base dactyloscopique centrale de données informatisées du système Eurodac en Italie le 27 août 2023, a saisi les autorités italiennes le 7 décembre 2023, d'une demande de prise en charge de l'intéressé. L'Italie a donné son accord implicite le 8 février 2024 à sa prise en charge. Par un arrêté du 21 février 2024, le préfet du Nord a décidé de remettre M. A... aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile. Par les deux requêtes susvisées, qu'il convient de joindre, le préfet du Nord interjette appel et demande qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 2402195 du 23 mai 2024, en tant que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 21 février 2024, lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. A... et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser au conseil de M. A..., au titre des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur la requête n°24DA01629 :
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
S'agissant du moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Lille :
2. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Entretien individuel - 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
3. S'il ne résulte ni des dispositions citées au point précédent ni d'aucun principe que devrait figurer sur le compte-rendu de l'entretien individuel la mention de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien, il appartient à l'autorité administrative, en cas de contestation sur ce point, d'établir par tous moyens que l'entretien a, en application des dispositions précitées de l'article 5.5 du règlement du 26 juin 2013, été " mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ". Si un agent de préfecture est affecté au service des étrangers ou si figure au dossier mention d'éléments de son parcours professionnel le rendant apte à mener l'entretien prévu à l'article 5 du règlement du 26 juin 2013, l'agent doit être regardé comme qualifié en vertu du droit national pour conduire cet entretien.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a été reçu en entretien individuel le 16 novembre 2023 à la préfecture du Nord et qu'il a signé le résumé de cet entretien. Ce résumé, s'il comporte la signature de la personne ayant mené l'entretien, ne contient aucune mention de son identité, même sommaire par des initiales, permettant de l'identifier. Il est cependant revêtu, en bas de la dernière page, d'un cachet administratif portant les mentions " République française ", " préfecture du Nord ", " D.I.I. Asile 3 ". A cet égard, l'administration fait valoir, pour la première fois en appel, que ce cachet administratif n'est pas le " cachet sommaire d'un service " mais un cachet individuel, répertorié dans un registre actualisé des tampons du contrôle interne de la fraude, et qu'il est dévolu à un agent de la préfecture affecté au sein du service des étrangers, précisément identifié, qui en dispose seul et qui le reçoit à sa prise de fonction. Dans ces conditions, le préfet du Nord doit être regardé comme rapportant la preuve que l'entretien a été mené par une " personne qualifiée en vertu du droit national " au sens de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013. Par suite, il est fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille s'est fondée, pour annuler l'arrêté du 21 février 2024 prononçant le transfert de M. A... aux autorités italiennes, sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... en première instance.
S'agissant des autres moyens :
Au titre de la légalité externe :
Quant au moyen tiré du défaut de motivation :
6. Aux termes de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. ". Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre État membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
7. En l'espèce, l'arrêté de transfert en litige mentionne le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative s'est fondée pour estimer que l'examen de la demande d'asile présentée devant elle relevait de la responsabilité d'un autre Etat membre. Il indique notamment que M. A..., avant de venir en France, est entré irrégulièrement en Italie, qui est responsable de l'examen de sa demande d'asile en vertu de l'application de l'article 13.1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et a accepté le 8 février 2024 sa prise en charge. Ces énonciations ont mis l'intéressé à même de comprendre les motifs de la décision pour lui permettre d'exercer utilement un recours. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté attaqué doit être écarté comme manquant en fait.
Quant au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 :
8. L'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dispose que : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. (...) ".
9. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement.
10. Il ressort des pièces du dossier que M. A... est vu remettre la brochure A, intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - Quel pays sera responsable de ma demande ' " et la brochure B, intitulée " Je suis sous procédure Dublin - Qu'est-ce que cela signifie ' ", ainsi que le guide du demandeur d'asile en France, en langue arabe qu'il a déclaré comprendre. Ces documents, signés par M. A... lors de leur remise, lui ont été expliqués par le truchement d'un interprète en langue arabe lors de l'entretien individuel du 16 novembre 2023. En outre, l'intéressé a déclaré avoir compris la procédure engagée à son encontre et, sur le résumé de l'entretien mené en préfecture, a coché la case indiquant que l'information sur les règlements communautaires lui avait été remise. Dans ces conditions, les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) 604/2013 n'ont pas été méconnues.
Au titre de la légalité interne :
11. D'une part, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable (...) 2. Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ".
12. D'autre part, l'article 17 du même règlement (UE) n°604/2013 prévoit : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". La faculté laissée à chaque État membre, par l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 précité, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
13. Ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 16 février 2017, affaire n° C-578/16 PPU, " l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit être interprété en ce sens que, même en l'absence de raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillance systémiques dans l'État membre responsable de l'examen de la demande d'asile, le transfert d'un demandeur d'asile dans le cadre du règlement n° 604/2013 ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l'intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de cet article ". Dans une affaire n° 29217/12 du 4 novembre 2014, Tarakhel c/ Suisse, la Cour européenne des droits de l'homme a relevé que les capacités d'accueil de l'Italie étaient alors localement défaillantes, sans qu'il s'agisse pour autant d'une défaillance systémique. La Cour a considéré que cette situation n'empêchait pas l'adoption de décisions de transfert, mais obligeait le pays qui envisageait une procédure de remise, lorsqu'elle porte sur une personne particulièrement vulnérable, de s'assurer au préalable, avant toute exécution matérielle, auprès des autorités italiennes qu'à leur arrivée en Italie, les personnes concernées seront notamment accueillies dans des structures et dans des conditions adaptées à leur situation familiale et à leur état de santé.
14. Si l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités de ce pays répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
15. En l'espèce, M. A... se borne à invoquer la méconnaissance des dispositions précitées sans faire état d'aucun élément circonstancié justifiant ses craintes quant à une défaillance, systémique ou propre à sa situation, des autorités italiennes qui aurait dû conduire le préfet à décider d'examiner sa demande d'asile en France. Il ressort d'ailleurs du résumé de l'entretien individuel que l'intéressé est célibataire, sans famille en France et n'a pas de problème de santé. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3 du règlement (UE) 604/2013 et de l'erreur manifeste d'appréciation au regard de son article 17 doivent être écartés.
16. Il suit de là que les conclusions de M. A... tendant à l'annulation de l'arrêté du 21 février 2024 par lequel le préfet du Nord a décidé de le remettre aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile et à ce qu'il soit enjoint au préfet du Nord de l'admettre en qualité de demandeur d'asile doivent être rejetées.
En ce qui concerne les frais de la première instance :
17. Partie perdante dans la première instance, M. A... ne peut voir accueillies ses conclusions présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
18. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 21 février 2024, lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. A... et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser au conseil de l'intéressé, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur la requête n°24DA01775 :
19. Le présent arrêt statuant sur la requête en annulation présentée contre le jugement n°2402195 du 23 mai 2024 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille, la requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement devient sans objet.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 23 mai 2024 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille est annulé en ses articles 2 à 4.
Article 2 : La demande de M. B... A... présentée en première instance est rejetée.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fins de sursis à exécution de la requête n° 24DA01775 du préfet du Nord.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 28 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Vincent Thulard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2024.
La présidente-rapporteure,
Signé : I. LegrandLa présidente de la 1ère chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
N°24DA01629, 24DA01775 2