Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 10 août 2023, 25 septembre 2023, 24 juillet 2024 et 26 juillet 2024, la société par actions simplifiée Eoliennes des Magnolias, représentée par Me Guiheux, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler l'arrêté du 24 juillet 2023 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a refusé de l'autoriser à exploiter un parc éolien, composé de quatre éoliennes et deux postes de livraison, situé sur le territoire de la commune de Boubers-lès-Hesmond (Pas-de-Calais) ;
2°) de lui délivrer l'autorisation sollicitée ou, subsidiairement, d'enjoindre au préfet, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 200 euros par jour de retard, de délivrer cette autorisation ou de procéder à un réexamen de sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté attaqué est entaché d'incompétence ;
- il n'est pas suffisamment motivé ;
- il est entaché d'erreur de fait, de droit et d'appréciation dès lors que le projet ne porte pas d'atteinte significative aux paysages et au patrimoine ;
- il est entaché d'erreur de fait, de droit et d'appréciation dès lors que le projet ne porte pas d'atteinte significative à l'avifaune et aux chiroptères ;
- il ne saurait être fondé, par substitution de motif, sur l'atteinte portée à la commodité du voisinage, le projet n'ayant aucun effet de surplomb significatif sur les lieux de vie alentours ;
- en l'absence de risque significatif, l'autorisation sollicitée peut être délivrée sans obtention préalable d'une dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juin 2024, le préfet du Pas-de-Calais conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le signataire de l'arrêté attaqué disposait d'une délégation régulière à cet effet ;
- l'arrêté attaqué est suffisamment motivé, en droit comme en fait ;
- le projet, qui s'implante dans le paysage remarquable des ondulations montreuilloises, dans un espace de respiration paysagère et à proximité de sites patrimoniaux classés, présente des inconvénients excessifs pour la protection des paysages et la conservation des sites ;
- le projet, qui n'a pas suffisamment recherché des mesures d'évitement, présente des risques importants pour les spécimens de plusieurs espèces d'oiseaux et de chiroptères protégées ;
- il y a lieu, si besoin, de fonder l'arrêté attaqué, par substitution de motifs, sur la circonstance que le projet présente des dangers et inconvénients pour la commodité du voisinage, compte tenu de son effet de surplomb et d'écrasement sur les villages situés à proximité immédiate ;
- à titre subsidiaire, il ne peut être procédé à la délivrance de l'autorisation sans que la société pétitionnaire n'obtienne au préalable une dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées.
Par des mémoires en intervention, enregistrés les 18 décembre 2023 et 10 février 2024, Mme F... J..., M. H... D..., M. E... G..., M. I... A..., Mme C... B... et l'association " Sites et Monuments ", qui ont désigné Mme J... comme représentante unique en application de l'article R. 611-2 du code de justice administrative, représentés par Me Monamy, demandent que la cour rejette la requête de la société Eoliennes des Magnolias.
Ils soutiennent que :
- ils justifient, en leur qualité de voisins immédiats du projet en litige ou en raison de leur objet statutaire, d'un intérêt au maintien de l'arrêté attaqué et, par suite, à intervenir à l'instance ;
- c'est sans erreur de fait, de droit et d'appréciation que le préfet du Pas-de-Calais a pu refuser l'autorisation sollicitée dès lors que le projet est de nature à porter atteinte aux paysages et à la conservation des sites ;
- c'est sans erreur de fait, de droit et d'appréciation que le préfet du Pas-de-Calais a pu refuser l'autorisation sollicitée dès lors que le projet est de nature à porter atteinte à l'avifaune, en particulier aux faucons crécerelles et aux busards Saint-Martin.
La commune de Boubers-lès-Hesmond a présenté des observations, enregistrées le 23 octobre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Toutias, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Regnier, rapporteure publique,
- les observations de Me Rochard, représentant la société Eoliennes des Magnolias,
- et les observations de M. D... et Mme J....
Une note en délibéré, présentée pour la société Eoliennes des Magnolias, a été enregistrée le 24 janvier 2025.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée (SAS) Eoliennes des Magnolias a sollicité, le 21 décembre 2021, une autorisation environnementale pour la réalisation d'un parc éolien composé de quatre machines d'une puissance totale de 18 MW et de deux postes de livraison situé sur le territoire de la commune de Boubers-lès-Hesmond (Pas-de-Calais). Par un arrêté du 24 juillet 2023, le préfet du Pas-de-Calais a refusé l'autorisation environnementale sollicitée. Par sa requête, la société Eolienne des Magnolias demande à la cour d'annuler cet arrêté et de lui délivrer l'autorisation environnementale sollicitée.
Sur l'intervention :
2. Une intervention ne peut être admise que si son auteur s'associe soit aux conclusions de l'appelant soit à celles du défendeur, présentées dans l'instance en question, et s'il justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige. Par ailleurs, dès lors qu'au moins l'un des intervenants est recevable, une intervention collective est recevable.
3. Aux termes de l'article 1er de ses statuts, l'association Sites et Monuments a " pour but de défendre sur le territoire métropolitain et ultra-marin de toute atteinte, notamment destructions, dégradations y compris publicitaire, dispersions ou aliénation, le patrimoine : / paysager, rural et environnemental ; / bâti, architectural et urbain ; / historique, artistique, archéologique ou pittoresque ; / qu'il soit public ou privé, immobilier ou mobilier, matériel ou immatériel, dans le respect des symboles qui lui sont attachés, notamment en termes d'usages ". Eu égard à la nature et aux effets du projet en cause et alors que l'association, reconnue d'utilité publique, bénéficie en outre d'un agrément au titre des dispositions de l'article L. 141-1 du code de l'environnement qui a été implicitement renouvelé pour une période de cinq ans à compter du 1er janvier 2023, elle justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien des conclusions du préfet du Pas-de-Calais tendant au rejet de la requête. Il s'ensuit que l'intervention collective au soutien de la défense du préfet du Pas-de-Calais à laquelle cette association a pris part doit être admise.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 24 juillet 2023 :
4. Aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I.- L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. / (...) ". Figurent, parmi les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, la sécurité publique, la protection de la nature, de l'environnement et des paysages ainsi que la conservation des sites, des monuments et des éléments du patrimoine archéologique.
5. En premier lieu, par un arrêté n° 2023-10-29 du 25 mai 2023, régulièrement publié au recueil des actes administratifs n° 73 de la préfecture du Pas-de-Calais le 26 mai 2023, le préfet du Pas-de-Calais a donné à M. Christophe Marx, secrétaire général de la préfecture du Pas-de-Calais, signataire de l'arrêté attaqué, délégation à l'effet de signer " tous arrêtés, décisions, circulaires, rapports, correspondances et documents, en toutes matières " à l'exclusion de six catégories de décisions au nombre desquelles ne figurent pas les autorisations environnementales. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué doit, dès lors, être écarté.
6. En deuxième lieu, l'arrêté attaqué du 13 septembre 2021 vise et reproduit les dispositions précitées du code de l'environnement qui en constituent le fondement légal. Il mentionne les considérations de fait sur lesquelles le préfet du Pas-de-Calais s'est fondé pour considérer que le projet de la société Eoliennes de Magnolias porte atteinte à la protection de la nature, de l'environnement et des paysages. L'arrêté attaqué comporte ainsi l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement du refus d'autorisation environnementale opposé à la société Eoliennes des Magnolias et met celle-ci à même de comprendre les motifs qui lui sont opposés et qu'elle conteste d'ailleurs utilement dans le cadre de la présente instance. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit, dès lors, être écarté.
7. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que le projet présenté par la société Eolienne des Magnolias s'implante dans le secteur dit " des ondulations montreuilloises ". Ce secteur est marqué par l'alternance d'étroits plateaux supportant une activité de grandes cultures et de vallées encaissées où coulent les affluents de la Canche et qui sont occupées par des villages ruraux et marquées par des paysages traditionnels de prairies et de bocages. En dehors des grandes cultures, dont l'expansion est strictement limitée aux seuls plateaux, ces paysages demeurent dans leur grand ensemble peu anthropisés et sont en tout cas dépourvus d'émergences industrielles notables. Ils sont notamment préservés de toute activité éolienne, laquelle est concentrée sur leurs flancs nord et sud. Ces paysages constituent en outre l'écrin naturel d'un patrimoine relativement dense puisque la zone d'étude concentre 93 éléments protégés, dont 80 monuments historiques, 12 sites classés et un site inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO). Ils forment en particulier le point de vue depuis la citadelle de Montreuil-sur-Mer où les seules émergences significatives sont la citadelle elle-même, classée comme monument historique depuis 1926, et l'ancien monastère chartreux de Neuville, ou Chartreuse Notre-Dame-des-Prés, monument historique inscrit depuis 1993. Bien que ne faisant pas en eux-mêmes l'objet d'une mesure de classement ou de protection formelle, les paysages des ondulations montreuilloises sont largement reconnus comme étant " emblématiques " de la région et comme présentant un caractère " remarquable ", suivant les termes mêmes de l'étude d'impact jointe au dossier de demande d'autorisation environnementale présenté par la société Eoliennes des Magnolias.
8. Le projet présenté par la société Eoliennes des Magnolias consiste, quant à lui, en l'édification d'un parc éolien composé de quatre machines, dont la hauteur en bout de pâle culminera à 178 mètres. Ces machines seront implantées au cœur du secteur des ondulations montreuilloises, sur un petit plateau situé à environ 130 mètres d'altitude et délimité, à l'est, par la vallée de l'Embrienne et, à l'ouest, par la vallée sèche du Fond de Pottier. Si le projet n'aura pas d'incidence notable sur les paysages des plateaux, qui sont dominés par des grandes cultures peu caractéristiques, en revanche, il générera, sur les paysages typiques de prairies et bocages des deux vallées situées à proximité immédiate ainsi que sur les différents villages ruraux se nichant au creux de celles-ci et sur leur patrimoine local, des effets de surplomb et d'écrasement qui demeureront substantiels, en dépit de la limitation à quatre du nombre de machines, de l'implantation en ligne irrégulière qui a été retenue et du couvert végétal existant. En outre, compte tenu de sa localisation au milieu du secteur des ondulations montreuilloises et de son positionnement en surplomb, le projet aura des incidences visuelles à plusieurs kilomètres à la ronde, y compris sur la vue remarquable depuis les remparts de la citadelle de Montreuil-sur-Mer. Il inscrira ainsi, dans ce paysage rural préservé, une occupation industrielle rompant avec les occupations traditionnelles et dominantes du secteur et entrant en concurrence avec ses deux émergences patrimoniales typiques et emblématiques, à savoir la citadelle elle-même et la Chartreuse de Neuville.
9. Dans ces conditions, c'est sans erreur de fait, de droit et d'appréciation que le préfet du Pas-de-Calais a pu estimer que le projet de la société Eoliennes des Magnolias porte une atteinte excessive à la protection des paysages, l'architecte des bâtiments de France et la direction départementale des territoires et de la mer du Pas-de-Calais ayant au demeurant émis le 8 mars 2022 et le 17 juin 2022 des avis défavorables concernant ce projet pour des motifs similaires. Le moyen en ce sens doit, dès lors, être écarté.
10. Dès lors qu'il résulte de l'instruction que le préfet du Pas-de-Calais aurait pris la même décision s'il s'était fondé uniquement sur le motif tiré de l'atteinte à la protection des paysages qui vient d'être confirmé, il s'ensuit que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les moyens d'erreur de fait, de droit et d'appréciation dirigés par la société Eoliennes des Magnolias contre le second motif opposé par la préfet ni sur la demande de substitution de motif présentée en défense par celui-ci, la société Eoliennes des Magnolias n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 24 juillet 2023 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a refusé de lui délivrer l'autorisation environnementale qu'elle sollicitait. Ses conclusions d'annulation doivent, dès lors, être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Eoliennes des Magnolias demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : L'intervention de l'association " Sites et Monuments " et autres est admise.
Article 2 : La requête de la société Eoliennes des Magnolias est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Eoliennes des Magnolias, à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, à la commune de Boubers-lès-Hesmond et à Mme F... J... en sa qualité de représentante unique des intervenants.
Copie en sera adressée au préfet du Pas-de-Calais.
Délibéré après l'audience publique du 21 janvier 2025 à laquelle siégeaient :
- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre,
- M. Laurent Delahaye, président-assesseur,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 février 2025.
Le rapporteur,
Signé : G. ToutiasLe président de chambre,
Signé : B. Chevaldonnet
La greffière,
Signé : A-S. Villette
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
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N°23DA01627