Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône à lui verser la somme de 25 000 euros, à parfaire au vu des conclusions d'une expertise à décider avant-dire droit, outre intérêts au taux légal à compter du 28 janvier 2019 et capitalisation desdits intérêts, en réparation des préjudices que lui a causé sa prise en charge pour une hémorragie survenue dans les suites d'un accouchement le 28 octobre 2018.
La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Rhône a présenté des conclusions tendant à ce que le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône soit condamné à lui verser la somme de 625,66 euros.
Par un jugement n° 1906270 du 3 juillet 2020, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande ainsi que les conclusions de la CPAM du Rhône.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 décembre 2020, ensemble des mémoires complémentaires enregistrés les 18 octobre 2021, 13 septembre 2022 et 28 juillet 2023, Mme A... B..., représentée par Me Saumet puis par la SELARL Cabinet Rémy Le Bonnois, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement n° 1906270 du 3 juillet 2020 du tribunal administratif de Lyon ;
2°) de décider avant-dire droit une expertise médicale complémentaire et de condamner le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône à lui verser la somme provisionnelle de 25 000 euros, à parfaire au vu des conclusions de l'expertise, en réparation des préjudices que lui a causés sa prise en charge pour une hémorragie survenue dans les suites d'un accouchement le 28 octobre 2018 ;
3°) subsidiairement, de condamner le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône à lui verser la somme de 44 030 euros en réparation de ses préjudices ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme B... soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
- elle maintient intégralement ses écritures, conclusions et moyens de première instance ;
- sa requête d'appel n'est pas tardive ;
- le jugement est irrégulier en raison de l'absence de communication de son mémoire complémentaire du 8 mars 2020, qui est pourtant visé dans le jugement, en méconnaissance de l'article R. 611-1 du code de justice administrative et du principe du contradictoire ; il est également irrégulier faute pour le rapporteur public, qui avait conclu à une expertise avant-dire droit, de s'être prononcé sur ses conclusions indemnitaires ; le jugement est irrégulier dès lors que le tribunal ne l'a pas informée des motifs sur lesquels il était susceptible de se fonder pour rejeter ses conclusions indemnitaires, en méconnaissance du principe du contradictoire et de l'article L. 5 du code de justice administrative ;
- le tribunal ne pouvait se prononcer sur les conditions de sa prise en charge sans être éclairé par une expertise médicale et c'est à tort que le jugement attaqué a écarté toute faute imputable au centre hospitalier ;
- les conditions de sa prise en charge hospitalière ont fait l'objet d'une expertise diligentée par le juge judiciaire et il y avait lieu pour la Cour de surseoir à statuer dans l'attente du rapport de l'expert ; une expertise complémentaire s'avère encore nécessaire ;
- subsidiairement, l'oubli de compresses constitue une faute médicale imputable au centre hospitalier ;
- elle a subi plusieurs préjudices, tenant à des frais d'assistance à expertise, à un déficit fonctionnel temporaire puis permanent, à un préjudice esthétique temporaire, à des souffrances endurées et à un préjudice sexuel permanent.
Par un mémoire enregistré le 11 octobre 2021, la CPAM du Rhône indique ne pas souhaiter intervenir dans l'instance.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 octobre 2021, ensemble des mémoires complémentaires enregistrés les 7 juillet, 19 juillet et 8 août 2023, le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône, représenté par la SELARL Fabre Savary Fabbro devenue la SELARL Fabre et Associés, conclut, dans le dernier état de ses écritures :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de Mme B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
- il s'en remet à l'appréciation de la Cour pour ce qui est de la régularité du jugement ;
- c'est à juste titre que le tribunal n'a retenu aucune faute médicale ;
- une expertise serait frustratoire ; subsidiairement, si une expertise était décidée, elle devrait être confiée à un gynécologue obstétricien et porter, non seulement sur les préjudices, mais également sur les conditions de la prise en charge médicale, au contradictoire de la polyclinique du Beaujolais ; une telle expertise est en tout état de cause rendue inutile par l'expertise diligentée par le juge judiciaire ;
- il n'a commis aucune faute dès lors qu'il n'avait pas été informé de la pose de compresses ;
- subsidiairement, il y a lieu de ne retenir que les préjudices identifiés par l'expert judiciaire, pour un montant total qui ne saurait excéder 1 520 euros.
Un courrier de la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, enregistré le 7 septembre 2023, présenté sans l'assistance d'un avocat et par lequel elle se bornait à rappeler ne pas souhaiter intervenir dans l'instance, n'a pas été communiqué.
Par ordonnance du 20 septembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 18 octobre 2021 à 16h30. Par ordonnance du 18 octobre 2021, l'instruction a été rouverte. Par ordonnance du 10 mai 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 10 juillet 2023 à 16h30. Par ordonnance du 7 juillet 2023, la clôture d'instruction a été reportée au 10 août 2023 à 16h30. Par ordonnance du 24 août 2023, la clôture d'instruction a été reportée au 22 septembre 2023 à 16h30.
Par un courrier du 27 juillet 2023, Mme B... a été mise en demeure de chiffrer définitivement ses préjudices.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 octobre 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Stillmunkes, président-assesseur,
- et les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., née le 19 août 1993, a été prise en charge à la polyclinique du Beaujolais, pour un accouchement survenu le 28 octobre 2018. A la suite d'une sérieuse hémorragie survenue dans les suites de la délivrance, elle a été transférée en urgence le jour-même au centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône, puis retransférée à la polyclinique du Beaujolais le 30 octobre 2018. Par le jugement attaqué du 3 juillet 2020, le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande de Mme B... tendant à ce que le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône soit condamné à l'indemniser des préjudices qu'elle impute à sa prise en charge par cet établissement et qui résultent de l'oubli de deux compresses.
Sur le principe de la responsabilité :
2. La délivrance s'est achevée à 15h10. Elle s'est rapidement compliquée de saignements supérieurs à la normale. Une déchirure vaginale a tout d'abord été suturée dans le cadre de la Polyclinique. Les saignements continuant, un diagnostic d'hémorragie de la délivrance a été posé. Une déchirure au niveau du col a été suturée sans mettre fin aux saignements. Un ballonnet de Bakri a été mis en place au niveau intra-utérin et un transfert au centre hospitalier a alors été organisé en urgence pour embolisation. Il est constant que deux compresses ont été oubliées au fond du vagin de la patiente et n'ont été identifiées et enlevées qu'en décembre. Le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône a rejeté la demande indemnitaire préalable de Mme B... en s'appuyant sur les analyses d'un médecin conseil de son assureur, qui impute l'oubli à la Polyclinique du Beaujolais. Il résulte toutefois de l'instruction et notamment de l'expertise diligentée par le juge judiciaire et confiée à un chirurgien gynécologue et obstétrique, qui a remis son rapport le 8 mars 2023, que les compresses en cause, eu égard notamment à leurs dimensions et leurs caractéristiques, n'ont pas été utilisées lors de l'examen sous valves et de la réparation immédiate de la déchirure à la Polyclinique, mais ont été mises en place par la Polyclinique pour permettre la pose d'un ballonnet de Bakri et avaient ainsi vocation à être maintenues en même temps que ce ballonnet, qui visait à juguler les saignements en attendant la prise en charge hospitalière. L'expert note que la pose de compresses spéciales avec un ballonnet de Bakri est une procédure courante et connue. Ce ballonnet a été ultérieurement ôté par le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône, le 29 octobre. Or l'expert souligne que ce centre hospitalier a méconnu le protocole applicable dans le réseau obstétrico-pédiatrique dit D... auquel il adhère, qui vise à harmoniser les pratiques médicales de ses membres, en ne procédant pas, lorsqu'il a retiré le ballonnet de Bakri qui avait été posé, au retrait du tamponnement vaginal qui l'accompagnait, qui est pourtant expressément prévu lors de la réalisation de ce geste. Le retrait ayant été réalisé par le centre hospitalier, il ne peut en tout état de cause imputer à la Polyclinique sa mauvaise réalisation. Compte tenu du contexte d'urgence du transfert et de la brièveté des informations communiquées par la Polyclinique sur la pose du ballonnet, il appartenait au centre hospitalier de procéder à des vérifications diligentes dans l'intérêt de sa patiente. Mme B... est dès lors fondée à soutenir que l'oubli des compresses lors du retrait du ballonnet de Bakri constitue en l'espèce une faute imputable au centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône.
Sur les préjudices :
3. Ainsi que l'expose l'expert, les compresses ont été posées le 28 octobre 2018. Elles n'ont pas été ôtées le 29 octobre en même temps que le ballonnet de Bakri. L'expert note que, si Mme B... indique avoir ressenti des désagréments au bout d'une quinzaine de jours, elle n'a consulté un professionnel de santé sur ce point que le 21 décembre, sans faire procéder immédiatement au retrait de la masse dure qui a été constatée au niveau vaginal. Elle s'est présentée à une nouvelle consultation au terme de laquelle les compresses ont été ôtées le 26 décembre 2018. L'expert souligne que ces compresses n'ont provoqué aucune infection ni n'ont généré aucune séquelle permanente. Elles ont essentiellement entrainé des pertes abondantes et nauséabondes et majoré les douleurs ressenties.
4. En premier lieu, la requérante ne produit aucun élément de nature à établir qu'elle aurait gardé à sa charge, même partiellement, des dépenses de santé.
5. En deuxième lieu, Mme B... a exposé des frais d'assistance médicale à expertise, sous la forme, d'une part, d'une somme de 840 euros versée au Dr C... pour l'établissement d'un rapport psychiatrique spécialisé, d'autre part, d'une somme totale de 3 600 euros versée à la SELARL Compenseo au titre d'un suivi de l'expertise par le Dr E..., qui l'a aidée à préparer le dossier, l'a assistée durant les opérations d'expertise et l'a aidée à établir des dires. Il résulte de l'instruction que ces dépenses ont été en l'espèce utiles. Mme B... peut dès lors prétendre au remboursement de la somme totale de 4 440 euros.
6. En troisième lieu, l'expert identifie une période de déficit fonctionnel temporaire total, de l'accouchement jusqu'au 5 novembre 2018, sans lien avec l'oubli de compresses. A partir du 5 novembre 2018, date de sortie de la patiente, jusqu'au 18 janvier 2019, l'expert identifie une période de déficit fonctionnel temporaire partiel de 40 %, dont la moitié serait imputable à l'oubli des compresses. Il sera fait une juste appréciation du préjudice lié à cette dernière période en allouant à Mme B..., pour la partie imputable à l'oubli de compresses, une somme de 250 euros.
7. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction que l'oubli des compresses a, ainsi que le relève l'expert, entrainé des pertes abondantes et nauséabondes, de nature à altérer l'état physique de la requérante au regard des tiers. Mme B... est, en l'espèce, dès lors fondée à soutenir qu'elle a subi de ce fait un préjudice esthétique temporaire, dont il sera fait une juste appréciation en lui allouant une somme de 1 500 euros.
8. En cinquième lieu, l'expert note des souffrances endurées de 2,5 / 7, dont la moitié serait imputable à l'oubli des compresses. Il sera fait une juste appréciation du préjudice imputable à cette dernière part imputable en l'évaluant à hauteur d'une somme de 1 250 euros.
9. En sixième lieu, l'expert n'identifie aucun préjudice permanent imputable à l'oubli des compresses. Si Mme B... fait valoir des difficultés psychologiques et familiales, l'expert relève toutefois l'existence d'un état psychologique antérieur et en particulier d'une situation préexistante de conjugopathie. Il relève que les difficultés invoquées s'expliquent entièrement par cet état antérieur, ainsi dans une moindre mesure que par le choc supplémentaire tenant à la complication hémorragique grave, sans que l'oubli de compresses, qui est resté très mineur, ait en lui-même joué un rôle causal réel. Si la requérante produit une expertise privée réalisée le 16 mai 2023 par le Dr C..., celle-ci se borne à évaluer son état, sans établir de lien de causalité entre l'ensemble de cet état et le seul oubli de compresses. Il ne résulte ainsi pas de l'instruction que la faute commise par le centre hospitalier aurait généré un déficit fonctionnel permanent.
10. En septième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que l'oubli des compresses aurait par lui-même généré un préjudice sexuel permanent.
11. En huitième lieu, Mme B... a droit au versement d'intérêts au taux légal à compter du 28 janvier 2019, date de réception de sa demande préalable. Elle en a demandé la capitalisation le 7 août 2019, date de réception de sa demande de première instance. A cette date, une année d'intérêts n'était pas encore due. La capitalisation des intérêts interviendra dès lors le 28 janvier 2020 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur la régularité du jugement ni de diligenter une nouvelle expertise, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône doit être condamné à verser à Mme B... une somme totale de 7 440 euros, portant intérêts au taux légal à compter du 28 janvier 2019, ces intérêts étant eux-mêmes capitalisés au 28 janvier 2020 et à chaque échéance annuelle à compter de cette dernière date.
Sur les frais de l'instance :
13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône, partie perdante dans la présente instance, une somme de 1 500 euros à verser à Mme B..., sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, cette somme devant en l'espèce être regardée comme correspondant aux frais exposés par elle durant l'ensemble de l'instance, autres que ceux pris en charge par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle. Les conclusions présentées par le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent en revanche être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1906270 du 3 juillet 2020 du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône est condamné à verser à Mme B... une somme totale de 7 440 euros, portant intérêts au taux légal à compter du 28 janvier 2019, ces intérêts étant eux-mêmes capitalisés au 28 janvier 2020 et à chaque échéance annuelle à compter de cette dernière date.
Article 3 : Le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône versera à Mme B... une somme de 1 500 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5: Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône et à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône.
Délibéré après l'audience du 2 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Stillmunkes, président assesseur,
Mme Vergnaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 octobre 2023.
Le rapporteur,
H. Stillmunkes
Le président,
F. Pourny
La greffière,
F. Abdillah
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 20LY03842