Vu la procédure suivante :
Procédures contentieuses antérieures :
I - Mme F... A... épouse D... a demandé au tribunal administratif de Rouen :
- d'annuler l'arrêté du 10 juillet 2023 par lequel le préfet de la Seine Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un mois ;
- d'enjoindre, sous astreinte, au préfet de la Seine-Maritime, à titre principal, de lui délivrer un certificat de résidence valable un an portant la mention " vie privée et familiale " et, à titre subsidiaire, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexamen de sa demande ;
- de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros hors taxes à verser à la SELARL Eden avocats au titre de l'alinéa 2 de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, valant renonciation de l'avocat à la part contributive de l'Etat et, à titre subsidiaire, la somme de 1 500 euros à lui verser directement au titre des dispositions de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.
II - M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Rouen :
- d'annuler l'arrêté du 10 juillet 2023 par lequel le préfet de la Seine Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
- d'enjoindre, sous astreinte, au préfet de la Seine-Maritime, à titre principal, de lui délivrer un certificat de résidence valable un an portant la mention " vie privée et familiale " et, à titre subsidiaire, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexamen de sa demande ;
- de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros hors taxes à verser à la SELARL Eden avocats au titre de l'alinéa 2 de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, valant renonciation de l'avocat à la part contributive de l'Etat et, à titre subsidiaire, la somme de 1 500 euros à lui verser directement au titre des dispositions de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.
Par un jugement n°2304055 - 2304056 du 22 février 2024, le tribunal administratif de Rouen a annulé les arrêtés du 10 juillet 2023 (article 1), a enjoint au préfet de la Seine-Maritime ou au préfet territorialement compétent de délivrer à M. et Mme D... un certificat de résidence mention " vie privée et familiale " (article 2), a mis à la charge de l'Etat le versement à la SELARL Eden avocats de la somme de 1 700 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 (article 3) et a rejeté le surplus des conclusions des requêtes de Mme A... épouse D... et de M. D... (article 4).
Procédures devant la cour :
I - Par une requête, enregistrée le 15 mars 2024 sous le n° 24DA00541, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de M. C... D....
Il soutient que :
- il n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation de la gravité des conséquences de l'arrêté du 10 juillet 2023 sur sa situation personnelle et celle de son fils B... ;
- il s'en remet pour le reste à ses écritures de première instance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 avril 2024, M. C... D..., représenté par Me Marie Verilhac, demande à la cour :
- de rejeter la requête du préfet ;
- d'annuler l'arrêté du 10 juillet 2023 ;
- d'enjoindre, sous astreinte, au préfet, en cas de reconnaissance du bien-fondé d'un moyen de légalité interne, de lui délivrer une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale ", et, en cas de reconnaissance du bien-fondé d'un moyen de légalité externe, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexamen de sa situation ;
- de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros hors taxes à verser à la SELARL Eden avocats au titre de l'alinéa 2 de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, valant renonciation de l'avocat à la part contributive de l'Etat et, à titre subsidiaire, la somme de 1 500 euros à lui verser directement au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision portant refus de séjour de Mme D... méconnaît l'article 6-5 de l'accord franco-algérien, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, méconnaît l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant refus de séjour, méconnaît l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de renvoi est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
M. D... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 mai 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.
Par une ordonnance du 6 février 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 27 février 2024.
II - Par une requête, enregistrée le 18 mars 2024 sous le n° 24DA00556, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de Mme F... A... épouse D....
Il soutient que :
- il n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation de la gravité des conséquences de l'arrêté du 10 juillet 2023 sur sa situation personnelle et celle de son fils B... ;
- il s'en remet pour le reste à ses écritures de première instance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 avril 2024, Mme F... A... épouse D..., représentée par Me Marie Verilhac, demande à la cour :
- de rejeter la requête du préfet ;
- d'annuler l'arrêté du 10 juillet 2023 ;
- d'enjoindre, sous astreinte, au préfet, en cas de reconnaissance du bien-fondé d'un moyen de légalité interne, de lui délivrer une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale ", et, en cas de reconnaissance du bien-fondé d'un moyen de légalité externe, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexamen de sa situation ;
- de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros hors taxes à verser à la SELARL Eden avocats au titre de l'alinéa 2 de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, valant renonciation de l'avocat à la part contributive de l'Etat et, à titre subsidiaire, la somme de 1 500 euros à lui verser directement au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision portant refus de séjour méconnaît l'article 6-5 de l'accord franco-algérien, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, méconnaît l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant refus de séjour, méconnaît l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de renvoi est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un mois est insuffisamment motivée sur le principe et la durée de l'interdiction de retour, est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, méconnaît l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Mme A... épouse D... a été maintenue au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 mai 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.
Par une ordonnance du 6 février 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 27 février 2024.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'accord franco algérien du 27 décembre 1968 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- et les observations de Mme F... A... épouse D... et de M. C... D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... A..., ressortissante algérienne née le 20 novembre 1983, est entrée en France le 1er septembre 2018, accompagnée de ses deux fils, nés le 23 septembre 2010 et le 9 octobre 2014, munie d'un visa court séjour délivré par les autorités espagnoles, valable du 20 juillet 2018 au 2 octobre 2018 pour des entrées multiples et d'une durée maximale de séjour de soixante jours. Le 22 mars 2019, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en qualité d'accompagnante d'enfant malade, son fils cadet ayant été diagnostiqué autiste. Par un arrêté du 11 juin 2020, le préfet a refusé de l'admettre au séjour et l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Cet arrêté a été annulé par un jugement du tribunal administratif de Rouen n° 2003545 du 11 février 2021. Toutefois, par une décision nos 21DA00603 - 21DA00604 du 21 septembre 2021 la cour administrative d'appel de Douai a annulé ce jugement et rejeté la demande présentée par Mme A....
2. M. C... D..., ressortissant algérien né le 3 novembre 1983, a rejoint sa femme, Mme E... A..., et ses deux fils en France, le 19 juin 2019, muni également d'un visa court séjour délivré par les autorités espagnoles valable du 1er janvier au 30 juin 2019 pour des entrées multiples et d'une durée maximale de soixante jours. Après s'être maintenus sur le territoire, M. et Mme D... ont sollicité par un courrier du 4 août 2022 leur admission au séjour sur le fondement de l'article 6-5 de l'accord franco-algérien et de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par deux arrêtés du 10 juillet 2023, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de les admettre au séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à l'encontre de Mme A... une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un mois. Par les deux requêtes visées ci-dessus qu'il convient de joindre, le préfet de la Seine-Maritime interjette appel du jugement nos 2304055 - 23404056 du 22 février 2024 par lequel le tribunal administratif de Rouen a annulé les arrêtés du 10 juillet 2023 (article 1), lui a enjoint de délivrer à M. et Mme D... un certificat de résidence mention " vie privée et familiale " (article 2) et a mis à la charge de l'Etat le versement à la SELARL Eden, conseil des intéressés, de la somme de 1 700 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 (article 3).
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :
3. D'une part, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) / 5) au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale sur les droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".
4. D'autre part, l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit qu'une carte de séjour temporaire peut être délivrée à l'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir. Dès lors qu'il est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France, il ne s'applique pas aux ressortissants algériens, dont la situation est régie de manière exclusive par l'accord franco algérien du 27 décembre 1968. Cependant, bien que cet accord ne prévoie pas de semblables modalités d'admission exceptionnelle au séjour, un préfet peut délivrer un certificat de résidence à un ressortissant algérien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit et il dispose à cette fin d'un pouvoir discrétionnaire pour apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.
5. Pour annuler les arrêtés du 10 juillet 2023, le tribunal administratif de Rouen a considéré que le préfet de la Seine-Maritime avait commis une erreur manifeste dans l'appréciation de la gravité des conséquences de ses décisions sur la situation personnelle de M. et Mme D... et de leur fils B....
6. D'une part, il est avéré que B... D..., né le 9 octobre 2014 à Tlemcen, souffre d'un trouble sévère du spectre autistique, que la maison départementale des personnes handicapées lui a reconnu un taux d'incapacité entre 50 et 80 % et que les soins dont il a bénéficié au centre médico-psychologique (CMP) pour enfants de G..., notamment l'orthophonie, la prise en charge éducative et le groupe thérapeutique, lui ont permis de faire des progrès. Cependant, il ressort des pièces du dossier et notamment d'un compte-rendu de consultation du 7 avril 2023 établi par une psychomotricienne que son suivi par le CMP et sa prise en charge par un orthophoniste se sont arrêtés à l'été 2022 et qu'il ne bénéficie pas d'une prise en charge de rééducation. Si cette psychomotricienne note qu'il est inscrit sur la liste d'attente pour accéder à un psychomotricien et à un ergothérapeute, elle relève également qu'il est scolarisé dans une unité localisée pour l'inclusion scolaire (ULIS) en 1ère année de classe élémentaire (CE1). Ses déclarations sont confirmées par M. et Mme D... qui soulignent, dans leurs écritures en défense, que depuis le mois de mars 2023 B... n'est plus en institut médico-éducatif - à leur demande, d'après le compte-rendu établi par la psychologue de l'éducation nationale le 17 mai 2022 - mais est scolarisé en classe ULIS, sans assistant de vie scolaire, en raison de ses progrès.
7. D'autre part, le collège des médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a considéré, dans son avis en date du 27 février 2023, que l'état de santé du jeune B... nécessitait certes une prise en charge médicale mais que le défaut de celle-ci ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Certes, M. et Mme D... soutiennent que la prise en charge dont bénéficie leur fils en France n'a pas d'équivalent en Algérie où aucun accompagnement médico-social ni aucune scolarité ne seraient possibles. Ils produisent à cet effet l'attestation du 8 juillet 2020 de la directrice d'une école primaire de Tlemcen indiquant que son établissement ne possède pas de structure spécialisée pour les troubles de l'autisme et des ordonnances médicales de 2020 à l'en-tête du centre hospitalier universitaire de Tlemcen indiquant que leur enfant ne peut pas être suivi pour des soins spécifiques ni des examens précis appropriés faute d'organisme ou d'institution éducatifs dans la région. Toutefois, ces pièces ne suffisent pas à établir que le jeune B... ne pourrait pas bénéficier en Algérie du suivi que requiert sa pathologie ou qu'il ne pourrait y être scolarisé, alors que, ainsi qu'il a été dit au point 6, son suivi médico-éducatif s'est récemment allégé.
8. Enfin, M. et Mme D... produisent plusieurs témoignages circonstanciés attestant de leur bonne intégration sociale en France où Mme D... exerçait une activité salariée d'interprète, sous couvert de contrats de travail en 2021 et 2022, et où son conjoint mène des activités de bénévole auprès de deux associations, tout en bénéficiant d'une promesse d'embauche pour un emploi de chauffeur-livreur, une fois sa situation régularisée. Ils justifient également du suivi éducatif attentif qu'ils assurent à leurs fils, dont les deux premiers sont scolarisés depuis six ans à la date des arrêtés attaqués et dont le troisième est né en 2021 à Rouen, et qui bénéficient d'un parrainage républicain. Toutefois, M. et Mme D... étaient âgés respectivement de 34 et 35 ans lorsqu'ils sont arrivés en France et y séjournaient seulement depuis six ans à la date des arrêtés attaqués, alors que le préfet de la Seine-Maritime avait déjà pris le 11 juin 2020 à l'encontre de Mme D... un arrêté portant refus d'admission au séjour et obligation de quitter le territoire français dont la légalité a été confirmée par un arrêt de la cour du 21 septembre 2021.
9. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que les décisions de refus de titre de séjour contenues dans les arrêtés du 10 juillet 2023 étaient entachées d'une erreur manifeste dans l'appréciation de la gravité de leurs conséquences sur la situation personnelle de M. et Mme D... et sur celle de leur fils B... et devaient être annulées, ainsi que, par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi, de même que la décision prise à l'encontre de la seule Mme D... de retourner sur le territoire français pendant une durée d'un mois.
10. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme D... en première instance et en appel.
En ce qui concerne les autres moyens invoqués :
S'agissant du moyen commun aux décisions de refus de titre de séjour, d'obligation de quitter le territoire français sans délai et fixant le pays de destination :
11. Les arrêtés attaqués comportent, en toutes leurs décisions, l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et satisfont, dès lors, aux exigences de motivation prévues à l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation des arrêtés contestés doit être écarté.
S'agissant des décisions de refus de titre de séjour :
12. En premier lieu, il ressort des arrêtés attaqués que ceux-ci détaillent de manière très précise la situation de M. et Mme D... et de leurs enfants, en particulier de leur fils B.... Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen sérieux de leur situation doit être écarté.
13. En second lieu, la décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux nos 383267 383268 du 4 février 2015 a jugé que la personne en droit de prétendre à l'attribution d'un avantage prévu par un texte peut se prévaloir, devant le juge administratif, des lignes directrices publiées permettant de déterminer à qui l'attribuer parmi ceux qui sont en droit d'y prétendre, mais qu'il en va autrement lorsque l'administration a défini des orientations générales pour l'octroi d'une mesure de faveur au bénéfice de laquelle l'intéressé ne peut faire valoir aucun droit. Elle a jugé que la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile comportait des orientations générales destinées à éclairer les préfets dans l'exercice de leur pouvoir de prendre des mesures de régularisation des étrangers en situation irrégulière, mesures de faveur au bénéfice desquelles ceux-ci ne peuvent faire valoir aucun droit, et que les intéressés ne peuvent donc utilement se prévaloir de telles orientations à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir contre une décision préfectorale refusant de régulariser leur situation par la délivrance d'un titre de séjour.
14. En instituant le mécanisme de garantie de l'article L. 312-3 du code des relations entre le public et l'administration, le législateur n'a pas permis de se prévaloir d'orientations générales dès lors que celles-ci sont définies pour l'octroi d'une mesure de faveur au bénéfice de laquelle l'intéressé ne peut faire valoir aucun droit, alors même qu'elles ont été publiées sur l'un des sites mentionnés à l'article D. 312-11 précité. S'agissant des lignes directrices, le législateur n'a pas subordonné à leur publication sur l'un de ces sites la possibilité pour toute personne de s'en prévaloir, à l'appui d'un recours formé devant le juge administratif.
15. Dès lors qu'un étranger ne détient aucun droit à l'exercice par le préfet de son pouvoir de régularisation, il ne peut utilement se prévaloir, sur le fondement de ces dispositions, des orientations générales contenues dans la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 pour l'exercice de ce pouvoir.
16. Il résulte de ce qui vient d'être dit que M. et Mme D... ne peuvent pas utilement se prévaloir des critères d'admission exceptionnelle au séjour introduits par la circulaire du 28 novembre 2012 et tenant à l'exercice d'une activité salariée par Mme et à la scolarisation de leurs deux premiers enfants depuis plus de trois ans pour invoquer le bénéfice de l'admission exceptionnelle au séjour prévue par l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
17. Il suit de là que leurs conclusions à fin d'annulation des décisions de refus de titre de séjour doivent être rejetées.
S'agissant des décisions portant obligation de quitter le territoire français :
18. En premier lieu, l'ensemble des moyens dirigées contre les décisions portant refus de séjour ayant été écartés, M. et Mme D... ne sont pas fondés à en invoquer, par voie d'exception, l'illégalité à l'appui de leurs conclusions dirigées contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français.
19. En second lieu, pour les mêmes raisons que celles exposées aux points 6 à 8 du présent arrêt, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés comme non fondés.
20. Il suit de là que leurs conclusions à fin d'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français doivent être rejetées.
S'agissant des décisions fixant le délai de départ volontaire :
21. Aux termes de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. / L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. / Elle peut prolonger le délai accordé pour une durée appropriée s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. L'étranger est informé par écrit de cette prolongation ".
22. Il ne ressort pas des pièces du dossier et notamment de la situation familiale des requérants, telle qu'elle est mentionnée aux points 6 à 8 du présent arrêt, que des circonstances particulières justifieraient, qu'à titre exceptionnel, le préfet accorde à M. et Mme D... un délai de départ volontaire d'une durée supérieure à trente jours. A cet égard, alors que les arrêtés ont été pris le 10 juillet 2023, après la fin de l'année scolaire, ils ne peuvent sérieusement faire valoir que la scolarisation de leurs deux premiers enfants requerrait un délai supérieur à trente jours. Par suite, en accordant un délai de départ volontaire de trente jours, le préfet n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ni méconnu les dispositions de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le délai de trente jours laissé aux requérants pour quitter le territoire français correspondant au délai de droit commun, il n'avait pas à faire l'objet d'une motivation particulière.
23. Il suit de là que leurs conclusions à fin d'annulation des décisions fixant le délai de départ volontaire doivent être rejetées
S'agissant des décisions fixant le pays de destination :
24. En premier lieu, l'ensemble des moyens dirigées contre les décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français ayant été écartés, M. et Mme D... ne sont pas fondés à en invoquer, par voie d'exception, l'illégalité à l'appui de leurs conclusions dirigées contre les décisions fixant le pays de renvoi.
25. En second lieu, M. et Mme D... se bornent à invoquer l'erreur manifeste d'appréciation en renvoyant à leur situation personnelle sans faire état du moindre risque ou menace sur leur vie en cas de retour en Algérie.
26. Il suit de là que leurs conclusions à fin d'annulation des décisions fixant le pays de destination doivent être rejetées
S'agissant de la décision portant interdiction de retour de Mme D... :
27. En premier lieu, aux termes de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11. ".
28. Il ressort de l'arrêté du 10 juillet 2023 pris à l'encontre de Mme D... que celui-ci fait état de considérations de droit, à savoir les articles L. 612-8 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de fait, à savoir l'examen particulier des quatre critères mentionnés au même article L. 612-10, sur lesquelles le préfet s'est fondé pour édicter l'interdiction de retour sur le territoire français. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de l'interdiction de retour sur le territoire français doit être écarté, de même que le moyen tiré du défaut d'examen sérieux de sa situation doit être écarté.
29. En deuxième lieu, l'ensemble des moyens dirigées contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français ayant été écartés, M. et Mme D... ne sont pas fondés à en invoquer, par voie d'exception, leur illégalité à l'appui de leurs conclusions dirigées contre la décision portant interdiction de retour de Mme D....
30. En troisième lieu, compte tenu des motifs énoncés au point 6 à 8 et eu égard, en particulier, à la durée et aux conditions du séjour en France de Mme D... et à sa précédente soustraction à une mesure d'éloignement, le préfet n'a pas, en lui interdisant le retour sur le territoire français pour une durée d'un mois, méconnu les dispositions de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni, en l'absence de circonstances humanitaires, entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
31. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé les arrêtés du 10 juillet 2023 (article 1), lui a enjoint de délivrer à M. et Mme D... un certificat de résidence mention " vie privée et familiale " (article 2) et a mis à la charge de l'Etat le versement à la SELARL Eden avocats de la somme de 1 700 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 (article 3).
Sur les conclusions reconventionnelles d'appel :
32. Compte tenu du rejet des conclusions à fin d'annulation présentées par M. et Mme D..., leurs conclusions à fin d'injonction et celles présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n°2304055 - 2304556 du 22 février 2024 du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. et Mme D... devant le tribunal administratif de Rouen et leurs conclusions présentées devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme D..., au ministre de l'intérieur et à la SELARL Eden avocats.
Copie en sera transmise pour information au préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience publique du 27 mars 2025 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Vincent Thulard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 avril 2025.
La présidente-rapporteure,
Signé : I. LegrandLa présidente de la 1ère chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
N°24DA00541, 24DA00556 2