Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... B... et M. A... C... ont demandé, chacun en ce qui les concerne, au tribunal administratif de Lille :
- d'annuler les arrêtés du 9 avril 2024 par lesquels le préfet du Nord a décidé leur transfert aux autorités allemandes en vue de l'examen de leurs demandes d'asile ;
- d'enjoindre au préfet du Nord d'enregistrer leur demande d'asile en procédure normale ou, à défaut, de procéder au réexamen de leurs demandes ;
- et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à leur avocate pour chacune de leurs affaires en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un jugement n°s 2404120-2404122 du 7 juin 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille, après avoir joint leurs demandes, a admis Mme B... et M. C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire (article 1), a annulé les arrêtés du 9 avril 2024 (article 2), a enjoint au préfet du Nord de procéder au réexamen des situations de Mme B... et M. C... (article 3), a mis à la charge de l'Etat la somme globale de 2 000 euros à verser à Me Sylvie Laporte, conseil de Mme B... et M. C..., au titre des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 (article 4) et a rejeté le surplus des conclusions des requêtes (article 5).
Procédures devant la cour :
I - Par une requête, enregistrée sous le n° 24DA01669 le 11 août 2024, le préfet du Nord, représenté par Me Nicolas Rannou, demande à la cour d'annuler le jugement du 7 juin 2024 en ses articles 2 à 4 et de rejeter la demande présentée en première instance par Mme B... et M. C....
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a retenu le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 : l'entretien individuel a été mené par un agent qualifié de la préfecture ; en tout état de cause, l'audience devant le tribunal est de nature à remédier à l'éventuelle défaillance au stade de l'entretien ;
- les moyens invoqués par Mme B... et M. C... en première instance et tirés du défaut d'examen particulier de leurs situations, de la violation des articles 3.2 et4 et de la violation manifeste de l'article 17 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013, de la violation des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et de l'erreur manifeste d'appréciation ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à Mme B... et M. C... qui n'ont pas produit de mémoire.
Par une ordonnance du 4 novembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 22 novembre 2024.
II - Par une requête, enregistrée sous le n° 24DA01784 le 28 août 2024, le préfet du Nord, représenté par Me Nicolas Rannou, demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 7 juin 2024.
Il soutient que :
- les moyens qu'il invoque sont sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation présentées par Mme B... et M. C... en première instance ;
- c'est à tort que le tribunal a retenu le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 et des articles 4 et 35 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 ainsi que de l'article 4 -4 de la directive 2013/32/UE du même jour : l'entretien individuel a été mené par un agent qualifié de la préfecture ; en tout état de cause, l'audience devant le tribunal est de nature à remédier à l'éventuelle défaillance au stade de l'entretien ;
- les moyens invoqués par Mme B... et M. C... en première instance et tirés du défaut d'examen particulier de leurs situations, de la violation des articles 3.2, et 4 et de la violation manifeste de l'article 17 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013, de la violation des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et de l'erreur manifeste d'appréciation ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 21 octobre 2024, la présidente de la formation de jugement a dispensé d'instruction la présente affaire en application des dispositions de l'article R. 611-8 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n° 604/2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- la directive n° 2013/33/UE du 26 juin 2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Les rapports de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure, ont été entendus au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... et M. C..., ressortissants irakiens nés, respectivement, les 1er février 1997 et 25 mai 1990, ont déposé des demandes d'asile auprès des services de la préfecture du Nord le 1er février 2024. A la suite de ces demandes, le préfet du Nord, a constaté que les empreintes des intéressés avaient été enregistrées dans la base dactyloscopique centrale de données informatisées du système Eurodac en Allemagne, le 5 février 2020 concernant Mme B... et les 26 juillet 2016 et 12 septembre 2016 concernant M. C.... Le préfet du Nord a saisi les autorités allemandes le 29 février 2024, d'une demande de prise en charge des intéressés sur le fondement de l'article 18.1.b du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. L'Allemagne a donné son accord le 4 mars 2024 à leur reprise en charge sur le fondement de l'article 18.1.d du règlement précité. Par deux arrêtés du 9 avril 2024, le préfet du Nord a décidé de remettre Mme B... et M. C... aux autorités allemandes, responsables de l'examen de leurs demandes d'asile. Par les deux requêtes susvisées, qu'il convient de joindre, le préfet du Nord interjette appel et demande qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n°s 2404120-2404122 du 7 juin 2024, en tant que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé les arrêtés du 9 avril 2024, lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de Mme B... et de M. C... et a mis à la charge de l'Etat la somme globale de 2 000 euros à verser au conseil de Mme B... et M. C..., au titre des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur la requête n°24DA01669 :
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
S'agissant du moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Lille :
2. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Entretien individuel - 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
3. S'il ne résulte ni des dispositions citées au point précédent ni d'aucun principe que devrait figurer sur le compte-rendu de l'entretien individuel la mention de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien, il appartient à l'autorité administrative, en cas de contestation sur ce point, d'établir par tous moyens que l'entretien a, en application des dispositions précitées de l'article 5.5 du règlement du 26 juin 2013, été " mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ". Si un agent de préfecture est affecté au service des étrangers ou si figure au dossier mention d'éléments de son parcours professionnel le rendant apte à mener l'entretien prévu à l'article 5 du règlement du 26 juin 2013, l'agent doit être regardé comme qualifié en vertu du droit national pour conduire cet entretien.
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... et M. C... ont été reçus en entretiens individuels le 1er février 2024 à la préfecture du Nord et qu'ils ont signé le résumé de leurs entretiens. Ces résumés, s'ils comportent la signature des personnes ayant mené les entretiens, ne contiennent aucune mention de leur identité, même sommaire par des initiales, permettant de les identifier. Ils sont cependant revêtus, en bas de la dernière page, d'un cachet administratif portant les mentions " République française ", " préfecture du Nord ", " D.I.I. Asile 3 ". A cet égard, l'administration fait valoir, que ce cachet administratif n'est pas le " cachet sommaire d'un service " mais un cachet individuel, répertorié dans un registre actualisé des tampons du contrôle interne de la fraude, et qu'il est dévolu à un agent de la préfecture affecté au sein du service des étrangers, précisément identifié, qui en dispose seul et qui le reçoit à sa prise de fonction. Dans ces conditions, le préfet du Nord doit être regardé comme rapportant la preuve que les entretiens ont été menés par une " personne qualifiée en vertu du droit national " au sens de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013. Par suite, il est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille s'est fondé, pour annuler les arrêtés du 9 avril 2024 prononçant les transferts de Mme B... et M. C... aux autorités allemandes, sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... et M. C... en première instance.
S'agissant des autres moyens :
Au titre de la légalité externe :
Quant au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 :
6. L'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dispose que : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. (...) ".
7. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement.
8. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... et M. C... se sont vus remettre la brochure A, intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - Quel pays sera responsable de ma demande ' " et la brochure B, intitulée " Je suis sous procédure Dublin - Qu'est-ce que cela signifie ' ", en langue kurde, et que ces brochures leur ont été expliquées par le truchement d'un interprète en langue kurde lors de leurs entretiens individuels du 1er février 2024. En outre, les intéressés ont déclaré avoir compris la procédure engagée à leur encontre et, sur les résumés des entretiens menés en préfecture, ont coché la case indiquant que l'information sur les règlements communautaires leur avait été remise. Dans ces conditions, les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) 604/2013 n'ont pas été méconnues.
Quant au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 35 du règlement (UE) 604/2013 et de l'article 4.4 de la directive 2013/32/UE du même jour :
9. D'une part, aux termes de l'article 35 du règlement (UE) 604/2013 : " 1. Chaque Etat membre notifie sans délai à la Commission les autorités chargées en particulier de l'exécution des obligations découlant du présent règlement et toute modification concernant ces autorités. (...) / 3. Les autorités visées au paragraphe 1 reçoivent la formation nécessaire en ce qui concerne l'application du présent règlement. / (...) ".
10. D'autre part, aux termes de l'article 1er de la directive (UE) 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale : " La présente directive a pour objet d'établir des procédures communes d'octroi et de retrait de la protection internationale en vertu de la directive 2011/95/UE ". Aux termes de l'article 4 de la même directive : " 1. Les Etats membres désignent pour toutes les procédures une autorité responsable de la détermination qui sera chargée de procéder à un examen approprié des demandes conformément à la présente directive. (...) / 2. Les Etats membres peuvent prévoir qu'une autorité autre que celle mentionnée au paragraphe 1 est responsable lorsqu'il s'agit : / a) de traiter les cas en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 (...). / 4. Lorsqu'une autorité est désignée conformément au paragraphe 2, les Etats membres veillent à ce que le personnel de cette autorité dispose des connaissances appropriées ou reçoive la formation nécessaire pour remplir ses obligations lors de la mise en œuvre de la présente directive (...) ".
11. Il ne ressort pas des écritures de première instance de Mme B... et M. C..., qui n'ont pas produit en appel, que ceux-ci aient articulé des moyens spécifiques tirés de la méconnaissance des dispositions précitées, qu'ils se bornent à retranscrire. En tout état de cause, les intéressés ne font valoir aucun élément de nature à faire naître un doute sur la formation appropriée dispensée aux agents de préfecture qui ont mené leur entretien individuel. Il n'est donc pas établi que les entretiens se seraient déroulés de façon irrégulière, en l'absence de formation suffisante des agents qui les ont interrogés. Les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 4.4 de la directive 2013/32/UE et de l'article 35 du règlement (UE) 604/2013, à les supposer effectivement invoqués, doivent donc être écartés.
Au titre de la légalité interne :
Quant aux moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de la méconnaissance manifeste de l'article 17 du règlement (UE) 604/2013, de l'erreur manifeste d'appréciation et du défaut d'examen particulier des situations des intimés :
12. D'une part, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit règlement Dublin III : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". La faculté laissée à chaque État membre, par l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 précité, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
13. D'autre part, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne (UE), lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.
14. Si Mme B... et M. C... font état de ce que leurs demandes d'asile ont été rejetées en Allemagne et indiquent courir des risques pour leurs vies en cas de retour en Irak, il résulte de ce qui a été dit précédemment que les autorités allemandes ont expressément accepté leur réadmission par une décision du 4 mars 2024. Les intéressés n'apportent aucun élément de nature à caractériser un risque de traitements inhumains et dégradants en cas de retour en Allemagne, pas plus que des défaillances systémiques dans le système allemand d'asile. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les autorités allemandes n'évalueront pas, avant de procéder à leur éventuel éloignement, les risques auxquels ils seraient exposés en cas de retour dans le pays dont ils ont la nationalité. Enfin, s'ils font état de la présence à leur côté d'un enfant mineur, cette circonstance, à elle seule, ne suffit pas à démontrer qu'ils se trouveraient dans une situation particulière imposant d'instruire leurs demandes d'asile en France en dépit de la responsabilité de l'Allemagne. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la méconnaissance manifeste de l'article 17 du règlement (UE) 604/2013, de l'erreur manifeste d'appréciation et du défaut d'examen particulier de leurs situations doivent être écartés.
15. Il suit de là que les conclusions de Mme B... et M. C... tendant à l'annulation des arrêtés du 9 avril 2024 par lesquels le préfet du Nord a décidé de les remettre aux autorités allemandes pour l'examen de leur demande d'asile et à ce qu'il soit enjoint au préfet du Nord d'enregistrer leur demande d'asile en procédure normale ou, à défaut, de procéder au réexamen de leur situation doivent être rejetées.
En ce qui concerne les frais des premières instances :
16. Parties perdantes dans les premières instances, Mme B... et M. C... ne peuvent voir accueillies leurs conclusions présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
17. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé les arrêtés du 9 avril 2024, lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de Mme B... et M. C... et a mis à la charge de l'Etat la somme globale de 2 000 euros à verser au conseil des intéressés, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur la requête n°24DA01784 :
18. Le présent arrêt statuant sur la requête en annulation présentée contre le jugement n°s 2404120 -2404122 du 7 juin 2024 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille, la requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement devient sans objet.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2404120-2404122 du 7 juin 2024 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé en ses articles 2 à 4.
Article 2 : Les demandes de Mme D... B... et M. A... C... présentées en première instance sont rejetées.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fins de sursis à exécution de la requête n° 24DA01784 du préfet du Nord.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... et M. A... C..., à Me Sylvie Laporte et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 12 décembre 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Vincent Thulard, premier conseiller,
- M. Damien Vérisson, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 janvier 2025.
L'assesseur le plus ancien,
Signé : V. ThulardLa présidente de la formation de jugement,
Signé : I. Legrand
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
N°24DA01669, 24DA01784 2