Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société civile immobilière (SCI) Mornans a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 27 décembre 2018 par lequel le préfet de la Drôme a refusé de lui délivrer un permis de construire modificatif en vue du déplacement et de l'agrandissement du local technique d'une piscine, de l'extension de cette piscine, de l'agrandissement d'un garage et de la suppression d'une serre potagère sur un terrain lui appartenant situé sur le territoire de la commune de Mornans, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux, et d'enjoindre au préfet de la Drôme, à titre principal, de lui délivrer le permis de construire sollicité dans un délai de deux mois ou, à titre subsidiaire, d'instruire à nouveau la demande de permis de construire modificatif dans le même délai.
Par un jugement n° 1903049 du 9 mars 2021, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 27 décembre 2018 du préfet de la Drôme et a enjoint à ce dernier de prendre une nouvelle décision sur la demande de permis de construire modificatif, dans un délai de deux mois.
Par un arrêt n° 21LY01460 du 14 juin 2022, la cour administrative d'appel de Lyon, saisie d'un appel de la société Mornans contre ce jugement du 9 mars 2021 en tant qu'il ne faisait pas droit à ses conclusions à fin d'injonction présentées à titre principal et tendant à la délivrance du permis de construire litigieux, a annulé ce jugement en tant qu'il enjoignait au préfet de la Drôme de prendre une nouvelle décision dans un délai de deux mois et a enjoint au préfet de délivrer le permis de construire sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt.
Par une décision n° 466725 du 12 juin 2023, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 14 juin 2022 et lui a renvoyé l'affaire.
Procédure devant la cour
Par des mémoires enregistrés les 21 juillet 2023 et 29 février 2024, la SCI Mornans, représentée par la Selarl Guitton et Dadon, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 9 mars 2021 en tant qu'il n'a pas enjoint au préfet de la Drôme de lui délivrer un permis de construire modificatif ;
2°) d'enjoindre au préfet de la Drôme de lui délivrer le permis de construire sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué doit être confirmé en ce qu'il a annulé l'arrêté de refus de permis de construire du 27 décembre 2018, qui est devenu définitif sur ce point, et la substitution de motifs invoquée par le préfet ne peut donc pas plus être retenue ; il doit en revanche être réformé en ce qu'il n'a pas enjoint au préfet de délivrer l'autorisation sollicitée ;
- le jugement est entaché d'irrégularité en ce que le tribunal a méconnu son office en fondant en partie sa décision sur un motif qui n'est pas tiré de l'argumentation des parties et en ce que le principe du contradictoire a été méconnu s'agissant du motif identifié par le tribunal pour refuser de faire droit à la demande d'injonction et qui n'a pas pu être discuté par les parties ;
- c'est à tort que les premiers juges ont refusé de faire droit à sa demande d'injonction tendant à la délivrance du permis modificatif sollicité compte tenu de ce que l'ensemble des annexes projetées n'aurait pas été de taille limitée au regard de la construction existante dès lors que le caractère limité de la taille d'une annexe au sens des dispositions de l'article L. 122-5 du code de l'urbanisme doit s'apprécier pour chaque annexe prise isolément et en prenant en compte l'ensemble des annexes existantes et projetées.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 février 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête de la SCI Mornans.
Il soutient que :
- le critère de la taille limitée de chaque annexe n'est pas un critère suffisant pour juger de la taille limitée de l'ensemble des annexes par rapport à la construction principale ;
- il n'y a pas lieu de distinguer entre les annexes créant de la surface de plancher de celles constitutives d'emprise au sol ; la société requérante ne peut se prévaloir des dispositions des plans locaux d'urbanisme des communes voisines concernant les piscines ;
- la société requérante n'apporte aucun élément quant à la démolition du four à pain et le tribunal a, par un calcul qui n'est pas entaché d'inexactitude, considéré que la taille de l'ensemble des annexes était de 84,6 m² ;
- la nouvelle implantation de ces annexes (garage et local piscine) par rapport à la construction principale, telle que prévue par le permis de construire modificatif, contribue à la dispersion des constructions en ce qu'elles sont plus éloignées du bâtiment principal par rapport au permis de construire initial, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 122-5 du code de l'urbanisme.
Par un mémoire en intervention enregistré le 28 février 2024, M. C... B..., représenté par la SCP CGCB et Associés, demande à la cour d'admettre son intervention volontaire, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 9 mars 2021 en tant qu'il n'a pas enjoint au préfet de la Drôme de délivrer le permis de construire modificatif sollicité et d'enjoindre au préfet de délivrer le permis de construire sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir.
Il soutient que :
- son intervention est recevable au regard des dispositions de l'article R. 632-1 du code de justice administrative dès lors qu'il s'est vu confier une mission de maîtrise d'œuvre pour la réhabilitation et la réalisation des annexes et qu'il a intérêt à ce que le permis de construire modificatif soit délivré ;
- les annexes telles qu'envisagées dans la demande de permis de construire modificatif de 2018 ont un caractère limité au sens des dispositions de l'article L. 122-5 du code de l'urbanisme et rien ne s'opposait à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Drôme de délivrer le permis de construire modificatif sollicité.
Par une ordonnance du 1er mars 2024 la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 18 mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A..., premièer conseillère,
- les conclusions de MmeMauclair, rapporteure publique,
- et les observations de Me Dadon substituant Me Guitton pour la SCI Mornans et de Me Lopes substituant Me Demaret, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. La SCI Mornans, propriétaire de plusieurs parcelles cadastrées section F... et section E... et situées au lieu-dit " Les Serres " sur le territoire de la commune de Mornans, s'est vu délivrer par un arrêté du préfet de la Drôme du 10 avril 2015 un permis de construire portant sur l'extension et la construction d'un abri pour voitures, d'un garage et d'une piscine, pour une surface de plancher créée de 24 m². Elle a demandé la délivrance d'un permis de construire modificatif portant sur le déplacement et l'extension du local piscine, le déplacement et l'augmentation de la surface du garage, la suppression de la serre potagère et l'extension de la piscine. Par un arrêté du 27 décembre 2018, le préfet de la Drôme a toutefois refusé le permis modificatif sollicité, aux motifs que le projet de modification a pour effet de créer une annexe de 64,60 m² d'emprise au sol, que le terrain support est situé en discontinuité de l'urbanisation existante et, qu'en application de l'article L. 122-5 du code de l'urbanisme, la construction d'annexes aux habitations existantes n'est admise qu'à condition d'être de taille limitée. Par un jugement n° 1903049 du 9 mars 2021, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté, ainsi que le rejet du recours gracieux de la société Mornans. Il s'est par ailleurs borné à enjoindre au préfet d'instruire à nouveau cette demande dans un délai de deux mois, estimant qu'il n'y avait pas lieu de faire droit à la demande d'injonction de délivrance du permis compte tenu de l'existence d'un motif, non relevé dans l'arrêté annulé mais qui s'opposait à la délivrance de ce permis. La SCI Mornans a fait appel de ce jugement en tant seulement qu'il n'a pas fait droit à sa demande tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Drôme de lui délivrer ce permis de construire modificatif. Par un arrêt n° 21LY01460 du 14 juin 2022, la cour administrative d'appel de Lyon, saisie d'un appel formé par la société Mornans, a annulé ce jugement en tant qu'il enjoignait seulement au préfet de réexaminer la demande et a enjoint au préfet de la Drôme de délivrer le permis de construire modificatif sollicité dans un délai de deux mois. Par une décision du 12 juin 2023, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi introduit par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, a annulé cet arrêt de la cour du 4 juin 2022 et a renvoyé l'affaire devant la cour.
Sur l'intervention de M. B... :
2. M. B... s'est vu confier une mission de maîtrise d'œuvre pour la réhabilitation et la réalisation des annexes et a été condamné par un jugement du 4 juillet 2023 du tribunal judiciaire de Valence à verser à la SCI Mornans la somme de 53 088,72 euros en raison d'un manquement à son obligation de conseil et du non-respect des dispositions d'urbanisme applicables. Il justifie dans ces circonstances d'un intérêt suffisant à intervenir au soutien de la demande de la SCI Mornans. Son intervention doit, dès lors, être admise.
Sur le bien-fondé de la demande :
3. Aux termes des dispositions de l'article L. 122-5 du code de l'urbanisme, dans leur rédaction issue de la loi du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne, applicable dans les zones de montagne telles que définies à l'article L. 122-1 de ce code : " L'urbanisation est réalisée en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants, sous réserve de l'adaptation, du changement de destination, de la réfection ou de l'extension limitée des constructions existantes, ainsi que de la construction d'annexes, de taille limitée, à ces constructions, et de la réalisation d'installations ou d'équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées. ".
4. Par cette disposition, qui prescrit que l'urbanisation en zone de montagne doit en principe être réalisée en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants, le législateur a entendu interdire, dans ces zones, toute construction isolée, sous réserve des dérogations qu'il a limitativement énumérées.
5. A cet égard, cet article prévoit trois exceptions qui sont, de première part, l'adaptation, le changement de destination, la réfection ou l'extension limitée des constructions existantes, de deuxième part, la réalisation d'installations ou d'équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées et, de dernière part, depuis la modification apportée par la loi du 28 décembre 2016, la construction d'annexes, de taille limitée, aux constructions existantes.
6. Au titre de cette dernière exception, peuvent être autorisées des constructions secondaires de taille limitée, détachées des constructions existantes, qui, eu égard à leur implantation par rapport aux constructions principales existantes et à leur ampleur elle-même limitée en proportion de ces dernières, peuvent être regardées comme constituant des annexes de taille limitée au sens des dispositions de l'article L. 122-5 du code de l'urbanisme.
7. En l'espèce, le terrain supporte une construction à usage d'habitation, dont la surface de plancher s'établit, compte tenu du permis de construire délivré le 10 avril 2015, à 258,10 m², et il ressort des pièces du dossier que ce dernier portait sur l'extension et la construction d'un abri voiture, d'un garage et d'une piscine de 8 x 4 mètres avec un local technique pour une surface de plancher créée de 24 m². La SCI a déposé le 11 août 2017 une première demande de permis modificatif afin de régulariser le déplacement du local technique, l'implantation et l'agrandissement du garage, initialement accolé à l'habitation, ainsi que la création d'une serre potagère de 20,46 m² accolée à ce garage. Un permis modificatif tacite est intervenu mais a été retiré par le préfet de la Drôme le 16 novembre 2017, et la légalité de ce retrait a été confirmée par un jugement n° 1802061 du 11 février 2020 du tribunal administratif de Grenoble et un arrêt (n° 20LY01288) du 14 juin 2022 de la cour administrative d'appel de Lyon. La SCI Mornans a de nouveau déposé une demande de permis modificatif, le 30 octobre 2018, portant sur l'extension de la construction à usage d'habitation existante pour la porter à 281,90 m² de surface hors œuvre, sur la suppression de la serre potagère et de l'abri de jardin de 5,40 m², l'agrandissement du bassin de la piscine extérieure non couverte dont la longueur est désormais de 9 mètres et dont l'emprise au sol de 32 m² est portée à 36 m², la modification de l'emplacement de l'abri de piscine et du local technique avec une augmentation d'une surface de 6 m² et la réalisation d'un garage situé à un emplacement différent et séparé de la construction principale pour une surface de plancher créée de 48 m². La surface de plancher respective de ces différentes annexes, qui sont séparées mais situées à une distance proche de la construction principale, est de taille limitée. La surface totale qu'elles créent, qui s'établit à 54 m², soit moins de 20% de la construction à usage d'habitation, est elle-même d'ampleur limitée en proportion de la construction existante, y compris, en tout état de cause, en y ajoutant l'emprise de la piscine, dont l'emprise au sol était de 32 m² et passera à 36 m². Dans ces conditions, le projet porte sur des annexes de taille limitée au sens des dispositions de l'article L. 122-5 du code de l'urbanisme.
8. Il suit de là, en l'absence de changement de circonstances de droit ou de fait et dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que la règlementation applicable ferait obstacle à la délivrance de l'autorisation demandée, que l'exécution du présent arrêt implique nécessairement que le préfet de la Drôme délivre à la SCI Mornans un permis de construire conformément à sa demande du 30 octobre 2018, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué qui n'est contesté qu'en tant qu'il porte sur l'injonction, que la SCI Mornans est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses conclusions à fin d'injonction et à en demander, dans cette mesure, l'annulation.
Sur les frais du litige :
10. En application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à la SCI Mornans d'une somme de 2 000 euros à ce titre.
D E C I D E :
Article 1er : L'intervention de M. B... est admise.
Article 2 : L'article 3 du jugement n° 1903049 du 9 mars 2021 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Drôme de délivrer le permis de construire que la SCI Mornans a sollicité le 30 octobre 2018, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à la SCI Mornans la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Mornans, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, au préfet de la Drôme et à M. C... B....
Copie en sera adressée à la commune de Mornans et au procureur de la République près du tribunal judiciaire de Valence.
Délibéré après l'audience du 21 mai 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Monique Mehl-Schouder, présidente,
Mme Christine Djebiri, première conseillère,
Mme Claire Burnichon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juin 2024.
La rapporteure,
C. A...
La présidente,
M. D...La greffière,
F. Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 23LY02044 2