Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B..., Mme C... B... et M. D... B... ont demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon à leur verser la somme provisionnelle de 20 000 euros, à parfaire au vu d'une expertise à décider avant-dire droit, en réparation du préjudice que leur ont causé les conditions de prise en charge de Younès B....
La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Côte d'Or, ainsi que la CPAM du Loir-et-Cher agissant au nom et pour le compte de la CPAM du Cher, ont réservé le chiffrage de leurs débours dans l'attente de l'expertise sollicitée par les consorts B....
Par un jugement n° 1901825 du 29 janvier 2021, le tribunal administratif de Dijon a rejeté l'ensemble de ces conclusions.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 mars 2021, ensemble des mémoires complémentaires enregistrés les 16 février 2022 et 9 février 2023, M. A... B..., Mme C... E... épouse B... et M. D... B..., représentés par Me Giraudet, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler le jugement n° 1901825 du 29 janvier 2021 du tribunal administratif de Dijon ;
2°) de décider avant-dire droit une expertise médicale sur les conditions de prise en charge de Younès B... au centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon ;
3°) de condamner le CHU de Dijon à verser à M. D... B... la somme provisionnelle de 20 000 euros, à parfaire au vu des conclusions de l'expertise à décider ;
4°) de condamner le CHU de Dijon à verser à M. et Mme B... une somme de 7 139,80 euros, outre à chacun d'eux une somme de 75 000 euros ;
5°) de mettre à la charge du CHU de Dijon une somme de 2 400 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent, dans le dernier état de leurs écritures, que :
- une nouvelle expertise serait utile compte tenu des lacunes et insuffisances de l'expertise précédemment ordonnée en référé ;
- ils auraient renoncé aux interventions proposées dans le cadre du CHU de Dijon si l'hôpital n'avait pas manqué à son devoir d'information concernant l'ensemble des risques, les possibilités de suivi spécialisé et les consignes de suivi post-opératoire ; ;
- le CHU a commis une faute en l'absence de mise en place d'un suivi par un orthophoniste ;
- la circonstance qu'une seule intervention à l'hôpital Necker ait suffi révèle une mauvaise prise en charge antérieure au CHU de Dijon ;
- le tribunal a omis de statuer complètement sur le moyen tiré du défaut d'information ;
- ils ont subi une perte de chance d'éviter des interventions inutiles au CHU de Dijon ;
- ils ont subi un préjudice d'impréparation en l'absence d'information ;
- l'expertise permettra de chiffrer exactement leurs préjudices, mais le versement immédiat d'une provision est en l'état justifié ;
- le préjudice de la victime directe s'élève au moins au montant provisionnel demandé, dans l'attente d'une expertise pour l'évaluer plus complètement ;
- ses parents ont subi un préjudice d'affection, un préjudice d'accompagnement, des troubles dans leurs conditions d'existence et ont dû engager des frais divers de déplacement et de médecin-conseil, liés à l'expertise.
Par un mémoire enregistré le 14 avril 2021, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Loir-et-Cher, agissant au nom et pour le compte de la CPAM du Cher, conclut à ce qu'une expertise médicale soit décidée avant-dire droit, en réservant le chiffrage de ses débours.
Elle soutient qu'elle rejoint la demande des consorts B....
Par un courrier du 20 avril 2021, la CPAM du Loir-et-Cher a été mise en demeure de régulariser son mémoire en application de l'article R. 811-7 du code de justice administrative, dans le délai d'un mois, en recourant à l'un des mandataires visés à l'article R. 431-2 du même code.
Par un mémoire enregistré le 19 juillet 2021, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me Saumon, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- une nouvelle expertise est inutile ;
- la situation ne relève pas de la solidarité nationale en l'absence de dommage qui puisse être regardé comme anormal au sens de l'article L. 1141-1, II du code de la santé publique ; si le dommage devait être regardé comme résultant d'une faute, ceci exclurait au surplus également l'indemnisation par la solidarité nationale.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 décembre 2021, ensemble des mémoires complémentaires enregistrés les 4 mars 2022 et 14 février 2023, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.
Il soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
- l'expertise existante éclaire suffisamment le dossier et une nouvelle expertise serait frustratoire ;
- le praticien a suffisamment informé les parents de l'enfant ; en tout état de cause, compte tenu de la gravité de la pathologie et en l'absence d'alternative moins risquée, les parents n'auraient pas renoncé à l'intervention ;
- aucune faute dans la prise en charge n'est établie ;
- les consorts B... ne sont pas recevables à demander pour la première fois en cours d'instance d'appel des montants supérieurs au seul montant provisionnel demandé en première instance et initialement repris dans la requête d'appel.
Par courriers du 25 janvier 2023, les requérants, la CPAM du Loir-et-Cher et la CPAM de Côte d'Or ont été invités à chiffrer leurs préjudices définitifs dans l'hypothèse où la cour ne déciderait pas une nouvelle expertise.
Par un mémoire en production de pièces enregistré le 30 janvier 2023, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Loir-et-Cher a indiqué avoir exposé des débours, sous forme de frais hospitaliers, à hauteur d'un montant total de 31 376,57 euros.
Par courrier du 26 janvier 2023, les requérants ont été invités en application de l'article R. 751-3 du code de justice administrative à désigner un représentant unique, sauf à ce que le premier dénommé soit regardé comme leur mandataire.
Par courrier enregistré le 30 janvier 2023, les requérants ont désigné M. A... B... comme représentant unique pour l'application de l'article R. 751-3 du code de justice administrative.
Par ordonnance du 23 novembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 20 décembre 2021 à 16h30. Par ordonnance du 6 janvier 2022, la clôture d'instruction a été reportée au 21 février 2022 à 16h30. Par ordonnance du 24 février 2022, la clôture d'instruction a été reportée au 15 mars 2022 à 16h30. Par ordonnance du 25 janvier 2023, la clôture d'instruction a été reportée au 24 février 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale, ensemble l'arrêté du 15 décembre 2022 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2023 ;
- l'arrêté du 3 mai 2007 portant labellisation de centres de référence pour une maladie rare ou un groupe de maladies rares ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Stillmunkes, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Le Prado, représentant le CHU de Dijon.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... B..., né le 21 septembre 1999, est atteint du syndrome dit de Pierre Robin. Ce syndrome, qui correspond à une grave malformation maxillo-faciale, se caractérise par la présence à la naissance de trois anomalies de la bouche et du visage : une mâchoire inférieure plus petite que la normale avec un menton en retrait, une tendance de la langue à chuter en arrière dans la gorge et l'absence de fermeture à l'arrière du palais, dite fente palatine. L'enfant était atteint d'une fente vélo-palatine complète. Il a fait l'objet entre 1999 et 2011 de prises en charge répétées et notamment de huit interventions chirurgicales au centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon. Par ordonnance n° 1501724 du 4 septembre 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Dijon a ordonné une expertise sur les conditions de prise en charge de l'enfant dans ce CHU. Par le jugement attaqué du 29 janvier 2021, ce même tribunal a rejeté la demande de M. D... B... et de ses parents tendant à ce que le CHU de Dijon soit condamné à les indemniser, à titre provisionnel, des préjudices résultant de cette prise en charge et à ce qu'une nouvelle expertise soit décidée, avant-dire droit, d'une part pour rechercher l'existence de fautes dans la prise en charge hospitalière, ou subsidiairement vérifier les conditions éventuelles d'une prise en charge par la solidarité nationale, et d'autre part afin d'évaluer les préjudices.
Sur la recevabilité des conclusions d'appel :
2. Régulièrement mise en demeure de régulariser son mémoire en application de l'article R. 811-7 du code de justice administrative, en recourant à l'un des mandataires visés à l'article R. 431-2 du même code, la CPAM du Loir-et-Cher n'y a pas déféré. Dès lors, en supposant que la pièce produite en dernier lieu, qui ne s'accompagne d'aucun écrit, puisse être regardée comme correspondant à des conclusions indemnitaires, celles-ci ne peuvent qu'être rejetées comme irrecevables.
Sur la régularité du jugement :
3. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, le tribunal a expressément examiné, au point 12 du jugement attaqué, le moyen tiré du défaut d'information en tant qu'il portait de façon générale sur les modalités, risques et complications des interventions proposées, et sur l'existence de suivis spécialisés dans d'autres établissements, sans se limiter au seul risque de fistule. Le tribunal a au demeurant admis l'existence d'un défaut d'information. Le moyen tiré de l'omission à statuer sur ce moyen manque ainsi en fait.
Sur les conclusions tendant à ce qu'une nouvelle expertise soit diligentée :
4. L'expert désigné en référé par le tribunal, qui est un expert agréé, spécialiste en chirurgie maxillo-faciale, a réuni les éléments d'informations disponibles et exposé son analyse sur la pathologie du patient et les conditions de sa prise en charge hospitalière. Si les requérants contestent cette analyse, et ont produit une contre-expertise privée, qui a été soumise au débat contradictoire des parties tant en première instance qu'en appel, il n'en résulte pas qu'il serait utile de rassembler d'autres éléments d'information et de recourir de nouveau à un homme de l'art pour éclairer les données médicales du litige. Il n'y a dès lors pas lieu de diligenter à une nouvelle expertise.
Sur les conclusions indemnitaires :
5. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'expertise ordonnée en référé en première instance, que M. D... B... est né le 21 septembre 1999 au centre hospitalier de Nevers, qui a adressé ses parents au CHU de Dijon, pour que le syndrome de Pierre Robin dont l'enfant était atteint puisse y être pris en charge dans le service spécialisé de chirurgie maxillo-faciale de cet établissement. Il y a fait l'objet d'une première intervention le 18 octobre 1999 pour permettre la pose d'une plaque palatine, qui a été réalisée sans complication. Le 27 juin 2000 a été pratiquée une première intervention d'uranostaphylorraphie, pour une cure de fente palatine. Les suites immédiates ont été simples. Toutefois, en janvier 2001, une fistule a été constatée, que l'expert impute à une infection non nosocomiale. Le 18 juin 2001 a été réalisée une première intervention de reprise à la suite d'un lâchage des sutures. Une nouvelle intervention de reprise a dû être réalisée le 11 juin 2002 pour reprise de la cicatrice. Le 6 juin 2006 a été faite une intervention de pharyngoplastie. Une reprise a dû être réalisée le 12 février 2008. Le 9 mai 2009, une nouvelle intervention a visé à fermer la fistule ainsi qu'à pratiquer une vélopharyngoplastie. Enfin, le 28 juin 2011, est réalisée une nouvelle reprise de fistule. L'expert relève que les indications opératoires et les gestes chirurgicaux étaient conformes aux données acquises de la science au moment où ils ont été décidés et réalisés. L'expert souligne également que l'apparition de fistules est une complication connue et courante, l'incidence variant, à l'époque, de 5 % à 29 %. Il précise en outre que le syndrome de Pierre Robin est connu pour rencontrer de mauvaises cicatrisations. Enfin, si la contre-expertise privée et non contradictoire produite par les requérants soutient que la prise en charge du patient n'aurait pas pris en compte les modalités spéciales d'organisation des soins en ce qui concerne les maladies rares, il résulte toutefois de l'instruction que ce n'est qu'en 2007 que, en application du plan national maladies rares 2005-2008, l'hôpital Necker a été labellisé comme centre de référence des syndromes de Pierre Robin et des troubles de succion/déglutition congénitaux, avant de devenir plus récemment centre de référence des fentes et malformations faciales (MAFACE). De tels centres de référence, qui jouent un rôle de coordination, n'ont toutefois pas vocation à prendre en charge directement les patients. Il ne résulte pas de l'instruction et il n'est d'ailleurs pas soutenu qu'à la date des prises en charge du patient par le CHU de Dijon, des centres de compétence auraient été labellisés pour la prise en charge effective des patients atteints de la pathologie en litige.
En ce qui concerne les fautes médicales invoquées :
6. En premier lieu, ainsi que l'admet au demeurant la contre-expertise privée produite par les requérants, la seule circonstance que plusieurs opérations aient été réalisées au CHU de Dijon et une seule à l'hôpital Necker, ne caractérise pas en elle-même une faute médicale. Par ailleurs, compte tenu des complications infectieuses non nosocomiales et non fautives qui ont affecté la cicatrisation, le constat opéré à l'hôpital Necker sur l'insuffisance de la cicatrisation ne caractérise pas de faute. Si les requérants notent enfin que l'analyse de cet hôpital constate une absence de lambeau à la partie supérieure du voile, ce seul constat ne caractérise pas davantage en lui-même de faute imputable au CHU de Dijon.
7. En deuxième lieu, alors que les requérants indiquent que l'enfant a été pris en charge par un orthophoniste et que son état en a été amélioré, la circonstance, à la supposer établie, que cette prise en charge n'aurait pas été mise en place par le CHU de Dijon, n'apparait pas en elle-même comme ayant généré des préjudices. En tout état de cause, le courrier du CHU de Dijon du 14 mai 2001, cité par l'expert, indique que des séances d'orthophonie seront à prévoir. L'expert cite également un courrier du 20 avril 2005, qui prescrit de continuer l'orthophonie et réserve à ce stade une prise en charge en orthodontie, qui n'est décidée que dans des courriers des 31 octobre et 21 novembre 2011. L'expert cite également de nouveaux courriers de 2009 et 2010 qui prévoient de poursuivre l'orthophonie. Enfin, il ressort également des différents courriers cités par l'expert que les orthophonistes qui ont suivi l'enfant ont été en contact avec le service qui a pris en charge les interventions chirurgicales. L'expert a également indiqué, en réponse au point n° 3 de sa mission, que le patient a été suivi depuis septembre 2002 en orthophonie. Les allégations selon lesquelles le CHU de Dijon aurait ignoré cet aspect de la prise en charge manquent donc en fait.
8. En troisième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que les requérants auraient subi de préjudice en raison d'une absence de consignes post-opératoires, leur moyen sur ce point n'étant d'ailleurs pas assorti de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.
En ce qui concerne le défaut d'information :
9. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. / (...) / Les droits des mineurs ou des majeurs sous tutelle mentionnés au présent article sont exercés, selon les cas, par les titulaires de l'autorité parentale ou par le tuteur. Ceux-ci reçoivent l'information prévue par le présent article, sous réserve des dispositions de l'article L. 1111-5. Les intéressés ont le droit de recevoir eux-mêmes une information et de participer à la prise de décision les concernant, d'une manière adaptée soit à leur degré de maturité s'agissant des mineurs, soit à leurs facultés de discernement s'agissant des majeurs sous tutelle (...) ". Antérieurement à l'entrée en vigueur de ce texte, il résultait d'une jurisprudence constante que, lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé. Si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité, ou de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation. Il appartient à l'hôpital d'établir que l'intéressé a été informé des risques de l'acte médical. La faute commise par les praticiens d'un hôpital au regard de leur devoir d'information du patient n'entraîne pour ce dernier que la perte d'une chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé. La réparation du dommage résultant de cette perte doit être fixée à une fraction des différents chefs de préjudice qui tient compte du rapprochement entre, d'une part, les risques inhérents à l'acte médical et, d'autre part, les risques encourus en cas de renoncement à cet acte. Lorsque le patient a droit à une réparation partielle des conséquences dommageables d'un accident en raison de la perte de chance qui a résulté pour lui d'un manquement, par les praticiens, à leur devoir d'information, il convient pour le juge de déterminer le montant total du dommage puis de fixer la fraction de ce dommage mise à la charge de l'hôpital à raison de la perte de chance résultant pour le patient de ce manquement au devoir d'information.
10. D'une part, si le CHU de Dijon fait valoir que, dans un courrier du 11 octobre 1999, les parents de l'enfant qui venait de naître ont été informés qu'une plaque palatine serait posée et qu'une intervention ultérieure serait nécessaire, aucun élément ne permet d'établir que les requérants, qui le contestent, auraient été informés, pour chaque intervention, du risque de complications de la cicatrisation, notamment en cas d'infection, dont l'expert a souligné qu'il constituait au moment des interventions un risque connu et courant. Cette absence d'information est de nature à engager la responsabilité du CHU de Dijon. En revanche, le CHU n'était pas tenu d'indiquer aux parents l'ensemble des autres établissements susceptibles de prendre en charge l'enfant.
11. D'autre part, si, à la suite d'un défaut d'information, le juge peut nier l'existence d'une perte de chance de se soustraire au risque lié à l'intervention au motif que celle-ci était impérieusement requise, il lui appartient, pour se prononcer en ce sens, de rechercher dans quel délai une évolution vers des conséquences graves était susceptible de se produire si le patient refusait de subir dans l'immédiat l'intervention. En l'espèce, ainsi que le relève le CHU de Dijon, l'expert a souligné que le syndrome de Pierre Robin est une malformation maxillo-faciale grave, susceptible dans certains cas d'entrainer le décès de l'enfant. Il ne résulte pas de l'instruction que, compte tenu de la gravité de l'état de l'enfant et en l'absence d'alternative à l'époque, les parents auraient renoncé à la pose d'une plaque palatine, qui s'imposait à très bref délai et s'est au demeurant réalisée sans complication. Il ne résulte pas davantage de l'instruction qu'ils auraient renoncé à l'intervention initiale de suture de la fente, dont la nécessité très rapide est évidente et qui a alors été réalisée dans un service spécialisé, ni aux deux première interventions rapprochées de reprise après constat d'une fistule, qui devaient elles-mêmes être réalisées en prolongement immédiat. Les parents font essentiellement valoir leurs réticences compte tenu de la répétition des interventions au fil des années, et il résulte en revanche de l'instruction qu'une information complète sur les risques encourus, qui étaient susceptibles d'entrainer un échec partiel des interventions, aurait pu être nature à les faire renoncer aux interventions qui ont suivi, à compter de l'intervention du 6 juin 2006, ces interventions pouvant être différées, et réalisées le cas échéant dans un autre établissement de soins.
12. Enfin, il résulte de l'instruction, compte tenu des risques inhérents à l'absence de prise en charge, à l'absence d'alternative établie à la date des interventions des 6 juin 2006, 12 février 2008, 9 mai 2009 et 28 juin 2011, et au caractère limité des risques inhérents aux interventions, qui consistent essentiellement en un échec thérapeutique partiel et non en une aggravation de l'état du patient, que les requérants doivent être regardés comme ayant uniquement perdu une chance de 30 % d'échapper aux risques qui se sont réalisés, qui se ramènent aux périodes de déficit temporaire et aux souffrances liées à chacune de ces quatre interventions, sans englober les préjudices tenant au syndrome de Pierre Robin lui-même, ou à d'autres pathologies, qui ne sont pas la conséquence de ces interventions et que ces interventions ont au contraire visé à traiter, même si les résultats n'ont pas été entièrement atteints.
En ce qui concerne les préjudices :
Quant aux préjudices de M. D... B... :
13. En premier lieu, l'expertise fait apparaitre que l'intervention de pharyngoplastie du 6 juin 2006 a entrainé la nécessité, en post-opératoire, d'une alimentation parentérale durant 48 heures ainsi que de prise d'antalgiques. Sa reprise le 12 février 2008 a impliqué un traitement symptomatique et une surveillance, avec des rendez-vous médicaux à J2 et J15. La nouvelle intervention de fermeture de fistule avec vélopharyngoplastie du 9 mai 2011 a, pour sa part, impliqué au moins une alimentation liquide stricte durant 2 jours. Enfin, la reprise de fistule qui a dû être réalisée, le 28 juin 2011, a nécessité une alimentation avec sonde naso-gastrique durant 5 jours, des soins de bouche et la prise d'antibiotiques durant une semaine.
14. Il sera fait une juste appréciation du préjudice de déficit fonctionnel temporaire imputable à ces quatre interventions en l'évaluant à la somme totale de 4 000 euros. Il sera fait une juste appréciation des souffrances endurées du fait de la nature et de la répétition de ces interventions en les évaluant à la somme totale de 6 000 euros. Compte tenu du taux de perte de chance précité, il y a en conséquence lieu d'allouer à M. D... B... la somme de 3 000 euros.
15. En second lieu, indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques courus ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a subis du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité. S'il appartient au patient d'établir la réalité et l'ampleur des préjudices qui résultent du fait qu'il n'a pas pu prendre certaines dispositions personnelles dans l'éventualité d'un accident, la souffrance morale qu'il a endurée lorsqu'il a découvert, sans y avoir été préparé, les conséquences de l'intervention doit, quant à elle, être présumée.
16. Il sera fait en l'espèce une juste appréciation du préjudice d'impréparation subi par le patient du fait de la répétition des interventions de reprise précitées, qui ont entrainé les préjudices corporels qui viennent d'être indiqués, en lui allouant en l'espèce une somme de 2 000 euros.
Quant aux préjudices de M. A... B... et Mme C... B... :
17. En premier lieu, le préjudice d'accompagnement et les troubles dans les conditions d'existence invoqués, qui correspondent à l'incidence de la pathologie sur l'activité professionnelle de Mme B... et sur les conditions d'existence des parents du patient, ne sont pas en lien avec le défaut d'information.
18. En deuxième lieu, les parents du patient ont subi, du fait de la répétition des interventions précitées, un préjudice moral, dont il sera fait une juste évaluation en allouant à chacun d'eux une somme de 1 500 euros, dans la limite du taux de perte de chance de 30 %, soit une somme de 450 euros pour chacun.
19. En troisième lieu, les parents du patient justifient avoir exposé une somme totale de 6 240 euros au titre d'une assistance médicale à expertise, qui doit en l'espèce être regardée comme ayant présenté un caractère d'utilité. Il résulte par ailleurs du rapport d'expertise que la réalisation de celle-ci a nécessité deux réunions avec l'expert, ainsi qu'une réunion avec le sapiteur, dans des villes éloignées de la résidence de la famille. Toutefois, il ressort du même rapport que la famille résidait alors à Nevers, et n'était pas encore à Bourges, les distances invoquées étant dès lors inexactes. Les parents doivent ainsi être regardés comme justifiant en l'espèce de frais de transports pour un montant total de 800 euros, qu'il y a lieu de leur allouer.
20. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le CHU de Dijon, que les requérants sont uniquement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon n'a pas fait droit à leurs conclusions indemnitaires dirigées contre le CHU de Dijon, en le condamnant à verser à M. D... B... une somme de 5 000 euros, à chacun de ses parents une somme de 450 euros, et à ses deux parents une somme totale de 7 040 euros au titre des frais divers.
Sur les dépens :
21. En application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre les dépens à la charge du CHU de Dijon.
Sur les frais de l'instance :
22. Le CHU de Dijon étant tenu aux dépens, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à sa charge une somme de 1 500 euros à verser aux consorts B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le CHU de Dijon est condamné à verser à M. D... B... la somme de 5 000 euros.
Article 2 : Le CHU de Dijon est condamné à verser à M. A... B... et Mme C... B... la somme de 7 040 euros. Le CHU de Dijon est également condamné à verser à chacun d'eux la somme de 450 euros.
Article 3 : Les dépens sont mis à la charge du CHU de Dijon.
Article 4 : Le jugement n° 1901825 du 29 janvier 2021 du tribunal administratif de Dijon est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : La somme de 1 500 euros, à verser aux consorts B..., est mise à la charge du CHU de Dijon sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., représentant unique des requérants, au centre hospitalier universitaire de Dijon, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse primaire d'assurance maladie du Cher, à la caisse primaire d'assurance maladie du Loir-et-Cher, à la caisse primaire d'assurance maladie de Côte d'Or et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Nièvre.
Délibéré après l'audience du 23 mars 2023, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Stillmunkes, président assesseur,
Mme Bentéjac, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 avril 2023.
Le rapporteur,
H. Stillmunkes
Le président,
F. Pourny
La greffière,
F. Abdillah
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 21LY00984