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20/02/2024 | FRANCE | N°22LY00014

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 20 février 2024, 22LY00014


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



M. F... C..., Mme D... C... et M. A... C..., représenté par Mme D... C..., ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le centre hospitalier Métropole Savoie à verser une somme de 16 096 231,50 euros à M. A... C..., en réparation de ses préjudices consécutifs à sa prise en charge hospitalière en novembre et décembre 2003, à verser une somme de 112 053 euros à Mme D... C..., sa mère, et une somme de 30 000 euros à M. F... C..., son père, répa

rant leurs préjudices respectifs consécutifs à cette prise en charge de leur fils.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... C..., Mme D... C... et M. A... C..., représenté par Mme D... C..., ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le centre hospitalier Métropole Savoie à verser une somme de 16 096 231,50 euros à M. A... C..., en réparation de ses préjudices consécutifs à sa prise en charge hospitalière en novembre et décembre 2003, à verser une somme de 112 053 euros à Mme D... C..., sa mère, et une somme de 30 000 euros à M. F... C..., son père, réparant leurs préjudices respectifs consécutifs à cette prise en charge de leur fils.

Par un jugement n° 1807887 du 9 novembre 2021, faisant suite à un jugement avant-dire droit du 19 janvier 2021, le tribunal administratif de Grenoble a condamné le centre hospitalier Métropole Savoie à verser, d'une part, une somme de 933 205 euros ainsi que des rentes trimestrielles déterminées selon les modalités mentionnées aux points 17 et 21 de ce jugement du 9 novembre 2021, à M. A... C..., d'autre part, une somme de 14 000 euros tant à Mme D... C... qu'à M. F... C..., en laissant les dépens à la charge définitive du centre hospitalier Métropole Savoie et a en outre condamné cet établissement à verser une somme de 226 965,09 euros au titre de ses débours outre une somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme.

Procédure devant la cour :

Par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés respectivement les 4 janvier, 19 avril et 8 novembre 2022, M. A... C..., représenté par Mme D... C..., ayant pour avocat Me Gerbi, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 1807887 du 9 novembre 2021, ainsi que le jugement avant-dire droit du 19 janvier 2021, du tribunal administratif de Grenoble en condamnant le centre hospitalier Métropole Savoie à lui verser une indemnité totale de 16 097 731,50 euros, outre intérêts au taux légal ;

2°) de mettre à la charge du centre hospitalier Métropole Savoie les frais d'expertise ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier Métropole Savoie une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. C... soutient que :

- le taux de perte de chance doit être porté à 100 % ou, subsidiairement, maintenu à 70 % ;

- ses préjudices, avant application éventuelle d'un taux de perte de chance, doivent être évalués ainsi :

* frais de médecin conseil : 4 100 euros ;

* déficit fonctionnel temporaire : 106 995,50 euros ;

* souffrances endurées : 20 000 euros ;

* préjudice esthétique temporaire : 3 000 euros ;

* assistance temporaire par tierce personne : 3 052 166 euros ;

* assistance permanente par tierce personne : 10 662 820 euros ;

* perte de gains professionnels et incidence professionnelle : 1 800 000 euros ;

* déficit fonctionnel permanent : 360 750 euros ;

* préjudice d'agrément : 20 000 euros ;

* préjudice esthétique permanent : 2 000 euros ;

* préjudice scolaire, universitaire et de formation : 30 000 euros ;

* préjudice sexuel et d'établissement : 40 000 euros.

Par un mémoire enregistré le 28 février 2022, la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme, représentée par la SELARL Folco Tourrette Neri, demande au tribunal :

1°) de condamner le centre hospitalier Métropole Savoie, responsable en totalité des préjudices de M. A... C..., à lui verser la somme de 324 235,84 euros avec intérêts au taux légal à compter du 28 février 2022, au titre de ses débours, la somme de 109 271,33 euros au titre de dépenses de santé futures, et à lui rembourser, au fur et à mesure de leur engagement et sur justificatifs, les débours effectivement exposés au titre du placement de M. A... C... en institut médico-éducatif puis en structure spécialisée ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner le centre hospitalier Métropole Savoie, responsable à 70 % des préjudices de M. A... C..., à lui verser la somme de 226 965,09 euros avec intérêts au taux légal à compter du 27 août 2021, au titre de ses débours, et à lui rembourser, au fur et à mesure de leur engagement et sur justificatifs, en appliquant un taux de perte de chance de 70 %, les frais médicaux, pharmaceutiques et de placement de M. A... C... en structure spécialisée ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier Métropole Savoie l'indemnité forfaitaire de gestion de 1 114 euros prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier Métropole Savoie une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La caisse primaire d'assurance maladie soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a retenu un taux de perte de chance de 70 % au lieu d'un taux de 100 % ;

- ses débours s'élèvent à 319 755,59 euros au titre du placement du requérant en institut médico-éducatif, à 2 003,59 euros au titre de frais médicaux, à 2 450,80 euros au titre de frais pharmaceutiques, à 28,86 euros au titre de frais d'appareillage, soit 324 235,84 euros après déduction de franchises pour un montant de 3 euros ;

- compte tenu de frais médicaux, pharmaceutiques et de rééducation d'un montant annuel de 2 689,16 euros, et d'un montant euros de rente de 40,634 euros, le montant de ces frais capitalisés s'élève à 109 271,33 euros ;

- elle peut prétendre au remboursement de frais futurs exposés pour le placement de M. A... C... en structure spécialisée.

Par mémoires en défense enregistrés les 13 octobre, 14 novembre 2022 et 19 janvier 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le centre hospitalier Métropole Savoie, représenté par le cabinet d'avocats Le Prado - Gilbert conclut au rejet de la requête, à titre incident, à la réduction des sommes allouées par le tribunal.

Le centre hospitalier fait valoir que :

- la perte de chance ne peut pas être intégrale et son taux a été fixé à 70 % par l'expert judiciaire ;

- le requérant ne démontre pas l'utilité des frais de médecin conseil exposés à l'occasion des expertises et le taux de perte de chance de 70 % doit être appliqué au remboursement éventuellement retenu ;

- la période jusqu'aux trois ans du requérant n'ouvre pas droit à indemnisation au titre de l'assistance par tierce personne, et les périodes, hors domicile, d'hospitalisation et de placement en institut médical éducatif ne peuvent pas être prises en compte à ce titre ; le taux uniforme journalier de 17 euros retenu par les premiers juges pour indemniser ce préjudice est excessif, ce taux devant être calculé à partir du smic horaire augmenté des charges sociales employeur et affecté d'une majoration pour dimanches, jours fériés et congés payés ; du montant de l'indemnité, et de la rente pour le futur, doivent être déduits les montants de l'allocation journalière de présence parentale et de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, ou de celle qui préexistait, ainsi que les montants des prestations sociales telles la prestation de compensation du handicap, que ces allocations et prestations aient été ou non accordées ; pour le futur, l'indemnisation doit prendre la forme d'une rente, non d'un versement en capital, en raison des incertitudes pesant sur le mode d'hébergement du requérant, au domicile, ou non, de ses parents, ou en institution spécialisée ;

- le taux journalier pour le déficit fonctionnel temporaire doit être fixé à 13 euros, ce qui conduit à un calcul d'indemnité de 47 963,50 euros ;

- doivent être ramenées à de plus justes proportions les indemnités accordées au titre :

* du préjudice esthétique temporaire, à supposer qu'il se distingue du déficit fonctionnel temporaire,

* du déficit fonctionnel permanent,

* du préjudice d'agrément, à supposer qu'il se distingue du déficit fonctionnel permanent,

* de l'incidence professionnelle et de la perte de gains professionnels futurs, le requérant n'étant pas privé de la possibilité d'exercer une activité professionnelle future et les revenus de remplacement procurés par l'allocation aux adultes handicapés et une pension doivent être déduits de l'indemnité, versée sous forme de rente sur la base du salaire médian net mensuel ;

* du préjudice d'établissement ;

- il n'y pas lieu d'indemniser spécifiquement le préjudice scolaire et l'existence d'un préjudice sexuel n'est pas établie.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont entendus au cours de l'audience publique du 29 janvier 2024 :

- le rapport de M. Gros, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Le Prado, représentant le centre hospitalier Métropole Savoie.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... C..., né le 21 décembre 2002, est atteint d'une afibrinogénémie constitutionnelle diagnostiquée en juin 2003. A la suite d'une double chute survenue à domicile le 18 novembre 2003, alors qu'il était âgé d'à peine 11 mois, il a été conduit le lendemain au service des urgences du centre hospitalier de Chambéry, d'où il est ressorti le 20 novembre. Il a été de nouveau été pris en charge en urgence par cet établissement le 23 novembre suivant et encore le 29 novembre, date à laquelle un examen par scanner révèle de multiples hématomes intra-parenchymateux hyperdenses. L'enfant est alors transféré au service de réanimation infantile du centre hospitalier universitaire de Grenoble où l'implantation d'un drain ventriculaire huit jours durant permet de diminuer les pressions intra-crâniennes. Retourné au centre hospitalier de Chambéry le 26 décembre, il regagne le domicile familial le 1er janvier 2004. M. A... C..., qui conserve des séquelles de ses hématomes, a demandé la condamnation du centre hospitalier à lui verser une somme de 16 096 231,50 euros, en réparation de ses préjudices consécutifs à cette prise en charge hospitalière de novembre 2003. Mme D... C..., sa mère, a quant à elle formulé une demande à hauteur de 112 503 euros, et M. F... C..., son père, à hauteur de 30 000 euros. Par jugement du 9 novembre 2021, le tribunal administratif de Grenoble a accordé à M. A... C... une indemnité totale de 933 205 euros ainsi qu'une rente trimestrielle au titre de l'assistance future par tierce personne et une autre rente, mensuelle, au titre de la perte de gains professionnels futurs et il a accordé à chacun de ses parents une indemnité de 14 000 euros. M. A... C... relève appel de ce jugement en demandant la condamnation du centre hospitalier Métropole Savoie, issu de la fusion, en 2015, des centres hospitaliers de Chambéry et d'Aix-les-Bains, à lui verser une indemnité d'un montant total de 16 097 731,50 euros.

Sur le principe et l'étendue de la responsabilité du centre hospitalier :

2. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ".

3. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement, et qui doit être intégralement réparé, n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel, déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

4. Lors de la prise en charge de l'enfant A... C..., le 23 novembre 2003, et contrairement à ce qui avait été pratiqué le 19 novembre précédent, l'équipe médicale du service des urgences de l'hôpital de Chambéry ne lui a pas administré le médicament clottagen, destiné à prévenir les saignements liés à l'afibrinogénémie constitutionnelle dont est atteint cet enfant, lesquels peuvent conduire à des hémorragies intracérébrales suivies d'hématomes, et n'a pas fait pratiquer d'examen par scanner. Pourtant, cinq mois auparavant, en juin 2003, une médecin hématologiste du même établissement avait indiqué qu'en cas de traumatisme crânien, comme en l'espèce, l'enfant, le 18 novembre, étant tombé à deux reprises avec impact occipital, il fallait injecter le médicament clottagen, toutes les 48 heures, et réaliser un scanner. Une telle abstention est fautive, comme l'a jugé le tribunal le 19 janvier 2021 et encore le 9 novembre 2021, les premiers juges pointant également l'absence de réplique de l'injection et du scanner après le 19 novembre 2003. Cependant, il ne ressort pas des rapports d'expertise que la poursuite des injections de clottagen, après celle effectuée le 19 novembre, et la poursuite de la surveillance par scanner, auraient à coup sûr évité les manifestations hémorragiques, lesquelles peuvent aussi provenir de saignements spontanés, et l'apparition subséquente des hématomes générateurs des séquelles dont souffre M. A... C.... En outre, le requérant n'apporte aucun élément au soutien de son allégation selon laquelle le taux de perte de chance devrait être fixé à 100 %. Dans ces conditions, le taux de perte de chance doit, comme retenu par l'expertise du 27 mai 2021, et comme l'a jugé le tribunal, être évalué à 70 %.

Sur les préjudices de M. C... :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

Quant aux honoraires de médecins conseils :

5. Pour le compte de M. A... C... ont été exposés par Mme D... C..., sa mère, des frais d'assistance par un médecin conseil, d'un montant de 1 100 euros pour les opérations d'expertise ayant conduit au rapport du 28 juin 2017 rédigé par un professeur des universités - praticien hospitalier, pédiatre, et d'un montant de 3 000 euros pour celles ayant conduit au rapport du 27 mai 2021 rédigé par une praticienne hospitalière, médecin biologiste spécialisée en immunologie et hématologie. Ces frais apparaissant utiles à la solution du litige, il sera fait droit intégralement à la demande de remboursement de 4 100 euros formulée à ce titre dès lors qu'il n'y a pas lieu de faire application du taux de perte de chance pour de tels frais.

Quant à l'assistance par tierce personne :

6. Lorsque le juge administratif indemnise la victime d'un dommage corporel du préjudice résultant pour elle de la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne dans les actes de la vie quotidienne, il détermine d'abord l'étendue de ces besoins d'aide et les dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il fixe, ensuite, le montant de l'indemnité qui doit être allouée par la personne publique responsable du dommage, en tenant compte des prestations dont, le cas échéant, la victime bénéficie par ailleurs et qui ont pour objet la prise en charge de tels frais. A ce titre, il appartient au juge, lorsqu'il résulte de l'instruction que la victime bénéficie de telles prestations, de les déduire d'office de l'indemnité mise à la charge de la personne publique, en faisant, si nécessaire, usage de ses pouvoirs d'instruction pour en déterminer le montant. Lorsque la personne publique n'est tenue de réparer qu'une fraction du dommage corporel, cette déduction ne doit toutefois être opérée que dans la mesure requise pour éviter que le cumul des prestations et de l'indemnité versée excède les dépenses nécessaires aux besoins d'aide par tierce personne.

7. Il résulte de l'instruction que, consécutivement à la faute du centre hospitalier de Chambéry, M. A... C..., qui n'a acquis la marche qu'à l'âge de dix-huit mois et connaissait déjà des troubles du comportement, souffre d'un déficit des fonctions cognitives, qui atteint ses capacités visuospatiales, mnésiques et exécutives, et que son état de santé requiert une aide humaine pour l'assister, le guider et le surveiller dans tous les actes de la vie quotidienne. Par conséquent, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, ses besoins d'accompagnement ont été sensiblement supérieurs à ceux d'un enfant non handicapé du même âge, dès le 1er janvier 2004, date à laquelle il a quitté l'hôpital pour regagner le domicile familial. Sur la base du rapport en ergothérapie du 2 mars 2022 produit par le requérant, document qui n'est pas critiqué en défense et dont le contenu n'est pas démenti par les autres pièces du dossier, ce besoin quotidien d'assistance par tierce personne peut être évalué à 15 heures par jour.

8. Le préjudice pour assistance par tierce personne s'étend durant la période du 1er janvier 2004 à la date du présent arrêt, soit 7 356 jours. Le besoin d'assistance, sur une base quotidienne de 15 heures, s'établit ainsi à 110 340 heures. Toutefois, il y a lieu, pour établir le nombre d'heures à domicile ouvrant droit à réparation au titre de l'assistance par tierce personne, de soustraire de la période d'indemnisation, les périodes au cours desquelles le requérant était scolarisé en école maternelle, de septembre 2005 à juin 2009, à raison de 15 heures hebdomadaires, puis en classe pour l'inclusion scolaire (CLIS), pour la même quotité, soit 3 465 heures, avant d'être pris en charge en institut médicoéducatif, à raison de 35 heures hebdomadaires, soit 14 490 autres heures. Il y a également lieu de retrancher les périodes de prise en charge pour orthophonie et de prise en charge par le centre médicopsychologique (CMP) de Cognin, soit 1 386 heures. Le nombre de 90 999 heures à domicile ainsi obtenu doit enfin être majoré, sur la base de 412 jours annuels pour une année de 365 jours, afin de tenir compte des congés annuels et des jours fériés, ce qui conduit à 102 717 heures à domicile ouvrant droit à réparation au titre de l'assistance par tierce personne. Le préjudice peut être suffisamment indemnisé sur la base d'un montant horaire moyen de 15 euros, tenant compte des charges sociales et cotisations dues par l'employeur et d'une rémunération augmentée pour travail dominical. Par suite, le montant total de l'indemnité qui devrait être versée par le centre hospitalier s'élève à 1 540 755 euros (102 717 heures x 15 euros) avant application du taux de perte de chance de 70 %, soit 1 078 529 euros après application de ce taux.

9. Il est vrai que entre janvier 2004 et octobre 2022, a été perçue par M. et Mme C..., pour le compte de leur fils A..., l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé prévue à l'article L. 541-1 du code de la sécurité sociale destinée à compenser les frais de toute nature liés au handicap, qui peut faire l'objet d'un complément lorsque ces frais sont particulièrement élevés ou que l'état de l'enfant nécessite l'assistance fréquente d'une tierce personne, et dont aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit la récupération en cas de retour de son bénéficiaire à meilleure fortune. De même, d'octobre 2010 à décembre 2012, a été perçue l'allocation journalière de présence parentale prévue à l'article L. 544-1 du même code qui est versée au bénéfice de la personne qui assume la charge d'un enfant atteint d'une maladie, d'un handicap ou victime d'un accident d'une particulière gravité rendant indispensables une présence soutenue et des soins contraignants. Les montants totaux respectifs de ces allocations, intégrant ce qui a été versé pour le frère jumeau du requérant, n'ont pas dépassé 115 071,57 euros et 27 427,43 euros. M. A... C... a quant à lui perçu la prestation de compensation du handicap, d'un montant mensuel de 548,10 euros, soit une somme supplémentaire de 7 673,40 euros jusqu'à la date du présent arrêt. Toutefois, l'addition de ces prestations et de l'indemnité de 1 078 529 euros calculée après application du taux de chance de 70 %, n'excède pas les dépenses nécessaires aux besoins d'aide par tierce personne, évaluées à 1 540 755 euros ainsi qu'il a été dit plus haut. Par conséquent, il n'y a pas lieu de déduire ces prestations.

10. Il découle de ce qui précède que l'indemnité totale due par le centre hospitalier au titre de l'assistance par tierce personne du 2 janvier 2004 au 20 février 2024, date du présent arrêt, s'élève à 1 078 529 euros.

11. Pour le futur, postérieurement à la date du présent arrêt, lorsque le juge n'est pas en mesure, comme en l'espèce, de déterminer, au moment où il se prononce, si la victime handicapée sera placée dans une institution spécialisée ou hébergée au domicile de sa famille, il lui appartient de lui accorder une rente trimestrielle couvrant les frais de son maintien au domicile familial, en précisant le mode de calcul de cette rente, dont le montant doit dépendre du temps passé au domicile familial. Le requérant est ainsi en droit de percevoir une rente annuelle versée trimestriellement, à la charge du centre hospitalier Métropole Savoie. Cette rente peut être évaluée sur la base d'un besoin d'assistance de 15 heures par jour, durant toute l'année, en retenant 412 jours annuels, comme indiqué aux points 8 et 9, soit à hauteur de 6 180 heures annuelles, 515 heures en moyenne mensuelle, avec un taux horaire initial d'un montant qu'il y a lieu de fixer à 17 euros, qui sera revalorisé annuellement par application de l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale. Le temps de présence du requérant passé hors du domicile, qui doit être soustrait de la base de calcul, sera précisé sur justificatifs fournis par ses parents et également proratisé en retenant une année de 412 jours. Sera appliqué le taux de perte de chance de 70 %. Il sera ensuite tenu compte des diverses aides ou allocations perçues destinées à couvrir les mêmes frais que ceux couverts par l'aide pour tierce personne, dans les conditions rappelées au point 6 et comme calculé au point 9.

Quant à l'incidence professionnelle et la perte de gains professionnels :

12. Lorsque la victime se trouve, du fait d'un accident corporel survenu dans son jeune âge, privée de toute possibilité d'exercer un jour une activité professionnelle, la seule circonstance qu'il soit impossible de déterminer le parcours professionnel qu'elle aurait suivi ne fait pas obstacle à ce que soit réparé le préjudice, qui doit être regardé comme présentant un caractère certain, résultant pour elle de la perte des revenus qu'une activité professionnelle lui aurait procurés et de la pension de retraite consécutive. Il y a lieu de réparer ce préjudice par l'octroi à la victime, à compter de sa majorité et sa vie durant, d'une rente fixée sur la base du salaire médian net mensuel de l'année de sa majorité et revalorisée par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale. Doivent être déduites de cette rente les sommes éventuellement perçues par la victime au titre de l'allocation aux adultes handicapés.

13. Il résulte de l'instruction que les séquelles du requérant, résultant de sa prise en charge hospitalière fautive de novembre 2003, le privent de la possibilité, ainsi qu'il a été dit précédemment, de suivre un cursus de formation normal et de celle d'envisager une activité professionnelle, même en milieu protégé. Le salaire mensuel médian net s'établissait en 2020, année de la majorité de M. A... C..., à 2 000 euros.

14. Pour la période s'étendant du 21 décembre 2020, date à laquelle M. A... C... a atteint l'âge de 18 ans, au 20 février 2024, date du présent arrêt, le préjudice, calculé en nombre de mois, s'élève à une somme égale à 38 fois le montant de 2 000 euros, soit 76 000 euros, somme à laquelle sera appliquée le taux de perte de chance de 70 %, ce qui procure 53 200 euros. Pareillement à ce qui est exposé au point suivant, il y a lieu de déduire de cette somme le montant de l'allocation aux adultes handicapés perçu par M. A... C... depuis le mois de janvier 2023, soit durant 14 mois, en tant que le versement de cette allocation, sur la base d'un montant mensuel d'allocation de 956,65 euros, conduit à un dépassement de 356,65 euros du salaire médian, soit une somme de 4 993 euros (356,65 euros x 14 mois). L'indemnité à verser pour cette période s'élève ainsi à 48 207 euros (53 200 euros - 4 993 euros).

15. Pour la période postérieure au présent arrêt, il y a lieu d'allouer au requérant, en réparation de sa perte de revenus professionnels et de la perte consécutive de droits à pension, incluant la part patrimoniale de son préjudice scolaire, une rente dont le montant sera calculé sur la base du salaire médian net de 2020, soit 6 000 euros par trimestre, et revalorisé chaque année par application du coefficient de revalorisation fixé en application de l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale depuis l'année 2020. A ce montant de rente sera appliqué le taux de perte de chance de 70 %. En application du même principe exposé au point 6, il y a lieu de déduire de cette somme le montant de l'allocation aux adultes handicapés, que M. A... C... perçoit, sans limitation de durée, depuis janvier 2023, en tant que le versement de cette allocation conduit à un dépassement du salaire médian de 2 000 euros également revalorisé par application du coefficient prévu par l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale.

Quant au préjudice universitaire et de formation :

16. Il résulte de l'instruction que les troubles cognitifs et neurologiques en lien avec la faute commise par le centre hospitalier sont à l'origine de très sévères difficultés d'apprentissage pour A... C..., qui, atteint d'une déficience intellectuelle moyenne, a suivi une scolarité erratique, majoritairement en dehors du cadre classique, ne sait pas lire ni écrire, n'a obtenu aucun diplôme, et qui, âgé de plus de 18 ans à la date de consolidation du 14 avril 2021, ne peut espérer suivre aucun cursus universitaire ni aucune autre formation. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation des indemnités dues au titre du préjudice universitaire et de formation en portant la somme de 20 000 euros allouée par les premiers juges avant application du taux de perte de chance, à 30 000 euros, soit une somme de 21 000 euros après application du taux de perte de chance.

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :

Quant au déficit fonctionnel temporaire :

17. Il résulte de l'instruction que la faute imputable à l'hôpital de Chambéry a causé à M. A... C... un déficit fonctionnel temporaire, total durant ses hospitalisations du 23 novembre 2003 et du 29 novembre 2003 au 1er janvier 2004, à 80 % du 2 janvier au 2 août 2004, à 60 % du 3 août au 1er novembre 2013, à 50 % du 2 novembre 2013 au 14 avril 2021, date de consolidation de son état de santé. Il sera fait une juste appréciation de ce poste de préjudice en la ramenant, sur la base d'un taux journalier de 16 euros, qu'il y a lieu de retenir à défaut de considérations particulières justifiant d'en augmenter le montant, à la somme de 57 496 euros, soit, après application du taux de perte de chance de 70 %, une somme de 40 247,20 euros.

Quant aux souffrances endurées :

18. L'expert a situé à 4 sur une échelle de 1 à 7 les souffrances physiques et neuropsychologiques endurées par M. A... C... durant 18 années. Les premiers juges n'ont pas fait une appréciation insuffisante de l'indemnité due au titre de ce poste de préjudice en en fixant le montant à 12 000 euros, soit 8 400 euros après application du taux de perte de chance de 70 %.

Quant au préjudice esthétique :

19. L'indemnité de 1 500 euros accordée par les premiers juges en réparation du préjudice esthétique, temporaire et permanent, de M. A... C..., soit 1 050 euros après application du taux de perte de chance de 70 %, est également d'un montant suffisant, le rapport d'expertise ayant situé ce préjudice à 1 sur une échelle de 1 à 7.

Quant au déficit fonctionnel permanent :

20. Il ressort du rapport d'expertise du 27 mai 2021 que M. A... C... reste atteint d'un déficit fonctionnel permanent imputable à la faute commise par le centre hospitalier de Chambéry, évalué à 60 % pour des troubles cognitifs, de la mémoire, de la concentration, de la compréhension et du repérage spatio-temporel et à 5 % pour un déficit moteur partiel du membre supérieur gauche. Compte tenu de l'âge du requérant à la date de consolidation de son état de santé, ce chef de préjudice pourra être réparé par l'attribution d'une indemnité de 280 000 euros, soit 196 000 euros après l'application du taux de perte de chance de 70 %.

Quant au préjudice d'agrément :

21. Le requérant ne justifie pas d'un préjudice d'agrément distinct des troubles de toute nature dans les conditions d'existence réparés par l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent.

Quant aux préjudices sexuel et d'établissement :

22. Il résulte de l'instruction que l'état de santé du requérant, qui ne connaît pas de préjudice sexuel, fait obstacle à ce qu'il puisse réaliser un projet de vie familiale. Les préjudices qui en résultent seront justement indemnisés par l'attribution d'une indemnité de 40 000 euros, soit 28 000 euros après l'application du taux de perte de chance de 70 %.

23. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a limité le montant de l'indemnisation de ses préjudices, la somme de 933 205 euros allouée par le tribunal administratif de Grenoble à M. A... C... devant être portée à 1 425 533,20 euros, outre les rentes prévues aux points 12 et 16 du présent arrêt. Cette somme de 1 425 533,20 euros sera assortie d'intérêts au taux légal à compter du 27 février 2018, date de notification de la demande indemnitaire de première instance.

Sur les droits de la CPAM du Puy-de-Dôme :

24. La caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme sollicitant le même remboursement de ses débours qu'en première instance, et le présent arrêt confirmant le taux de perte de chance de 70 %, la somme de 226 965,09 euros, portant intérêts au taux légal à compter du 27 août 2021, accordée par les premiers juges est maintenue. S'y ajoutera le remboursement d'éventuels débours exposés par la caisse entre le jugement du 9 novembre 2021 et la date du présent arrêt, en leur appliquant le taux de perte de chance de 70 %. Pour le futur, les frais médicaux, pharmaceutiques de kinésithérapie et de placement en institut médicoéducatif, devront, comme il a également été jugé par le tribunal, être remboursés par le centre hospitalier Métropole Savoie au fur et à mesure des demandes de la caisse, sur justificatifs produits par cette dernière, et en leur appliquant le taux de perte de chance de 70 %. Enfin, les sommes allouées à la caisse n'étant pas majorées en cause d'appel, il n'y a pas lieu d'actualiser le montant de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et que le tribunal a fixé à 1 098 euros.

Sur les frais liés au litige :

25. En application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de maintenir à la charge définitive du centre hospitalier Métropole Savoie les frais des deux expertises de 2017 et 2021, taxés et liquidés pour les montants respectifs de 700 euros et 2 080 euros.

26. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier Métropole Savoie, au profit du requérant, une somme de 1 500 euros, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu de mettre à la charge du centre hospitalier Métropole Savoie la somme demandée à ce titre par la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme.

DECIDE :

Article 1er : La somme de 933 205 euros que le centre hospitalier Métropole Savoie a été condamné à verser à M. A... C... par l'article 1er du jugement n° 1807887 du 9 novembre 2021 du tribunal administratif de Grenoble est portée à 1 425 533,20 euros. Cette somme sera assortie d'intérêts au taux légal à compter du 27 février 2018.

Article 2 : Le centre hospitalier Métropole Savoie versera à M. A... C..., au titre de ses frais futurs d'assistance par tierce personne, la rente calculée comme indiqué au point 11 du présent arrêt.

Article 3 : Le centre hospitalier Métropole Savoie versera à M. A... C..., en réparation de sa perte de revenus professionnels et de la perte consécutive de ses droits à pension, la rente calculée comme indiqué au point 15 du présent arrêt.

Article 4 : Le jugement n° 1807887 du 9 novembre 2021 du tribunal administratif de Grenoble est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : Le centre hospitalier Métropole Savoie versera à M. A... C... la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C... et à M. A... C..., au centre hospitalier métropole Savoie, à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme, à la caisse nationale militaire de sécurité sociale, à Adrea mutuelle professions indépendantes et au pôle national RCT Travailleurs Indépendants.

Copie en sera adressée au professeur B... et au docteur E..., experts.

Délibéré après l'audience du 29 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

M. Gros, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 février 2024.

Le rapporteur,

B. Gros

Le président,

F. Pourny

La greffière,

F. Abdillah

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY00014


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY00014
Date de la décision : 20/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Bernard GROS
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : FTN

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-20;22ly00014 ?
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