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20/02/2024 | FRANCE | N°22LY00840

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 20 février 2024, 22LY00840


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble, à titre principal, d'ordonner une expertise médicale afin d'évaluer les préjudices nés de l'accident dont il a été victime le 5 août 2017 et de condamner le département de la Drôme au versement d'une allocation provisionnelle de 5 000 euros, à titre subsidiaire, de condamner le département de la Drôme à lui verser une indemnité de 120 000 euros.



Par un jugement n° 2000726 du 22

février 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.





Procédure devant la cou...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble, à titre principal, d'ordonner une expertise médicale afin d'évaluer les préjudices nés de l'accident dont il a été victime le 5 août 2017 et de condamner le département de la Drôme au versement d'une allocation provisionnelle de 5 000 euros, à titre subsidiaire, de condamner le département de la Drôme à lui verser une indemnité de 120 000 euros.

Par un jugement n° 2000726 du 22 février 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement le 22 mars 2022 et le 18 juillet 2023, M. A... B..., représenté par Me Reynaud, demande à la cour :

1°) à titre principal, d'annuler ce jugement, d'ordonner une expertise afin de déterminer l'étendue de ses préjudices résultant de son accident du 5 août 2017 et de condamner le département de la Drôme à lui verser une allocation provisionnelle de 5 000 euros ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner le département de la Drôme à lui verser une indemnité de 120 000 euros en réparation de son préjudice corporel ;

3°) de mettre à la charge du département de la Drôme la somme de de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. B... soutient que :

- la matérialité de l'accident et le lien que ce dernier entretient avec ses séquelles sont établies ;

- aucune inattention ou imprudence ne peut lui être reprochée car, motard aguerri, il a respecté la limitation de vitesse à 50 km/h, les conditions de circulation étaient optimales et son véhicule en parfait état de marche ;

- l'entretien normal de la voie n'est pas démontré car, au moment de l'accident du 5 août 2017 et au moins depuis l'heure de 6H15 le même jour, la signalisation, qui, selon le département, aurait comporté les panneaux AK22, indiquant la présence de gravillons, et B14, limitant la vitesse à 50 km/h, signalisation déjà insuffisante, était réduite au seul panneau B14, lequel ne permettait pas d'anticiper un risque de dérapage sur gravillons ;

- le département ne peut pas sérieusement se prévaloir de l'impossibilité de prévoir la disparition du panneau AK22, non lesté, ni, en outre, alléguer que cette disparition serait de son fait, lui qui, comme sa compagne passagère, a été sérieusement blessé ;

- le délaissement de gravillons sur la chaussée, sur toute sa largeur, durant un entier week-end, sans vérification du maintien de la signalisation, est également fautif ;

- l'expertise devra se prononcer sur ses préjudices avant et après consolidation et son état de santé justifie tant l'allocation de la provision que l'octroi de l'indemnité réclamée.

Par un mémoire en défense enregistré le 23 mai 2022, le département de la Drôme, représenté par Me Phelip, conclut au rejet de la requête, à titre subsidiaire à une minoration des sommes réclamées, et à la condamnation du requérant à lui verser une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le département fait valoir que :

- aucun défaut d'entretien normal de la voie ne peut lui être imputé car était présente, dès la veille de l'accident, une signalisation suffisante, même non lestée, et répondant au principe d'adaptation posé par l'instruction sur la sécurité routière, invitant les usagers à réduire leur vitesse à 50 km/h et les avertissant du risque constitué par les gravillons, sur la portion de la route départementale en cause et sur toutes les routes lui donnant accès ;

- la présence de gravillons n'est pas fautive car elle fait partie du processus d'entretien et de rénovation du revêtement bitumineux ;

- la disparition, au moment de l'accident, du panneau " gravillons " n'est pas de nature à engager sa responsabilité, car la collectivité, qui dispose d'un délai raisonnable pour agir, ne peut pas remédier à tout instant aux difficultés de circulation soudainement apparues, en particulier replacer une signalisation qui pourrait avoir été dérobée et de la disparition de laquelle elle n'a pas été avertie ;

- en revanche l'accident trouve son origine dans des fautes de conduite de sa motocyclette par le requérant, qui, avant de s'y engager, avait repéré la portion de chaussée gravillonnée et n'a pas adapté en conséquence la vitesse de son engin récemment acquis et à l'état inconnu ; ce comportement est de nature à exonérer le département de toute responsabilité ;

- si la responsabilité de la collectivité est retenue, une mesure d'expertise s'impose afin de déterminer les conséquences médicales strictement en lien avec le sinistre ;

- les soins prodigués au requérant et ses séquelles ne justifient pas le versement d'une indemnité de 120 000 euros ni l'allocation d'une provision de 5 000 euros.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu

- le code de la route ;

- l'instruction interministérielle sur la signalisation routière du 22 octobre 1963, modifiée ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont entendus au cours de l'audience publique du 29 janvier 2024 :

- le rapport de M. Gros, premier conseiller,

- et les conclusions de Mme Cécile Cottier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Circulant le 5 août 2017 à motocyclette sur la route départementale n° 76, sur le territoire de la commune drômoise de Bouvante, M. A... B..., né le 18 février 1987, a été victime d'une chute, son engin ayant dérapé sur des gravillons. Cet accident lui a occasionné une fracture complexe de l'astragale droite et diverses dermabrasions et plaies. Il relève appel du jugement n° 2000726 du 22 février 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la désignation d'un expert pour évaluer ses préjudices en lien avec son accident et à la condamnation du département de la Drôme à lui verser une allocation provisionnelle de 5 000 euros ou, subsidiairement, tendant à la condamnation de cette collectivité à lui verser une indemnité de 120 000 euros.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Il appartient à l'usager d'un ouvrage public qui demande réparation d'un préjudice qu'il estime imputable à cet ouvrage de rapporter la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre le préjudice invoqué et l'ouvrage. Le maître de l'ouvrage ne peut être exonéré de l'obligation d'indemniser la victime qu'en rapportant, à son tour, la preuve soit de l'entretien normal de l'ouvrage, soit que le dommage est imputable à une faute de la victime ou à un cas de force majeure.

3. Il résulte de l'instruction que les services du département de la Drôme ont, début août 2017, réalisé des travaux de réfection du revêtement de parties de la chaussée de la route départementale n° 76, notamment au lieudit Lente, sur le territoire de la commune de Bouvante, en particulier au point de repère (PR) 26+300, lieu de l'accident de M. B..., survenu le 5 août 2017 vers 16h15. Ces[0][0] travaux consistaient en l'épandage de liant bitumineux et de gravillons, la chaussée ne pouvant être balayée, pour éliminer les gravillons, qu'au terme d'un délai de séchage de 72 heures. Le vendredi 4 août 2017, à l'issue de la phase d'épandage, et dans l'attente du balayage, des panneaux provisoires de signalisation B14, qui limitent la vitesse des véhicules à 50 km/h, et AK22, indiquant " projection de gravillons ", ont été posés, entre le point de repère 25+000 et le point de repère 27+000, à chaque kilomètre. Ainsi, le chantier comportait la signalisation d'approche prévue par l'article 123 de l'instruction interministérielle sur la signalisation routière du 22 octobre 1963.

4. Toutefois, le 5 août 2017, si la signalisation d'approche était encore en place, à 6h45 comme en témoigne une déclaration d'un agent du service concerné aux services de gendarmerie, le panneau de danger AK22 ne l'était plus au moment de l'accident. Le seul panneau B14 de limitation de la vitesse à 50 km/h, qui n'était d'ailleurs pas précédé d'un panneau de limitation à 70 km/h, ne permettait pas aux usagers de la route départementale, sur laquelle était alors normalement autorisée une vitesse de 90 km/h, de se prémunir des risques que génère la présence de gravillons tant du fait de leur projection que de la diminution du coefficient d'adhérence de la chaussée. En outre, aucune signalisation de position, tels cônes ou piquets, prévue également par le même article 123 de l'instruction interministérielle, et qui, selon le B de l'article 124 de cette instruction, " constitue la règle générale ", n'avait été installée aux abords de la portion de chaussée gravillonnée. Par suite, le département de la Drôme, qui n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, d'une signalisation normale des travaux effectués sur la route départementale n° 76, doit être déclaré responsable des conséquences dommageables de l'accident de M. B.... Ne se prévalant d'aucun cas de force majeure, le département ne saurait s'exonérer de sa responsabilité en émettant l'hypothèse d'un vol, inconnu de lui, du panneau AK22, ni par l'invocation d'un dépassement par M. B... de la limitation provisoire de vitesse à 50 km/h, infraction qu'aucune pièce du dossier n'établit. Il n'y a pas lieu non plus d'atténuer la responsabilité du département de la Drôme, même si le requérant est un pilote aguerri, en raison des circonstances de l'accident, survenu à la sortie d'une courbe et en l'absence d'erreur de conduite de M. B....

5. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Sur les préjudices et les conclusions tendant au versement d'une provision :

6. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. (...) " Par ailleurs, pour regarder comme non sérieusement contestable l'obligation du créancier qui l'a saisi d'une demande de provision, le juge doit s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant.

7. L'état du dossier ne permet pas à la cour de se prononcer sur l'étendue des préjudices, temporaires et permanents, invoqués par M. B.... Dès lors, il y a lieu, comme il le demande, d'ordonner une expertise aux fins et dans les conditions précisées dans le dispositif du présent arrêt.

8. Dans l'attente de cette expertise, M. B... sollicite le versement d'une provision de 5 000 euros. Comme il résulte de l'instruction que M. B... a notamment été victime d'une fracture de l'astragale à la suite de laquelle il a subi plusieurs interventions chirurgicales accompagnées d'arrêts de travail, l'obligation d'indemnisation incombant au département de la Drôme est établie avec un degré suffisant de certitude à hauteur d'un montant qui n'est pas inférieur au montant de 5 000 euros demandé. Par suite, il y a lieu de faire droit aux conclusions de M. B... tendant au versement d'une provision de 5 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2000726 du 22 février 2022 du tribunal administratif de Grenoble est annulé en ce qu'il a rejeté la requête de M. B....

Article 2 : Le département de la Drôme est déclaré responsable des conséquences dommageables de l'accident de M. B... du 5 août 2017.

Article 3 : Il sera procédé à une expertise, au contradictoire de l'ensemble des parties présentes à l'instance, confiée à un médecin spécialiste en orthopédie, avec mission pour l'expert de :

- se faire communiquer tous documents relatifs à l'état de santé de M. B..., convoquer et entendre les parties et tous sachants ;

- décrire l'état de santé de M. B..., antérieur et postérieur à l'accident ;

- indiquer à quelle date l'état de M. B... peut être considéré comme consolidé ; préciser s'il subsiste une incapacité permanente partielle et, dans l'affirmative, en fixer le taux, en distinguant la part imputable à l'accident de celle ayant pour origine toute autre cause ou pathologie ; dans le cas où cet état ne serait pas encore consolidé, indiquer si une incapacité permanente partielle est prévisible et en évaluer l'importance ;

- dire si l'état de M. B... est susceptible de modification en amélioration ou en aggravation ; dans l'affirmative, fournir toutes précisions utiles sur cette évolution, sur son degré de probabilité et dans le cas où un nouvel examen serait nécessaire, mentionner dans quel délai ;

- déterminer les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux, temporaires et permanents de M. B..., selon la nomenclature Dintilhac.

Article 4 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il prendra connaissance des motifs du présent arrêt et accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la cour. L'expert communiquera aux parties et au tribunal un pré-rapport, puis déposera son rapport au greffe de la cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par le président de la cour dans sa décision le désignant.

Article 5 : Le département de la Drôme versera à M. B... une provision de 5 000 euros à valoir sur l'indemnisation des préjudices qu'il a subis du fait de l'accident dont il a été victime.

Article 6 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent jugement, sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au département de la Drôme et à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 29 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

M. Gros, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 février 2024.

Le rapporteur,

B. Gros

Le président,

F. Pourny

La greffière,

F. Abdillah

La République mande et ordonne au préfet de la Drôme en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY00840


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY00840
Date de la décision : 20/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-02-02-03 Travaux publics. - Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics. - Régime de la responsabilité. - Qualité de tiers.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Bernard GROS
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : SELURL PHELIP

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-20;22ly00840 ?
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