Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 mai 2023 et 22 avril 2024, la société Ferme éolienne de Sainte-Cécile, représentée par Me Gelas, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 21 mars 2023 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a rejeté sa demande d'autorisation environnementale tendant à construire et exploiter un parc éolien composé de quatre aérogénérateurs et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Camiers ;
2°) d'enjoindre au préfet du Pas-de-Calais de reprendre l'instruction de la demande d'autorisation environnementale, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté du 21 mars 2023 est insuffisamment motivé ;
- l'étude d'impact qu'elle a réalisée est proportionnée aux enjeux relatifs aux chiroptères et à l'avifaune ;
- le projet ne risque pas de porter atteinte aux chiroptères et à l'avifaune.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 janvier 2024, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour de rejeter la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Vandenberghe, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Regnier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Boudrot, représentant la société Ferme éolienne de Sainte-Cécile.
Considérant ce qui suit :
1. La société Ferme éolienne de Sainte-Cécile a adressé au préfet du Pas-de-Calais une demande d'autorisation environnementale tendant à construire et exploiter un parc éolien composé de quatre aérogénérateurs et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Camiers. Par deux courriers des 24 janvier 2019 et 18 mai 2020, l'administration a demandé des compléments d'information à la pétitionnaire concernant l'étude d'impact. Estimant que les éléments transmis les 24 février 2020 et 4 novembre 2021 restaient insuffisants, le préfet du Pas-de-Calais a, par un arrêté du 21 mars 2023, rejeté la demande de la société Ferme éolienne de Sainte-Cécile. Cette dernière demande l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du 21 mars 2023 :
2. D'une part, aux termes du I de l'article R. 122-5 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable au litige: " I. - Le contenu de l'étude d'impact est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet, à l'importance et la nature des travaux, installations, ouvrages, ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage projetés et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine. / Ce contenu tient compte, le cas échéant, de l'avis rendu en application de l'article R. 122-4 et inclut les informations qui peuvent raisonnablement être requises, compte tenu des connaissances et des méthodes d'évaluation existantes. ". Aux termes du II du même article : " En application du 2° du II de l'article L. 122-3, l'étude d'impact comporte les éléments suivants, en fonction des caractéristiques spécifiques du projet et du type d'incidences sur l'environnement qu'il est susceptible de produire : / (...) / 3° Une description des aspects pertinents de l'état initial de l'environnement et de leur évolution en cas de mise en œuvre du projet ainsi qu'un aperçu de l'évolution probable de l'environnement en l'absence de mise en œuvre du projet, dans la mesure où les changements naturels par rapport à l'état initial de l'environnement peuvent être évalués moyennant un effort raisonnable sur la base des informations environnementales et des connaissances scientifiques disponibles ; / (...) 5° Une description des incidences notables que le projet est susceptible d'avoir sur l'environnement résultant, (...) ". Aux termes du VIII du même article : " Afin de veiller à l'exhaustivité et à la qualité de l'étude d'impact : / (...) / c) L'autorité compétente veille à disposer d'une expertise suffisante pour examiner l'étude d'impact ou recourt si besoin à une telle expertise ; / d) Si nécessaire, l'autorité compétente demande au maître d'ouvrage des informations supplémentaires à celles fournies dans l'étude d'impact, mentionnées au II et directement utiles à l'élaboration et à la motivation de sa décision sur les incidences notables du projet sur l'environnement prévue au I de l'article L. 122-1-1 ".
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 181-34 du code de l'environnement, dans sa version applicable au litige : " Le préfet est tenu de rejeter la demande d'autorisation environnementale dans les cas suivants : / 1° Lorsque, malgré la ou les demandes de régularisation qui ont été adressées au pétitionnaire, le dossier est demeuré incomplet ou irrégulier / (...) / La décision de rejet est motivée ".
En ce qui concerne la motivation :
4. L'arrêté attaqué comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent son fondement. Il mentionne notamment les lacunes initiales de l'étude d'impact ayant justifié une demande de régularisation et indique les motifs pour lesquels les éléments produits par la pétitionnaire restaient insuffisants. Dès lors, le moyen tiré de l'insuffisance de sa motivation doit être écarté.
En ce qui concerne l'insuffisance de l'étude d'impact :
5. Pour rejeter la demande de la société Ferme éolienne de Sainte-Cécile sur le fondement des dispositions précitées de l'article R. 181-34 du code de l'environnement, le préfet du Pas-de-Calais s'est fondé sur l'incomplétude de l'étude d'impact, en dépit des demandes de régularisation adressées à la pétitionnaire, en raison, d'une part, du caractère insuffisant de la connaissance de l'activité des chiroptères en altitude, et d'autre part, du caractère incomplet du recensement des espèces présentes de l'avifaune et de leurs déplacements.
S'agissant des chiroptères :
6. Il résulte de l'instruction que l'environnement immédiat du projet éolien en litige comporte la zone spéciale de conservation des coteaux de Dannes et de Camiers, classée Natura 2000, située à six cent mètres de la zone d'implantation du projet qui est reconnue comme un site majeur d'hibernation des chiroptères notamment pour trois espèces protégées, le Murin à oreilles échancrées, le Grand Murin et les Grand Rhinolophe. La zone spéciale de conservation " Estuaire de la Canche, dunes picardes plaquées sur l'ancienne falaise, forêt d'Hardelot et falaise d'Equihen ", également classée Natura 2000, est située à un kilomètre et demi de la zone d'implantation du projet et abrite d'autres espèces protégées dont la Pipistrelle commune, la Pipistrelle de Nathusius, les oreillards gris et roux, la Sérotine commune, le Murin de Daubenton et le Murin à moustaches.
7. Pour mesurer la sensibilité chiroptérologique de la zone d'implantation, la pétitionnaire a effectué deux séries de prospections en 2014 et en 2018 ayant mis en évidence la présence de onze espèces de chiroptères parmi lesquelles la Noctule de Leister, la Noctule commune et la Sérotine commune, qui sont des chauves-souris migratrices. Afin de déterminer le risque de contact de ces trois espèces de chiroptères sensibles à l'éolien en raison de leur vol à hauteur de bas des pales des éoliennes, soit à 30 mètres du sol, zone reconnue pour être la plus à risque, la société requérante a procédé à des analyses sonores des altitudes moyennes de déplacement des chauves-souris, en plaçant un mât de mesure sur la zone d'implantation du projet. Toutefois, il résulte de l'instruction qu'en raison d'un retard à l'installation, la société pétitionnaire n'a mis en place ce point d'écoute qu'à compter du 11 avril 2018 jusqu'au 6 novembre 2018 alors qu'il est constant que la période d'activité particulièrement favorable à l'activité des chiroptères débute dès le 1er mars. Par suite, si la pétitionnaire n'a détecté durant cette période d'écoute que 35 cas de contact, ces résultats, eu égard à la particulière sensibilité écologique de la zone, ne peuvent être regardés comme suffisants dès lors qu'ils ne couvrent pas l'intégralité du cycle chiroptérologique, ainsi que l'a rappelé la mission régionale d'autorité environnementale des Hauts-de-France dans son avis du 23 juin 2020. Le préfet du Pas-de-Calais était dès lors fondé à demander à la société requérante de compléter ses analyses afin de dresser un inventaire complet de l'activité saisonnière des chiroptères. En dépit de cette demande de régularisation, la société requérante n'a pas procédé à ces études complémentaires. Il en résulte que le contenu de cette étude d'impact, faute de dresser un inventaire complet de l'activité des chiroptères en altitude, n'est pas proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet.
S'agissant de l'avifaune :
8. Il résulte de l'instruction que la zone d'implantation du projet de parc éolien, qui est située à quatre kilomètres du rivage de la Manche, est contiguë au couloir de migration de l'avifaune du littoral. La réserve naturelle de la Baie de la Canche et la zone de protection spéciale " Estuaire de la Canche " comportent des enjeux pour la présence de l'avifaune nicheuse et sont reconnus pour leur rôle essentiel lors des grandes migrations printanières et automnales des oiseaux.
9. Pour procéder à l'inventaire des oiseaux migrateurs susceptibles de traverser la zone d'implantation du projet, la société requérante a effectué vingt-quatre visites diurnes entre la fin de l'année 2017 et le début de l'année 2018 et des mois de janvier à novembre 2019 correspondant aux périodes prénuptiale et postnuptiale. Elle a mis en évidence la présence de dix-huit espèces présentant une sensibilité forte à l'éolien, dont la cigogne blanche, et a conclu au fait que les flux migratoires au sein de la zone accueillant le futur parc éolien sont faibles. Toutefois, il résulte de l'instruction que cinq des dix visites diurnes réalisées en période migratoire postnuptiale ont été effectuées dans des conditions météorologiques peu propices à l'observation de l'avifaune en raison d'une nébulosité importante, ce qui n'est pas sérieusement contesté par la société requérante. Il résulte également de l'instruction, ainsi que l'a reconnu le bureau d'études ayant élaboré l'étude d'impact, que les observations effectuées sur la hauteur de vol des oiseaux présentaient un biais non négligeable en raison non seulement de la faiblesse de l'échantillon mais surtout de l'absence de suivi de la migration nocturne de l'avifaune, alors qu'il est constant que la majorité des migrateurs voyagent de nuit. L'autorité environnementale a, à ce titre, recommandé de compléter l'inventaire de l'avifaune par des visites en période nocturne, la plus propice aux migrations. En réponse à la demande de régularisation du préfet sur ce point, la société pétitionnaire a reconnu la faiblesse de son analyse initiale et s'est bornée à indiquer qu'elle ne disposait pas de la technologie radar lui permettant de réaliser ces écoutes nocturnes. Dès lors, le contenu de l'étude d'impact, faute de dresser un inventaire complet de l'avifaune migratrice, n'est pas proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet.
10. Par suite, en se fondant sur les insuffisances précitées, le préfet du Pas-de-Calais a pu à bon droit estimer que l'étude d'impact ne comportait pas une analyse suffisamment précise des chiroptères et de l'avifaune et ne répondait pas aux exigences des dispositions précitées l'article R. 122-5 du code de l'environnement.
11. En dernier lieu, eu égard aux motifs précédemment rappelés de l'arrêté contesté, la société requérante ne peut utilement soutenir que le projet éolien en litige ne risque pas de porter atteinte aux chiroptères et à l'avifaune en raison notamment de la mesure de bridage proposée.
12. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation présentées par la société Ferme éolienne de Sainte-Cécile doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction assorties d'astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que la société Ferme éolienne de Sainte-Cécile demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la Ferme éolienne de Sainte-Cécile est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ferme éolienne de Sainte-Cécile et au ministre de l'environnement.
Copie en sera adressée au préfet du Pas-de-Calais.
Délibéré après l'audience publique du 4 février 2025 à laquelle siégeaient :
- M. Laurent Delahaye, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mars 2025.
Le rapporteur,
Signé : G. VandenbergheLe président de la formation de jugement,
Signé : L. DelahayeLa greffière,
Signé : A-S. Villette
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
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N°23DA00867