Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille :
- de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;
- d'annuler l'arrêté du 1er mars 2024 par lequel le préfet du Nord a décidé de le remettre aux autorités allemandes pour l'examen de sa demande d'asile ;
- d'enjoindre au préfet du Nord, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale ou à défaut, de procéder au réexamen de sa situation ;
- de mettre à la charge de l'Etat, le versement à son conseil de la somme de 1 200 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un jugement n° 2402378 du 24 mai 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a admis M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire (article 1), a annulé l'arrêté du 1er mars 2024 (article 2), a enjoint au préfet du Nord de procéder au réexamen de la situation de M. B... (article 3) et a mis à la charge de l'Etat la somme de 900 euros à verser au conseil de M. B..., au titre des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 (article 4).
Procédures devant la cour :
I - Par une requête, enregistrée sous le n° 24DA01618, le 6 août 2024, le préfet du Nord, représenté par Me Nicolas Rannou, demande à la cour d'annuler le jugement du 24 mai 2024 en ses articles 2 à 4 et de rejeter la demande présentée en première instance par M. B....
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a retenu le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 : l'entretien individuel a été mené par un agent qualifié de la préfecture ; en tout état de cause, l'audience devant le tribunal est de nature à remédier à l'éventuelle défaillance au stade de l'entretien ;
- les moyens invoqués par M. B... en première instance et tirés du défaut d'examen particulier de sa situation, de la violation de l'article 4 et de la violation manifeste de l'article 17 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013, de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et de l'article 53-1 de la Constitution, ainsi que de l'erreur manifeste d'appréciation, ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 novembre 2024, M. A... B..., représenté par Me Sophie Danset-Vergoten, demande à la cour, par la voie de l'appel incident :
- de rejeter la requête du préfet du Nord ;
- d'annuler l'arrêté du 1er mars 2024 ;
- d'enjoindre au préfet du Nord d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation ;
- de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que l'arrêté est entaché d'un défaut d'examen particulier de sa situation, d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et l'article 53-1 de la Constitution, ainsi que les articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
M. A... B... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 novembre 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.
Par une ordonnance du 4 novembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 22 novembre 2024.
II - Par une requête, enregistrée sous le n° 24DA01765 le 28 août 2024, le préfet du Nord, représenté par Me Nicolas Rannou, demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 24 mai 2024.
Il soutient que :
- les moyens qu'il invoque sont sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation présentées par M. B... en première instance ;
- c'est à tort que le tribunal a retenu le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 : l'entretien individuel a été mené par un agent qualifié de la préfecture ; en tout état de cause, l'audience devant le tribunal est de nature à remédier à l'éventuelle défaillance au stade de l'entretien ;
- les moyens invoqués par M. B... en première instance et tirés du défaut d'examen particulier de sa situation, de la violation de l'article 4 et de la violation manifeste de l'article 17 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013, de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et de l'article 53-1 de la Constitution, ainsi que de l'erreur manifeste d'appréciation, ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 21 octobre 2024, la présidente de la 1ère chambre a dispensé d'instruction la requête n° 24DA01765, en application des dispositions de l'article R. 611-8 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la Constitution du 4 octobre 1958 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n° 604/2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- la directive n° 2013/33/UE du 26 juin 2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Les rapports de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure, ont été entendus au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant irakien né le 25 mars 1995, a déposé une demande d'asile auprès des services de la préfecture du Nord le 23 novembre 2023. A la suite de cette demande, le préfet du Nord, a constaté que les empreintes de l'intéressé avaient été enregistrées dans la base dactyloscopique centrale de données informatisées du système Eurodac en Bulgarie le 9 août 2021 et en Allemagne le 8 septembre 2021. Le préfet du Nord a saisi les autorités bulgares et les autorités allemandes d'une demande de reprise en charge le 23 janvier 2024 sur le fondement de l'article 18.1.b du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. La Bulgarie a rejeté cette demande le 25 janvier 2024 et l'Allemagne l'a acceptée le 25 janvier 2024. Par un arrêté du 1er mars 2024, le préfet du Nord a décidé de remettre M. B... aux autorités allemandes, responsables de l'examen de sa demande d'asile. Par les deux requêtes susvisées, qu'il convient de joindre, le préfet du Nord interjette appel et demande qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 2402378 du 24 mai 2024, en tant que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 1er mars 2024, lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. B... et a mis à la charge de l'Etat la somme de 900 euros à verser à son conseil, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur la requête n°24DA01618 :
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
S'agissant du moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Lille :
2. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Entretien individuel - 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
3. S'il ne résulte ni des dispositions citées au point précédent ni d'aucun principe que devrait figurer sur le compte-rendu de l'entretien individuel la mention de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien, il appartient à l'autorité administrative, en cas de contestation sur ce point, d'établir par tous moyens que l'entretien a, en application des dispositions précitées de l'article 5.5 du règlement du 26 juin 2013, été " mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ". Si un agent de préfecture est affecté au service des étrangers ou si figure au dossier mention d'éléments de son parcours professionnel le rendant apte à mener l'entretien prévu à l'article 5 du règlement du 26 juin 2013, l'agent doit être regardé comme qualifié en vertu du droit national pour conduire cet entretien.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a été reçu en entretien individuel le 23 novembre 2023 à la préfecture du Nord et qu'il a signé le résumé de cet entretien. Ce résumé, s'il comporte la signature de la personne ayant mené l'entretien, ne contient aucune mention de son identité, même sommaire par des initiales, permettant de l'identifier. Il est cependant revêtu, en bas de la dernière page, d'un cachet administratif portant les mentions " République française ", " préfecture du Nord ", " D.I.I. Asile 2 ". A cet égard, l'administration fait valoir, pour la première fois en appel, que ce cachet administratif n'est pas le " cachet sommaire d'un service " mais un cachet individuel, répertorié dans un registre actualisé des tampons du contrôle interne de la fraude, et qu'il est dévolu à un agent de la préfecture affecté au sein du service des étrangers, précisément identifié, qui en dispose seul et qui le reçoit à sa prise de fonction. Dans ces conditions, le préfet du Nord doit être regardé comme rapportant la preuve que l'entretien a été mené par une " personne qualifiée en vertu du droit national " au sens de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013. Par suite, il est fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille s'est fondée, pour annuler l'arrêté du 1er mars 2024 prononçant le transfert de M. B... aux autorités allemandes, sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... en première instance.
S'agissant des autres moyens :
Au titre de la légalité externe :
Quant au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 :
6. L'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride dispose que : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. (...) ".
7. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement.
8. Il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est vu remettre la brochure A, intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' ", et la brochure B, intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", en langue kurde. Ces documents, signés par M. B... lors de leur remise, lui ont été expliqués par le truchement d'un interprète en langue kurde lors de l'entretien individuel du 23 novembre 2023. En outre, l'intéressé a déclaré avoir compris la procédure engagée à son encontre et, sur le résumé de l'entretien mené en préfecture, a coché la case indiquant que l'information sur les règlements communautaires lui a été remise. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doit être écarté.
Quant au moyen tiré du défaut d'examen particulier de sa situation :
9. L'arrêté de transfert en litige mentionne le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative s'est fondée pour estimer que l'examen de la demande d'asile présentée devant elle relevait de la responsabilité d'un autre Etat membre. Il indique notamment que M. B... s'est déjà présenté en Bulgarie et en Allemagne, où ses empreintes digitales avaient été relevées respectivement le 9 août 2021 et le 8 septembre 2021, avant de se présenter en France le 23 novembre 2023. Il relate également les allégations de l'intéressé relativement à sa vie privée et familiale. Il ressort de la motivation de l'arrêté que le préfet a procédé à un examen sérieux des éléments relatifs à la situation de M. B... alors portés à sa connaissance. Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen particulier de sa situation doit être écarté.
Au titre de la légalité interne :
Quant aux moyens tirés de la méconnaissance de l'article 53-1 de la Constitution et de la méconnaissance manifeste de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 :
10. Aux termes de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". La mise en œuvre par les autorités françaises de cet article 17 doit être assurée à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, aux termes duquel : " (...) les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ". La faculté laissée à chaque État membre, par l'article 17 du règlement précité, de décider d'examiner une demande d'asile qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
11. M. B... se borne à soutenir que le préfet du Nord aurait dû faire application de la clause discrétionnaire prévue par l'article 17 du règlement (UE) du 26 juin 2013, sans faire état d'aucun élément circonstancié. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la situation de M. B... relevait de la dérogation prévue par cet article ni que les autorités allemandes n'examineront pas sérieusement sa demande de protection. Les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 53-1 de la Constitution et de la méconnaissance manifeste de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 doivent donc être écartés.
Quant aux moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et de l'erreur manifeste d'appréciation :
12. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, (...), l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. "
13. M. B... se borne à invoquer la présence en France de sa conjointe et de leur fille en bas-âge, née le 1er janvier 2022, sans faire état de l'ancienneté et de la continuité de leur installation sur le territoire français. En outre, il ressort des pièces du dossier que ces dernières font aussi l'objet d'une décision de transfert vers l'Allemagne, de sorte que la décision attaquée n'a pas pour effet de le séparer de sa famille proche. Dans ces conditions, la mesure de transfert en litige ne peut être regardée comme portant à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise et comme méconnaissant l'intérêt supérieur de son enfant mineur. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et de l'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.
14. Il suit de là que les conclusions de M. B... tendant à l'annulation de l'arrêté du 1er mars 2024 par lequel le préfet du Nord a décidé de le remettre aux autorités allemandes pour l'examen de sa demande d'asile et à ce qu'il soit enjoint au préfet du Nord d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et de procéder au réexamen de sa situation doivent être rejetées.
En ce qui concerne les frais de la première instance :
15. Partie perdante dans la première instance, M. B... ne peut voir accueillies ses conclusions présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
16. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 1er mars 2024, lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. B... et a mis à la charge de l'Etat la somme de 900 euros à verser au conseil de l'intéressé, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
En ce qui concerne les conclusions présentées par M. B... par la voie de l'appel incident :
17. En premier lieu, compte tenu du rejet de sa demande d'annulation de l'arrêté du 1er mars 2024, ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées par voie de conséquence.
18. En second lieu, partie perdante dans l'instance d'appel, M. B... ne peut voir accueillies ses conclusions présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Sur la requête n°24DA01765 :
19. Le présent arrêt statuant sur la requête en annulation présentée contre le jugement n°2402378 du 24 mai 2024 de la magistrate désigné par le président du tribunal administratif de Lille, la requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement devient sans objet.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 24 mai 2024 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille est annulé en ses articles 2 à 4.
Article 2 : La demande de M. A... B... présentée en première instance est rejetée.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fins de sursis à exécution de la requête n° 24DA01765 du préfet du Nord.
Article 4 : Les conclusions présentées en appel par M. B... à fin d'injonction et en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et à Me Sophie Danset-Vergoten.
Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 12 décembre 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Vincent Thulard, premier conseiller,
- M. Damien Vérisson, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 janvier 2025.
L'assesseur le plus ancien,
Signé : V. ThulardLa présidente de la formation de jugement,
Signé : I. Legrand
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
N°24DA01618, 24DA01765 2