Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le comité social et économique (CSE) de l'unité économique et sociale (UES) LOHEAC, M. A... K..., M. M... I..., M. J... E..., M. G... B..., M. C... H..., M. A... L..., M. D... F..., et le syndicat CFDT Transports routiers de Haute-Normandie ont demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 26 avril 2021 par laquelle le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) de Normandie a autorisé la société STERNA à recourir à l'activité partielle pour la période du 1er avril 2020 au 30 juin 2021, ensemble la décision implicite par laquelle cette même autorité a rejeté leur recours gracieux en date du 5 avril 2022 tendant à l'annulation de cette autorisation.
Par un jugement n° 2202550 du 12 janvier 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision autorisant le recours à l'activité partielle du 26 avril 2021, ensemble la décision implicite rejetant le recours gracieux formé le 5 avril 2022, et a rejeté le surplus des conclusions des requérants.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 13 mars 2023, la société STERNA, représentée par Me Mechantel (SCP Boniface Dakin et associés), demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif de Rouen par le CSE de l'UES LOHEAC et autres.
Elle soutient que :
- l'autorisation de recourir à l'activité partielle accordée par l'administration du travail ne modifie en rien la situation des salariés dans la mesure où elle n'a ni pour objet, ni pour effet de réduire leur temps de travail et leur rémunération ; ni le comité social et économique (CSE), ni les salariés, ni le syndicat CFDT Transports routiers de Haute-Normandie ne démontrent en quoi cette décision leur fait grief de sorte que c'est à tort que le tribunal a déclaré leur requête recevable ;
- les premiers juges ont entaché leur jugement d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article R. 5122-2 du code du travail qui, par dérogation, prévoient que l'avis du CSE peut être recueilli dans un délai de deux mois suivant la demande d'autorisation de recours à l'activité partielle ; en l'occurrence, le CSE a été consulté le 28 mai 2020 sur la demande d'autorisation déposée le 8 avril précédent ; les modifications successives des périodes de recours à l'activité partielle ne nécessitaient pas de nouvelle consultation du CSE.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 juin 2023, le comité social et économique de l'UES LOHEAC, MM. K..., I..., E..., Mace, H..., L... et F..., et le syndicat CFDT Transports routiers de Haute-Normandie, représentés par Me Fiscel, concluent au rejet de la requête, à ce qu'il soit ordonné à la société STERNA de transmettre ses registres uniques du personnel pour la société et tous ses établissements au 1er avril 2020 et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros à chacune des personnes morales intimées et d'une somme de 300 euros à chacune des personnes physiques intimées, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- leur requête n'est pas tardive ;
- chacun des requérants, personne morale ou personne physique, dispose d'un intérêt donnant qualité pour agir contre une décision leur faisant grief ;
- les moyens soulevés par la société appelante ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, qui n'a pas produit d'observations.
Par une ordonnance du 26 juin 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 2 septembre 2024 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller,
- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public,
- et les observations de Me Fiscel, représentant le CSE de l'UES LOHEAC et autres.
Considérant ce qui suit :
1. L'unité économique et sociale (UES) LOHEAC regroupe plusieurs entreprises ayant une activité de transport routier dont la société STERNA qui, employant 85 salariés, a son siège social à Grand-Couronne et deux établissements secondaires, situés l'un à Gonfreville-l'Orcher
(Seine-Maritime), l'autre à Boulleville (Eure). Dans le contexte de la pandémie de covid-19, la société STERNA a sollicité, le 8 avril 2020, une première demande d'autorisation de recourir à l'activité partielle pour la période du 1er au 30 avril 2020. Déposée auprès de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Normandie, devenue depuis la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) de Normandie, cette première demande a donné lieu à une autorisation tacite accordée par l'administration le 10 avril 2020. La société STERNA a ensuite déposé successivement huit autres demandes d'autorisation pour étendre la période d'activité partielle et notamment, le 9 avril 2021, une demande référencée sous le n° 076 AQPR 01 08 pour la période du 1er avril 2021 au 30 juin 2021, qui a été suivie d'une autorisation tacite le 26 avril 2021. Le comité social et économique de l'UES LOHEAC, MM. K..., I..., E..., Mace, H..., L... et F..., ainsi que le syndicat CFDT Transports routiers
de Haute-Normandie, ont formé, le 5 avril 2022, un recours gracieux auprès de la DREETS de Normandie, pour contester cette dernière autorisation accordée à la société STERNA, qui a été implicitement rejeté. Les intéressés ont demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'autorisation accordée le 26 avril 2021 à la société STERNA ainsi que la décision de rejet de leur recours gracieux.
2. La société STERNA relève appel du jugement n° 2202550 du 12 janvier 2023, par lequel le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision d'acceptation du recours à l'activité partielle du 26 avril 2021, ensemble la décision implicite rejetant le recours gracieux formé le 5 avril 2022.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la recevabilité des conclusions de première instance :
3. D'une part, aux termes de l'article L. 5122-1 du code du travail : " I. - Les salariés sont placés en position d'activité partielle, après autorisation expresse ou implicite de l'autorité administrative, s'ils subissent une perte de rémunération imputable : / - soit à la fermeture temporaire de leur établissement ou partie d'établissement ; / -soit à la réduction de l'horaire de travail pratiqué dans l'établissement ou partie d'établissement en deçà de la durée légale de travail. / En cas de réduction collective de l'horaire de travail, les salariés peuvent être placés en position d'activité partielle individuellement et alternativement. / II. - Les salariés reçoivent une indemnité horaire, versée par leur employeur, correspondant à une part de leur rémunération antérieure dont le pourcentage est fixé par décret en Conseil d'Etat. L'employeur perçoit une allocation financée conjointement par l'Etat et l'organisme gestionnaire du régime d'assurance chômage. Une convention conclue entre l'Etat et cet organisme détermine les modalités de financement de cette allocation. / Le contrat de travail des salariés placés en activité partielle est suspendu pendant les périodes où ils ne sont pas en activité. / (...) ".
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 2312-8 du code du travail : " Le comité social et économique a pour mission d'assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l'évolution économique et financière de l'entreprise, à l'organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production. / Le comité est informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise, notamment sur: 1° Les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs ; 2° La modification de son organisation économique ou juridique ; 3° Les conditions d'emploi, de travail, notamment la durée du travail, et la formation professionnelle ; 4° L'introduction de nouvelles technologies, tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ; 5° Les mesures prises en vue de faciliter la mise, la remise ou le maintien au travail des accidentés du travail, des invalides de guerre, des invalides civils, des personnes atteintes de maladies chroniques évolutives et des travailleurs handicapés, notamment sur l'aménagement des postes de travail. / Le comité social et économique mis en place dans les entreprises d'au moins cinquante salariés exerce également les attributions prévues à la section 2 ". Aux termes de l'article L. 2132-3 du même code : " Les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice. / Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent ".
5. En application des dispositions du code du travail citées au point 3, le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Normandie a autorisé la société STERNA à recourir à l'activité partielle pour une période supplémentaire de trois mois, à compter du 1er avril 2021 et jusqu'au 30 juin 2021. S'il ressort des dispositions précitées que durant cette période, les salariés reçoivent une indemnité horaire, versée par leur employeur et correspondant à une part de leur rémunération antérieure dont le pourcentage est fixé par décret en Conseil d'Etat, il ressort des pièces du dossier, ce point n'étant pas utilement contesté par la société appelante, que MM. F..., H..., L... et E..., salariés de la société STERNA ont perdu respectivement 172,13 euros, 48,65 euros, 297,02 euros et 116 euros en septembre 2020, puis 149,68 euros, 142,20 euros, 297,02 euros et 130,97 euros en octobre 2020 durant les périodes où ils ont été précédemment placés en position d'activité partielle. Il s'en déduit que le versement de l'indemnité prévue par le II de l'article L. 5122-1 du code du travail, ne compense pas en totalité la perte de rémunération inhérente à leur placement contraint en activité partielle. Dans ces conditions, la décision par laquelle l'administration autorise leur employeur à recourir au dispositif d'activité partielle leur est préjudiciable. Par ailleurs, une telle décision a nécessairement des conséquences sur les conditions d'emploi et de travail dans l'entreprise, dont le comité social et économique (CSE) a pour mission de connaître. Il en résulte, sans qu'il soit besoin d'examiner l'intérêt pour agir des autres salariés et du syndicat CFDT Transports routiers de Haute-Normandie, que la société STERNA n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a écarté la fin de non-recevoir opposée par le préfet de
la Seine-Maritime, tirée du défaut d'intérêt à agir des requérants.
En ce qui concerne la légalité de la décision :
6. Aux termes de l'article R. 5122-1 du code du travail : " L'employeur peut placer ses salariés en position d'activité partielle lorsque l'entreprise est contrainte de réduire ou de suspendre temporairement son activité pour l'un des motifs suivants : / 1° La conjoncture économique ; / 2° Des difficultés d'approvisionnement en matières premières ou en énergie ; / 3° Un sinistre ou des intempéries de caractère exceptionnel ; / 4° La transformation, restructuration ou modernisation de l'entreprise ; / 5° Toute autre circonstance de caractère exceptionnel ". Et aux termes de l'article R. 5122-2 du même code : " L'employeur adresse au préfet du département où est implanté l'établissement concerné une demande préalable d'autorisation d'activité partielle. / La demande précise : / 1° Les motifs justifiant le recours à l'activité partielle ; / 2° La période prévisible de sous-activité ; / 3° Le nombre de salariés concernés. / Elle est accompagnée de l'avis préalablement rendu par le comité social et économique, si l'entreprise en est dotée. Par dérogation, dans les cas prévus au 3° ou au 5° de l'article R. 5122-1, cet avis peut être recueilli postérieurement à la demande mentionnée au premier alinéa, et transmis dans un délai d'au plus deux mois à compter de cette demande. (...) ". En outre, selon l'article R. 5122-9 de ce code, dans sa version applicable au litige : " I. - Une autorisation d'activité partielle peut être accordée pour une durée maximum de douze mois. Elle peut être renouvelée dans les conditions fixées au II. / II. - Lorsque l'employeur a, préalablement à sa demande, déjà placé ses salariés en activité partielle au cours des trente-six mois précédant la date de dépôt de la demande d'autorisation, celle-ci mentionne les engagements souscrits par l'employeur. / (...) ".
7. Pour annuler l'autorisation accordée tacitement le 26 avril 2021 à la société STERNA, prolongeant la période d'activité partielle pour la période du 1er avril au 30 juin 2021, le tribunal a fait droit au moyen tiré de l'absence de consultation préalable du CSE sur la demande déposée par la société le 9 avril 2021.
8. Pour soutenir qu'elle a régulièrement consulté le CSE, la société STERNA se prévaut des dispositions dérogatoires précitées de l'article R. 5122-2 du code du travail permettant à l'employeur, notamment en cas de circonstances de caractère exceptionnel, de recueillir l'avis du CSE dans un délai de deux mois suivant le dépôt de la demande d'autorisation d'activité partielle. S'il est constant que, faisant application de ces dispositions dérogatoires en raison de la pandémie liée au coronavirus, la société STERNA a réuni le CSE le 28 avril 2020 en vue de solliciter son avis sur le recours à l'activité partielle au sein de l'entreprise pour la période du 1er au 30 avril 2020 faisant l'objet de la demande initiale d'autorisation déposée le 8 avril précédent, il résulte du 2° de l'article R. 5122-2 précité, qui impose à l'employeur de préciser, dans sa demande, la période prévisible de sous-activité sans prévoir de disposition aménageant cette procédure en cas de demandes successives, que chaque demande de renouvellement d'activité partielle portant sur une nouvelle période, implique nécessairement une nouvelle consultation du CSE. Il ne ressort pas des pièces du dossier, et il n'est pas même soutenu que, pour la période du 1er avril au 30 juin 2021, l'employeur aurait consulté le CSE, même dans le cadre des dispositions dérogatoires prévues par l'article R. 5122-2 du code du travail. Dans ces conditions, comme l'ont retenu à bon droit les premiers juges, l'autorisation d'activité partielle tacitement accordée pour la période du 1er avril au 30 juin 2021 est entachée d'illégalité, en l'absence d'avis du CSE.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la société STERNA n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement n° 2202550 du 12 janvier 2023, le tribunal administratif de Rouen a, pour ce motif, annulé la décision autorisant le recours à l'activité partielle du 26 avril 2021, ensemble la décision implicite rejetant le recours gracieux formé le 5 avril 2022.
Sur les frais liés au litige :
10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les intimés au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société STERNA est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le CSE de l'UES LOHEAC, MM. K..., I..., E..., Mace, H..., L... et F... et le syndicat CFDT Transports routiers de Haute-Normandie sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société STERNA, au comité social et économique de l'UES LOHEAC, premier dénommé dans le mémoire en défense, ainsi qu'à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Délibéré après l'audience publique du 14 janvier 2025 à laquelle siégeaient :
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Dominique Bureau, première conseillère,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 janvier 2025.
Le rapporteur,
Signé : F. Malfoy
Le président de la formation de jugement,
Signé : J.-M. Guérin-Lebacq
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière,
C. Huls-Carlier
N° 23DA00473 2