Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 21 décembre 2021 par lequel le préfet de la Savoie l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 2200149 du 24 janvier 2022, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 23 février 2022, et un mémoire, enregistré le 1er décembre 2022, ce dernier n'ayant pas été communiqué, M. A... C..., représenté par Me Gerin, demande à la cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler ce jugement ;
3°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Savoie du 21 décembre 2021 ;
4°) d'enjoindre au préfet de la Savoie de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " ou " étudiant " et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat au profit de son conseil une somme de 1 800 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'union européenne ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnait l'article 3, 1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale par voie d'exception d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire, enregistré le 18 novembre 2022, le préfet de la Savoie conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Par décision du 29 juin 2022, M. A... C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. François Bodin-Hullin, premier conseiller ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... C..., né le 7 avril 1993 à Luanda et de nationalité angolaise, déclare être entré en France le 6 mars 2019, en compagnie de son épouse et de la sœur de cette dernière. Sa demande d'asile a été rejetée le 30 décembre 2019 par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et le 22 juin 2021 par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Par un arrêté du 21 décembre 2021, le préfet de la Savoie l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. M. C... relève appel du jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble du 24 janvier 2022 qui a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :
2. Il ressort des pièces du dossier que l'aide juridictionnelle totale a été accordée à M. C... par une décision du 29 juin 2022. Par suite, ses conclusions tendant à ce que lui soit accordée l'aide juridictionnelle à titre provisoire sont devenues sans objet. Il n'y a pas lieu, dès lors, de statuer sur ces conclusions.
Sur la légalité de la décision du 21 décembre 2021 :
En ce qui concerne la décision d'obligation de quitter le territoire français :
3. En premier lieu, la décision du 21 décembre 2021, qui vise les dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que le I de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant, reprend les motifs de droit qui la fondent, précise également la nationalité de l'intéressé, son entrée irrégulière et son parcours en France, ou encore les démarches effectuées au titre de sa demande d'asile. Elle relève la présence de son épouse et de sa fille mineure et indique qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à sa vie familiale, qui peut se reconstituer dans son pays d'origine, où il a vécu jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans. Il en résulte que la décision attaquée énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle est fondée. Elle est ainsi suffisamment motivée.
4. En deuxième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union ". Aux termes du paragraphe 2 de ce même article : " Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 51 de la Charte : " Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. (...) ".
5. Ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.
6. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français non prise concomitamment au refus de délivrance d'un titre de séjour, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne.
7. Une violation des droits de la défense, en particulier du droit d'être entendu, n'entraîne l'annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l'absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent.
8. M. C... se borne à soutenir qu'il n'a pas été entendu avant la mesure d'éloignement, sans préciser les éléments qu'il entendait porter à la connaissance de l'autorité administrative. En tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que sa situation familiale et celle de son épouse, également en situation irrégulière, la présence de leur enfant mineur ou encore les études entreprises, constitueraient des éléments pertinents qu'il aurait pu utilement porter à la connaissance de l'administration avant que ne soit prise la mesure d'éloignement et qui, s'ils avaient été communiqués à temps, auraient été de nature à faire obstacle à la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français. Par suite, le moyen doit être écarté.
9. En troisième lieu, si le requérant soutient avoir eu une fille née le 3 juin 2022 avec une française, cette circonstance est, en tout état de cause, postérieure à l'arrêté en litige et ne peut, dès lors, entacher d'illégalité la décision contestée.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance./ Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". ".
11. Il ressort des pièces du dossier que M. C... est entré en France en 2019 à l'âge de vingt-cinq ans. S'il se prévaut de la présence régulière en France de plusieurs membres de la famille de son épouse, il ne démontre pas qu'il serait dépourvu d'attaches familiales propres dans son pays d'origine. Son épouse fait également l'objet d'une mesure d'éloignement et n'a ainsi pas vocation à se maintenir sur le territoire. Ainsi, rien ne fait obstacle à ce que la cellule familiale, avec leur fille, se reconstitue en Angola, pays dont chacun des membres de la famille a la nationalité et où le requérant et son épouse ont passé la majeure partie de leur vie. Enfin, la double circonstance que le requérant a été inscrit dans un établissement universitaire, mais sans avoir sollicité de titre étudiant avant l'arrêté litigieux, pour y suivre avec succès pour l'année 2020-2021 un DUT " réseaux et télécommunications ", qu'il dit poursuivre avec sérieux en deuxième année, et qu'il a suivi des cours de français auprès du centre universitaire d'études françaises, ne suffit pas à établir qu'il aurait fixé le centre de ses intérêts en France et qu'il y aurait créé des liens intenses, stables et durables. Dans ces conditions, la décision attaquée n'a pas porté au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Le moyen tiré d'une violation des stipulations précitées doit, par suite, être écarté. Pour les mêmes raisons, il n'est pas non plus fondé à soutenir que le préfet a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
12. En cinquième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".
13. M. C... se prévaut de la présence de sa fille née le 20 mai 2020 sur le territoire national. Il se prévaut aussi de la naissance d'une enfant née le 3 juin 2022 issue d'une autre union. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette enfant née le 20 mai 2020, encore très jeune, ne pourrait suivre ses parents en Angola, pays dont les parents ont la nationalité. Il est constant que la naissance de l'enfant née le 3 juin 2022 et qu'il aurait eu avec une ressortissante française est intervenue postérieurement à la date de la décision attaquée. Par suite, et alors que les décisions en litige n'ont ni pour objet ni pour effet de séparer cette enfant mineure née le 20 mai 2020 de son père ou de sa mère, également en situation irrégulière, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le préfet de la Savoie aurait porté atteinte à l'intérêt supérieur de cette enfant. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant doit, dès lors, être écarté.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
14. En premier lieu, en l'absence d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, le requérant n'est pas fondé à en exciper de l'illégalité à l'encontre de la décision fixant le pays de destination.
15. En deuxième lieu, la décision fixant le pays de renvoi vise l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, rappelle la nationalité de l'intéressé et le rejet de sa demande d'asile ainsi qu'il a été dit au point 1, et relève qu'il n'établit pas être exposé à des peines et traitements contraires à cette convention en cas de retour dans son pays d'origine. Elle est, ainsi, suffisamment motivée. Ce moyen doit, dès lors, être écarté.
16. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains et dégradants. " et aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité. (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (...) ".
17. M. C... réitère en appel, sans l'assortir d'éléments nouveaux, son moyen selon lequel la décision fixant le pays de destination méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il y a lieu de l'écarter par adoption des motifs retenus par le premier juge. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être également rejeté.
18. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles présentées au titre des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'octroi de l'aide juridictionnelle provisoire.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Savoie.
Délibéré après l'audience du 6 décembre 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Monique Mehl-Schouder, présidente de chambre,
Mme Camille Vinet, présidente-assesseure,
M. François Bodin-Hullin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 janvier 2023.
Le rapporteur,
F. Bodin-Hullin
La présidente,
M. B...
La greffière,
F. Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY00602