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30/03/2023 | FRANCE | N°21LY01016

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 30 mars 2023, 21LY01016


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... ... et Mme C... E... ont demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner le centre hospitalier Jacques Lacarin de Vichy à leur verser les sommes respectives de 37 213,29 euros à M. E... et 2 000 euros à Mme E..., en réparation du préjudice que leur a causé la prise en charge médicale de Mme D... ....

Par un jugement n° 1700173 du 4 février 2021, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a condamné le centre hospitalier Jacques Lacarin de Vichy à verser les sommes re

spectives de 37 213,29 euros à M. E... et 400 euros à Mme E....

Procédure devan...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... ... et Mme C... E... ont demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner le centre hospitalier Jacques Lacarin de Vichy à leur verser les sommes respectives de 37 213,29 euros à M. E... et 2 000 euros à Mme E..., en réparation du préjudice que leur a causé la prise en charge médicale de Mme D... ....

Par un jugement n° 1700173 du 4 février 2021, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a condamné le centre hospitalier Jacques Lacarin de Vichy à verser les sommes respectives de 37 213,29 euros à M. E... et 400 euros à Mme E....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 1er avril 2021, ensemble des mémoires complémentaires enregistrés les 17 et 20 décembre 2021, 26 octobre 2022 et 8 novembre 2022, le centre hospitalier Jacques Lacarin de Vichy, représenté par la SELARL Fabre Savary Fabbro, demande à la cour de réformer le jugement n° 1700173 du 4 février 2021 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand en réduisant les sommes allouées à M. A... E... et à Mme C... E....

Il soutient que :

- il ne conteste pas le jugement s'agissant du principe de la responsabilité, de la perte de chance, des préjudices d'affection et des préjudices d'accompagnement ;

- c'est à tort que le tribunal a indemnisé un préjudice économique de M. E..., alors que la perte de revenus de Mme B... a précédé son décès et qu'elle est liée à la pathologie et non à la faute ; le tribunal a en outre mal évalué ce préjudice ; au surplus, le capital décès perçu de la MGEN aurait dû être déduit.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 octobre 2021, ensemble un mémoire complémentaire enregistré le 14 octobre 2022, M. A... E... et Mme C... E..., représentés par Me Giraudet, concluent :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à titre incident, à ce que les sommes allouées à M. A... E... soient portées à 60 007,78 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 23 novembre 2016 et capitalisation ;

3°) à titre incident, à ce que ce que les sommes allouées à Mme C... E... soient portées à 2 000 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 23 novembre 2016 et capitalisation ;

4°) à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge du centre hospitalier Jacques Lacarin de Vichy sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- ils ne contestent pas le jugement s'agissant du principe de la responsabilité, de la perte de chance, et du préjudice d'affection de M. E... ;

- M. E... a subi un préjudice d'accompagnement ;

- c'est à juste titre que le tribunal a retenu le préjudice économique de M. E..., qui est distinct de la perte de revenus de Mme B... ; son quantum doit être augmenté ;

- la somme allouée à Mme E... au titre du préjudice moral est insuffisante ;

- il n'y a pas de pension de réversion en l'absence de mariage ;

- le capital décès perçu de la MGEN est forfaitaire et non indemnitaire.

Par courrier du 20 octobre 2022, les consorts E... ont été invités à produire les avis d'imposition de Mme B... de 2011 à 2017 et de M. E... de 2011 à 2021 ainsi que les pièces attestant de la perception d'une pension de réversion et l'éventuelle créance des organismes sociaux.

Par ordonnance du 23 novembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 20 décembre 2021 à 16h30. Par ordonnance du 3 octobre 2022, la clôture d'instruction a été reportée au 18 octobre 2022 à 16h30. Par ordonnance du 19 octobre 2022, la clôture d'instruction a été reportée au 18 novembre 2022 à 16h30.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stillmunkes, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- les observations de Me Cazade, représentant le centre hospitalier Jacques Lacarin de Vichy,

- et les observations de Me Giraudet, représentant M. et Mme E....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... est décédée d'un cancer le 3 août 2016. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, éclairé notamment par une expertise ordonnée en référé, a retenu une erreur fautive de diagnostic commise le 23 août 2012, qui a fait perdre à la patiente une chance d'obtenir un diagnostic plus précoce et d'éviter une extension extra-abdominale de la maladie, suivie d'un décès de la patiente. Il a évalué cette perte de chance à 20 %. Devant la cour, ni le principe de la responsabilité, ni le principe et le taux de la perte de chance ne sont contestés. Le litige ne porte que sur le préjudice économique et le préjudice d'accompagnement de M. E..., compagnon de la victime, ainsi que sur les préjudices d'affection et d'accompagnement de Mme E..., mère de M. E....

Sur les préjudices de M. E... :

En ce qui concerne le préjudice économique :

2. Le préjudice économique subi par une personne du fait du décès d'un membre de son foyer est constitué par la perte des revenus de la victime qui étaient consacrés à son entretien, compte tenu de ses propres revenus. Pour évaluer le préjudice économique subi par M. E..., compagnon de Mme B..., il y a lieu d'évaluer les revenus que percevait le foyer avant le décès, de déduire de ce montant la part de ces revenus correspondant à la consommation personnelle de la défunte et de comparer le solde aux revenus perçus par M. E... après le décès.

3. Il résulte de l'instruction, et notamment des avis d'imposition qui ont été produits, que Mme B..., qui était adjointe administrative territoriale, a perçu en 2010 des revenus d'un montant total de 18 369 euros, en 2011 des revenus d'un montant total de 19 548 euros, et en 2012, avant que son état de santé ne se dégrade, des revenus d'un montant total de 19 742 euros. En 2013, ses revenus se sont maintenus à 19 679 euros. En 2014, dans un contexte de pathologie avancée, ses revenus s'étaient réduits à 14 351 euros, et en 2015 à 10 040 euros. Les bulletins de salaire produits font enfin apparaitre, au titre des mois de janvier à août 2016, un total de salaires de 10 402,70 euros. Dans les circonstances particulières de l'espèce, alors que la faute retenue remonte à 2012 et a fait perdre à la patiente une chance d'éviter la dégradation de son état, qui a affecté ses revenus, le revenu annuel avant décès pertinent doit être évalué à 19 679 euros.

4. Il résulte par ailleurs de l'instruction, et notamment des avis d'imposition produits, que M. E..., qui exerçait l'activité de conducteur de travaux, a perçu sur les mêmes périodes, toutes catégories de revenus confondues, 25 107 euros en 2010, 26 570 euros en 2011, 28 580 euros en 2012, 30 747 euros en 2013, 29 121 euros en 2014, 28 090 euros en 2015 et 28 463 euros en 2016, année du décès. En 2017, année qui a suivi le décès, ses revenus se sont élevés à 29 197 euros.

5. Les indications qui précèdent font apparaitre que le couple, qui était hébergé chez la mère de M. E... ainsi que celui-ci l'a indiqué en première instance, doit être regardé comme ayant perçu avant le décès, en neutralisant ainsi qu'il a été dit l'incidence délétère de la pathologie postérieurement à la faute, un revenu annuel de 48 142 euros. Il résulte de l'instruction, en l'absence de toute indication particulière, et alors notamment qu'aucune charge fixe de logement n'apparait, que la part propre de consommation des revenus globaux du foyer de Mme B... ne peut être évaluée à moins de 40 %. Il résulte par ailleurs de l'instruction que M. E... a conservé après le décès de sa compagne des revenus à hauteur de 29 197 euros, cohérents avec ses revenus antérieurs, et excédant très sensiblement la moitié des revenus du foyer avant décès, pour s'élever à une part de l'ordre de 60% de ceux-ci. Dès lors, il ne résulte pas de l'instruction que M. E... aurait subi un préjudice économique.

En ce qui concerne le préjudice d'accompagnement :

6. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

7. Il résulte de l'instruction, et notamment des indications de l'expert en réponse au point 6 de la mission ainsi qu'à un dire, qu'une prise en charge anticipée de la pathologie, si le diagnostic avait été posé dans les suites de l'intervention du 23 décembre 2012, aurait pu être de nature à permettre de limiter l'extension de la maladie aux zones intra-abdominale et thoracique. L'expert relève également, au terme de son rapport, que l'extension clinique abdominale et thoracique de la maladie a majoré les douleurs et souffrances endurées. Ainsi, la faute commise, qui a fait perdre à la patiente une chance d'éviter cette extension et les souffrances qui en ont résulté, ne peut être regardée comme ayant été dénuée de toute incidence possible sur le besoin d'accompagnement de la patiente. Si l'expert a par ailleurs relevé, en réponse au point 8 de la mission, que le traitement mis en œuvre aurait été similaire, cette circonstance est sans incidence sur les conséquences de la faute résultant de l'évolution de la pathologie en l'absence de prise en charge. S'il existe une part d'incertitude sur les probabilités d'évolution positive de la pathologie et de maîtrise de son extension dans le cas d'une détection anticipée, cette incertitude est déjà prise en compte dans le taux de perte de chance précité qui a été fixé par le tribunal et n'est pas contesté en appel. L'incertitude admise par l'expert ne peut donc conduire à contester en outre le lien de causalité entre la faute et les préjudices subis, qui ne sont eux-mêmes pris en compte que dans le cadre de la perte de chance. Il est constant que M. E..., compagnon de Mme B..., a contribué à assurer l'accompagnement rendu nécessaire par l'aggravation de la pathologie. Il précise sans contestation qu'il assistait sa compagne, l'accompagnait aux rendez-vous médicaux et la rejoignait à l'hôpital après sa journée de travail et dans ses périodes disponibles. Il indique également qu'il a effectué des recherches et pris des contacts pour comprendre la pathologie et accompagner au mieux sa compagne. La matérialité du préjudice est donc établie. Compte tenu de la durée d'évolution de cette pathologie et de la dégradation progressive de l'état de santé de sa compagne, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant en l'espèce à hauteur de la somme de 10 000 euros. Compte tenu du taux de perte de chance applicable, une somme de 2 000 euros sera ainsi allouée à M. E... à ce titre.

En ce qui concerne le préjudice total :

8. Le jugement n'est pas contesté en tant qu'il alloue à M. E... une somme de 4 000 euros au titre du préjudice d'affection. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment, une somme totale de 6 000 euros doit ainsi lui être allouée en réparation de l'ensemble des préjudices invoqués.

Sur les préjudices de Mme E... :

9. Il résulte de l'instruction que Mme E... hébergeait son fils et la compagne de celui-ci chez elle. Le couple, qui entretenait ainsi un lien tout particulier avec Mme E..., avait un projet de grossesse, auquel la pathologie a fait obstacle. Enfin, l'expert a relevé que, compte tenu de l'activité professionnelle chargée de son fils, Mme E... s'est en outre fortement investie dans l'accompagnement et la prise en charge de Mme B..., ce que corroborent les attestations produites. Compte tenu de ces relations très développées et de cette situation il sera fait en l'espèce une juste appréciation du préjudice d'affection et du préjudice d'accompagnement de Mme E..., en les évaluant en l'espèce à la somme de 10 000 euros. Il y a en conséquence lieu, compte tenu du taux de perte de chance retenu par le tribunal et non contesté, d'allouer à Mme E... une somme de 2 000 euros.

Sur les intérêts et la capitalisation :

10. Il n'y a pas lieu de modifier les conditions d'intérêts et de capitalisation, non contestées, retenues par le tribunal.

11. Il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier Jacques Lacarin de Vichy est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand n'a pas limité à 6 000 euros, outre intérêts et capitalisation, la somme allouée à M. E.... M. E... et sa mère sont pour leur part fondés à soutenir que c'est à tort que, par le même jugement, le tribunal n'a pas porté à 2 000 euros, outre intérêts et capitalisation, la somme allouée à Mme E....

Sur les dépens :

12. La charge des dépens a déjà été définitivement attribuée dans l'instance antérieurement engagée par Mme B... et reprise par ses ayants droit, qui a donné lieu au jugement n° 1501046 du 27 mars 2018 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand et à l'arrêt n° 18LY01905 du 25 juin 2020 de la cour.

Sur les frais de l'instance :

13. Le centre hospitalier Jacques Lacarin de Vichy n'étant pas partie perdante pour l'essentiel dans la présente instance, les conclusions de M. E... et sa mère présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Le centre hospitalier Jacques Lacarin de Vichy est condamné à verser à M. A... E... la somme de 6 000 euros. Cette somme est assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 novembre 2016. Les intérêts échus à la date du 23 novembre 2017 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le centre hospitalier Jacques Lacarin de Vichy est condamné à verser à Mme C... E... la somme de 2 000 euros. Cette somme est assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 novembre 2016. Les intérêts échus à la date du 23 novembre 2017 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Le jugement n° 1700173 du 4 février 2021 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier Jacques Lacarin de Vichy, à M. A... E..., à Mme C... E... et à la mutuelle générale de l'éducation nationale (MGEN).

Délibéré après l'audience du 9 mars 2023, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

Mme Burnichon, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mars 2023.

Le rapporteur,

H. Stillmunkes

Le président,

F. Pourny

La greffière,

E. Labrosse

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 21LY01016


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY01016
Date de la décision : 30/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04-03 Responsabilité de la puissance publique. - Réparation. - Évaluation du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Henri STILLMUNKES
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : FABRE et ASSOCIES AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-03-30;21ly01016 ?
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