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14/02/2025 | FRANCE | N°23DA01911

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 2ème chambre, 14 février 2025, 23DA01911


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France et des cadres et salariés de l'industrie et du commerce (MACIF) a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Rouen à lui verser la somme de 1 226 153,25 euros, correspondant à l'indemnisation versée à M. B... C..., resté paraplégique à la suite de sa prise en charge dans cet établissement, et aux remboursements des frais exposés par la caisse primaire d'a

ssurance maladie (CPAM) d'Eure-et-Loir et la mutuelle Harmonie mutuelle, tiers payeurs...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France et des cadres et salariés de l'industrie et du commerce (MACIF) a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Rouen à lui verser la somme de 1 226 153,25 euros, correspondant à l'indemnisation versée à M. B... C..., resté paraplégique à la suite de sa prise en charge dans cet établissement, et aux remboursements des frais exposés par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Eure-et-Loir et la mutuelle Harmonie mutuelle, tiers payeurs.

Par un jugement n° 1701749 du 6 juin 2019, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Par un arrêt avant dire droit n° 19DA01586 du 6 avril 2021, la cour administrative d'appel de Douai, sur appel de la MACIF, a jugé que la responsabilité du CHU de Rouen n'était susceptible d'être engagée ni sur le fondement de la faute dans l'organisation et le fonctionnement du service, ni sur le fondement du défaut d'information du patient, ni sur celui des fautes médicales tenant à l'indication de l'intervention chirurgicale sur la fracture rachidienne et au choix de l'ordre des interventions pratiquées sur le fémur et sur le rachis et a ordonné une expertise portant sur l'intervention chirurgicale subie par M. C... le 15 juin 2012.

Par un arrêt n° 19DA01586 du 21 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par la MACIF contre le jugement du 6 juin 2019.

Par une décision n° 461706 du 11 octobre 2023, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par la MACIF, a annulé l'arrêt du 21 décembre 2021 et a renvoyé l'affaire devant la cour.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 11 juillet 2019, 23 septembre 2021 et 16 novembre 2021, ainsi que des mémoires enregistrés après renvoi les 8 décembre 2023 et 21 mai 2024, la MACIF, représentée par Me Payen, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du 6 juin 2019 ;

2°) à titre principal, de condamner le CHU de Rouen à lui verser les sommes de 712 151,48 euros, 488 841,77 euros et 13 160 euros correspondant respectivement à l'indemnité transactionnelle qu'elle a versée à M. C... et aux remboursements des débours de la CPAM d'Eure-et-Loir et de la mutuelle Harmonie mutuelle dont elle s'est acquittée ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner le CHU de Rouen à lui verser 80 % de ces sommes ;

4°) de réserver ses créances subrogatoires ultérieures ;

5°) de condamner le CHU de Rouen au paiement d'une provision de 12 000 euros, ou subsidiairement 80 % de cette somme, à valoir sur l'indemnisation de l'aggravation du préjudice de M. C... et d'ordonner une expertise médico-légale sur ce point ;

6°) d'assortir les condamnations prononcées à l'encontre du CHU de Rouen des intérêts au taux légal et de leur capitalisation à compter de la date de sa demande préalable ;

7°) de mettre à la charge du CHU de Rouen une somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- il appartient à la cour de restatuer sur l'ensemble des fautes qu'elle invoque au soutien de sa requête dès lors que les motifs de son arrêt avant dire droit du 6 avril 2021 par lesquels elle en a écarté certaines ne sont pas revêtus de l'autorité de chose jugée ;

- l'expertise ordonnée avant dire droit par la cour est irrégulière dès lors que l'expert a manqué à son obligation d'impartialité, que les pièces remises à l'expert judiciaire ne lui ont pas été transmises et que n'ont pas été retranscrites les discussions soutenues devant l'expert, que l'expert a outrepassé sa mission en portant des appréciations juridiques et qu'il n'a pas répondu à la question des différentes maladresses techniques évoquées et de leur lien avec l'importance de la lésion médullaire à l'origine de la paraplégie du patient ;

- la responsabilité du CHU de Rouen est engagée à raison des trois fautes médicales commises lors de l'intervention du 15 juin 2012 ;

- en premier lieu, l'opération de la fracture localisée sur la vertèbre T6 du rachis n'était pas indiquée alors qu'un traitement orthopédique aurait pu être privilégié ;

- en deuxième lieu, l'intervention rachidienne aurait dû être réalisée avant l'intervention orthopédique fémorale ;

- en troisième lieu, l'intervention rachidienne n'a pas été réalisée dans les règles de l'art, une erreur de trajectoire d'une vis en T5 ayant donné lieu à un geste de rattrapage par laminectomie qui est à l'origine d'une brèche de la dure-mère ;

- la responsabilité du CHU de Rouen est également engagée sur le fondement du mauvais fonctionnement du service, les actes médicaux fautifs ayant été réalisés sur le temps de repos de sécurité post-garde le 15 juin 2012 après-midi et le 16 juin 2012 après-midi ;

- à titre subsidiaire, la responsabilité du CHU de Rouen peut également être engagée sur le fondement du manquement au devoir d'information du patient sur les modalités d'exécution des gestes médicaux destinés à soigner les différentes lésions résultant de l'accident initial ;

- chacune de ces fautes a entraîné de manière directe et certaine les séquelles médullaires dont reste atteint M. C... ou, à tout le moins, une perte de chance d'échapper à ces lésions qu'il y a lieu de fixer au moins à 80 % ;

- le montant de l'indemnisation des préjudices subis par M. C... du fait des fautes commises par le CHU de Rouen s'établit à 712 151,48 euros, dont 568 802,48 euros au titre des préjudices patrimoniaux et 143 349 euros au titre des préjudices extrapatrimoniaux ;

- le montant des débours exposés par la CPAM d'Eure-et-Loir du fait des fautes commises par le CHU de Rouen s'établit à 530 676,66 euros et ceux de la mutuelle Harmonie mutuelle à 13 160 euros ;

- compte tenu de l'aggravation des séquelles neurologiques de M. C..., il y a lieu d'ordonner une expertise complémentaire afin de pouvoir l'évaluer et, dans l'attente, de condamner le CHU de Rouen à rembourser la provision de 12 000 euros qu'elle lui a déjà versée.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 3 janvier 2020 et 11 octobre 2021, ainsi qu'un mémoire en défense enregistré après renvoi le 23 avril 2024, le CHU de Rouen et la société Relyens Mutual Insurance, anciennement dénommé Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), représentés par le cabinet Le Prado - Gilbert, concluent au rejet de la requête d'appel de la MACIF.

Ils soutiennent que :

- par son arrêt avant dire droit du 6 avril 2021, qui n'a pas été remis en cause par la décision du 11 octobre 2023 du Conseil d'Etat, la cour a déjà écarté la faute alléguée par la MACIF dans l'organisation et le fonctionnement du service, le manquement au devoir d'information et les fautes médicales tenant à l'indication de l'intervention chirurgicale sur la fracture rachidienne et au choix de l'ordre des interventions pratiquées sur le fémur et sur le rachis ;

- aucun manquement aux règles de l'art ni maladresse fautive n'a été commis au cours de l'intervention rachidienne du 15 juin 2012 ; en dépit du manquement de l'expert qu'elle a désigné avant dire droit à son devoir d'impartialité, la cour peut se fonder sur ses constatations dès lors qu'elles ont été soumises au débat contradictoire et qu'elles n'ont fait l'objet d'aucune contradiction sérieuse de la part de la MACIF ;

- à titre subsidiaire, à supposer même qu'une maladresse ait été commise, il n'est pas établi qu'elle soit à l'origine de la lésion médullaire dont M. C... a été victime ; elle ne pourrait en tout état de cause qu'être à l'origine d'une perte de chance ;

- à titre infiniment subsidiaire, les sommes demandées par la MACIF devraient être réduites à de plus justes proportions dès lors qu'elles ne peuvent inclure les indemnités et débours portant sur les préjudices de M. C... en lien avec l'accident initial, dont le CHU de Rouen n'est pas responsable ; en outre, la MACIF ne justifie pas avoir versé à l'intéressé la somme totale de 712 151,48 euros qu'elle demande.

La requête et l'ensemble des pièces de la procédure ont été communiqués à la CPAM de l'Indre, du Cher et de l'Eure-et-Loir, à la mutuelle Harmonie mutuelle et à M. C... qui n'ont pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code des assurances ;

- la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Toutias, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Regnier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Laceur, représentant la MACIF.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... C..., né le 26 octobre 1985, a été victime d'un accident de la circulation le 14 juin 2012. Il a été pris en charge par le centre hospitalier de Dreux puis par le centre hospitalier universitaire (CHU) de Rouen, où il a subi le 15 juin 2012 une opération dont il a conservé des séquelles sous la forme d'une paraplégie. Par jugement du 4 décembre 2013, le tribunal correctionnel de Chartres a déclaré l'automobiliste autrice de l'accident redevable de l'indemnisation des préjudices subis par la victime. En application des dispositions de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accident de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, la Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France et des cadres et salariés de l'industrie et du commerce (MACIF), assureur de la conductrice, a indemnisé M. C... de ses dommages corporels et remboursé leurs débours aux tiers payeurs. Subrogée dans les droits de la victime par le double effet de sa subrogation dans les droits de la conductrice responsable et de la subrogation de celle-ci dans les droits de la victime, la MACIF a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner le CHU de Rouen, dont l'assureur est la société hospitalière d'assurance mutuelle (SHAM), depuis devenue la société Relyens mutual insurance, au remboursement de ses débours à la victime et aux tiers payeurs. Par un jugement du 6 juin 2019, le tribunal administratif a rejeté sa demande. Par un arrêt avant dire droit du 6 avril 2021, la cour administrative d'appel de Douai a ordonné une expertise portant sur l'intervention chirurgicale subie par M. C... le 15 juin 2012. Par un arrêt du 21 décembre 2021, la cour a rejeté l'appel formé par la MACIF contre le jugement du 6 juin 2019. Par une décision du 11 octobre 2023, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par la MACIF, a annulé l'arrêt du 21 décembre 2021 et a renvoyé l'affaire devant la cour.

Sur l'étendue du litige pendant devant la cour :

2. Dans son arrêt avant dire droit du 6 avril 2021, la cour a jugé que la responsabilité du CHU de Rouen n'était susceptible d'être engagée ni sur le fondement de la faute dans l'organisation et le fonctionnement du service, ni sur le fondement du défaut d'information du patient, ni sur celui des fautes médicales invoquées par la MACIF tenant, d'une part, à l'indication de l'intervention chirurgicale sur la fracture rachidienne et, d'autre part, au choix de l'ordre des interventions pratiquées sur les fémurs et sur le rachis. Ces motifs constituaient le soutien nécessaire de cet arrêt par lequel la cour a ordonné une expertise complémentaire pour déterminer en particulier si une maladresse fautive a été commise lors de l'intervention rachidienne du 15 juin 2012. Cet arrêt est devenu définitif et n'a pas été remis en cause par la décision du 11 octobre 2023 du Conseil d'État, qui prononce seulement l'annulation de l'arrêt rendu par la cour le 21 décembre 2021 à la suite du dépôt du rapport de l'expertise qu'elle avait ordonnée dans son arrêt avant dire droit. Dans ces conditions, la cour, qui s'est déjà prononcée sur les quatre fautes précitées invoquées par la MACIF à l'appui de sa requête, a épuisé sa compétence sur ces points et ne peut les examiner à nouveau sans méconnaître l'autorité de la chose jugée qui s'attache tant au dispositif de son arrêt du 6 avril 2021 qu'aux motifs qui en sont le soutien nécessaire. Il s'ensuit que, par le présent arrêt, il appartient seulement à la cour de statuer sur la dernière faute invoquée par la MACIF à l'appui de sa requête, tenant à ce que l'intervention rachidienne du 15 juin 2012 n'aurait pas été réalisée dans les règles de l'art compte tenu en particulier de l'erreur commise quant à la trajectoire d'une vis en T5.

Sur la régularité des opérations d'expertise :

3. D'une part, il appartient au juge, saisi d'un moyen mettant en doute l'impartialité d'un expert, de rechercher si, eu égard à leur nature, à leur intensité, à leur date et à leur durée, les relations directes ou indirectes entre cet expert et l'une ou plusieurs des parties au litige sont de nature à susciter un doute sur son impartialité. En particulier, doivent en principe être regardées comme suscitant un tel doute les relations professionnelles s'étant nouées ou poursuivies durant la période de l'expertise. D'autre part, aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 4127-105 du code de la santé publique : " Un médecin ne doit pas accepter une mission d'expertise dans laquelle sont en jeu ses propres intérêts, ceux d'un de ses patients, d'un de ses proches, d'un de ses amis ou d'un groupement qui fait habituellement appel à ses services ".

4. Il résulte de l'instruction que le docteur D..., qui a été désigné comme expert par ordonnance du 19 mai 2021 du président de la cour et qui a déposé son rapport le 9 septembre 2021, a assuré au cours de l'année 2021, en qualité de médecin-conseil, plusieurs missions, dont certaines étaient encore en cours au moment de l'expertise, pour le compte de la SHAM, assureur du CHU de Rouen dont la responsabilité est recherchée par la MACIF. Il s'ensuit que le docteur D..., qui ne présentait pas les garanties d'impartialité nécessaires, aurait dû refuser la mission d'expertise en application des dispositions précitées de l'article R. 4127-105 du code de la santé publique. La MACIF est, dès lors, fondée à soutenir que les opérations d'expertise ont été irrégulières. Si cette irrégularité s'oppose à ce que la cour puisse se fonder sur les appréciations et conclusions de l'expert, elle ne fait en revanche pas obstacle à ce qu'elle puisse prendre en compte les éléments d'information ou de pur fait contenus dans le rapport, qui ne seraient ni contestés par les parties, ni contredits par d'autres éléments du dossier.

Sur la responsabilité du CHU de Rouen à raison de la réalisation de l'intervention rachidienne du 15 juin 2012 :

5. Il résulte de l'instruction que M. C... a présenté, à la suite de l'accident de la circulation dont il a été victime le 14 juin 2012, un polytraumatisme et notamment une fracture complexe du rachis en T6. Il a bénéficié, le 15 juin 2012 au CHU de Rouen, d'une intervention chirurgicale de stabilisation de cette fracture selon la technique de l'ouverture large. Il est constant également qu'il ne présentait aucun signe d'atteinte neurologique dans les suites immédiates de l'accident et qu'une lésion médullaire est survenue entre l'induction de l'anesthésie pour l'intervention chirurgicale du 15 juin 2012 et son réveil le lendemain matin. Cette lésion est à l'origine de la paraplégie qu'il a conservée.

6. En premier lieu, il résulte du rapport de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal de grande instance de Rouen du 26 juin 2016 que la technique d'ouverture large qui a été retenue par le chirurgien du CHU de Rouen pour réaliser l'intervention du 15 juin 2012 était courante et acceptable compte tenu des données de la science médicale prévalant à cette date. La note du médecin-conseil de la MACIF datée du 5 septembre 2021, produite par la MACIF après le renvoi de l'affaire par le Conseil d'Etat, retient également que cette technique était adaptée. La MACIF n'apporte aucun autre élément de nature à établir que le choix de cette technique aurait pu concourir à la lésion médullaire dont a été victime M. C... ou en aggraver le risque. Par suite, le choix de la technique d'intervention ne présente pas de caractère fautif.

7. En deuxième lieu, il résulte du rapport d'expertise judiciaire du 26 juin 2016 qu'une vis en T5 mise en place au cours de l'intervention du 15 juin 2012 a dû être repositionnée par le chirurgien. Cet expert a indiqué, d'une part, que les éléments dont il disposait ne permettaient pas de connaître l'importance de la malposition de cette vis et, d'autre part, qu'une malposition de vis ne peut être qualifiée de fautive qu'en cas de trajectoire " trop interne " dans le canal médullaire. Les résultats d'examens d'imagerie produits dans le cadre des opérations d'expertise complémentaires ordonnées par l'arrêt avant dire droit du 6 avril 2021, dont la cour peut tenir compte dans les conditions rappelées au point 4, permettent de visualiser les séquelles osseuses de la trajectoire initiale erronée. Ainsi, dans sa note datée du 5 septembre 2021, produite par la MACIF après le renvoi de l'affaire par le Conseil d'Etat, le propre médecin-conseil de l'appelante indique que la malposition de la vis n'était pas majeure et qu'elle ne peut expliquer à elle-seule l'importance de la lésion médullaire. Ce médecin-conseil évoque alors pour la première fois l'hypothèse d'" une maladresse dans la réparation des lésions radiculaire et méningée induites par la malposition de la vis ". Toutefois, il n'établit pas qu'un tel geste de réparation ait été effectué au niveau T5, les notes personnelles de l'anesthésiste ayant assisté à l'intervention étant à cet égard insuffisamment probantes. Par ailleurs, il n'appuie le faisceau d'indices sur lequel il se fonde sur aucune référence ni aucune documentation. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que la malposition de la vis puisse être regardée comme résultant d'une maladresse fautive du chirurgien.

8. En troisième lieu, si l'expert judiciaire, dans son rapport du 26 juin 2016, a discuté de l'indication d'une laminectomie en l'absence de suspicion d'un déplacement secondaire ou d'un hématome épidural, il ressort du dire du médecin-conseil du CHU de Rouen daté du 23 juillet 2017 que ce geste visait à prévenir un éventuel gonflement secondaire, alors que M. C... présentait une cyphose déjà importante. La MACIF n'apporte aucun élément de nature à établir que ce geste, réalisé au niveau T6-T7, puisse avoir directement été à l'origine d'une lésion médullaire au niveau T5 ou avoir permis de la dissimuler. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que la réalisation de ce geste puisse être regardé comme présentant un caractère fautif ou un lien avec la lésion médullaire subie par M. C....

9. En quatrième lieu, l'expert judiciaire a retenu, dans son rapport du 26 juin 2016, que le maintien de M. C... en sédation jusqu'au lendemain matin n'était pas conforme aux règles de l'art et qu'elle aurait pu être préjudiciable dès lors qu'elle a empêché la surveillance neurologique des membres inférieurs et qu'elle aurait pu avoir pour effet de retarder l'identification d'un éventuel hématome et la réalisation d'une décompression ainsi que de faire perdre des chances de récupération. Toutefois, l'expert retient que ce défaut de prise en charge ne présente en l'espèce pas de lien avec les lésions médullaires conservées par le patient pour lequel aucun hématome dans le foyer opératoire n'a été constaté.

10. Il résulte de ce qui précède que les lésions médullaires conservées par M. C... ne résultent pas d'un traumatisme instrumental lors de l'intervention du 15 juin 2012. Il s'ensuit que le CHU de Rouen ne peut être regardé comme ayant commis, au cours de l'intervention rachidienne litigieuse, des fautes à l'origine directe et certaine des lésions médullaires conservées par M. C....

11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner la nouvelle mesure d'expertise demandée par la MACIF dès lors qu'elle n'est pas utile à la résolution du litige, que la MACIF n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à ce que le CHU de Rouen soit condamné à lui rembourser les sommes versées à M. C... et aux tiers-payeurs. Il s'ensuit que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'étendue de sa double subrogation dans les droits de sa cliente, responsable de l'accident de la circulation du 14 juin 2012, et dans les droits de M. C..., ses conclusions en ce sens doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions relatives aux intérêts légaux et à leur capitalisation.

Sur les frais liés au litige :

En ce qui concerne les dépens de l'instance :

12. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'Etat peut être condamné aux dépens ". En vertu de ces dispositions, il appartient au juge saisi au fond du litige de statuer, au besoin d'office, sur la charge des frais de l'expertise ordonnée par la juridiction administrative.

13. Les frais et honoraires de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 800 euros par ordonnance du 14 septembre 2021 du président de la cour, sont mis définitivement à la charge de la MACIF pour la moitié et à celle du CHU de Rouen pour l'autre moitié.

En ce qui concerne les frais exposés et non compris dans les dépens :

14. Aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, ou pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

15. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la MACIF présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la MACIF est rejetée.

Article 2 : Les frais et honoraires de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 800 euros par ordonnance du 14 septembre 2021 du président de la cour, sont mis pour moitié, soit 900 euros (neuf-cents euros), à la charge de la MACIF et pour l'autre moitié, soit 900 euros (neuf-cents euros), à la charge du CHU de Rouen.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France et des cadres et salariés de l'industrie et du commerce, au centre hospitalier universitaire de Rouen et à la société Relyens mutual insurance.

Copie en sera adressée à M. B... C..., à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Indre, du Cher et de l'Eure-et-Loir et à la mutuelle Harmonie mutuelle.

Copie en sera adressée à M. A... D..., expert.

Délibéré après l'audience publique du 21 janvier 2025 à laquelle siégeaient :

- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre,

- M. Laurent Delahaye, président-assesseur,

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 février 2025.

Le rapporteur,

Signé : G. ToutiasLe président de chambre,

Signé : B. Chevaldonnet

La greffière,

Signé : A-S. Villette

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière

2

N°23DA01911


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01911
Date de la décision : 14/02/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Chevaldonnet
Rapporteur ?: M. Guillaume Toutias
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : SOCIÉTÉ D'AVOCATS CARTRON-L'HOSTIS

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-14;23da01911 ?
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