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19/09/2024 | FRANCE | N°23LY01853

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 6ème chambre, 19 septembre 2024, 23LY01853


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



Mme H... E... épouse F..., M. G... F..., Mme B... D..., Mme C... F... et Mme A... F... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le groupement hospitalier Portes-de-Provence à leur verser les sommes respectives de 9 632 262 euros pour Mme H... F..., 90 000 euros pour M. G... F... et 50 000 euros chacune pour Mme B... D..., Mme C... F... et Mme A... F....

La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Puy-de-Dôme a présenté des conclusi

ons tendant à ce que le même centre hospitalier soit condamné à lui verser une somme de 714 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... E... épouse F..., M. G... F..., Mme B... D..., Mme C... F... et Mme A... F... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le groupement hospitalier Portes-de-Provence à leur verser les sommes respectives de 9 632 262 euros pour Mme H... F..., 90 000 euros pour M. G... F... et 50 000 euros chacune pour Mme B... D..., Mme C... F... et Mme A... F....

La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Puy-de-Dôme a présenté des conclusions tendant à ce que le même centre hospitalier soit condamné à lui verser une somme de 714 684,63 euros au titre de ses débours, outre l'indemnité forfaitaire de gestion.

Par un jugement n° 2004287 du 31 mars 2023, le tribunal administratif de Grenoble a condamné le groupement hospitalier Portes-de-Provence à verser les sommes respectives de :

- 1 439 263 euros à Mme H... F..., sous réserve de la déduction d'éventuelles aides au handicap, outre une rente trimestrielle viagère à terme échu d'un montant de 12 410 euros indexé par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, sous la même réserve, ainsi qu'une rente trimestrielle jusqu'à son soixante-dixième anniversaire à terme échu d'un montant de 1 857 euros indexé par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale ;

- 40 000 euros à M. G... F... ;

- 20 000 euros à Mme C... F... ;

- 20 000 euros à Mme A... F... ;

- 538 282 euros à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme, outre, d'une part, le remboursement sur justificatifs des débours éventuellement exposés du 8 avril 2022 au jour du jugement ainsi que des débours futurs et, d'autre part, l'indemnité forfaitaire de gestion.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 31 mai 2023, ensemble un mémoire ampliatif enregistré le 17 août 2023 et un mémoire complémentaire enregistré le 7 mai 2024, le groupement hospitalier Portes-de-Provence, représenté par le Cabinet Le Prado - Gilbert, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement n° 2004287 du 31 mars 2023 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) de réduire les sommes allouées à Mme F... au titre des frais d'adaptation du logement ;

3°) de réduire les sommes allouées à la CPAM du Puy-de-Dôme.

Le groupement hospitalier Portes-de-Provence soutient que :

- le jugement n'est pas motivé ;

- le lien entre la faute et la nécessité de construire un nouveau logement dans un autre département, non retenue par l'expert, n'est pas établi ;

- seul le surcout de loyer d'un logement adapté doit être pris en compte ;

- subsidiairement, la maison achetée, qui est particulièrement grande, excède les seuls besoins générés par les séquelles et la somme allouée par le tribunal, et a fortiori celle demandée à titre incident, qui ne peuvent en outre inclure les droits de mutation, sont dès lors excessives ;

- la somme allouée par le tribunal à la caisse excède le montant des débours que celle-ci indique avoir exposés, de telle sorte qu'elle est excessive et doit être réduite.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 avril 2024 et un mémoire complémentaire non communiqué enregistré le 16 mai 2024, Mme H... E... épouse F... et M. G... F..., représentés par la SCP SJ2A agissant par Me Jonquet, concluent :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à titre incident, à ce que les sommes qui ont été allouées à Mme F... au titre des frais d'adaptation du logement soient portées au montant de 1 042 066 euros ;

3°) à ce que la somme de 5 000 euros, à verser à Mme F..., soit mise à la charge du groupement hospitalier Portes-de-Provence sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Les époux F... soutiennent que :

- ils ont été contraints de déménager par les séquelles provoquées par la faute hospitalière et n'ont pu trouver à la location un logement adapté ;

- ils ont dû acheter pour trouver un logement dont le rez-de-chaussée est adapté, moyennant des travaux complémentaires limités ;

- les frais de notaire et d'agent immobilier doivent être retenus dans les frais d'adaptation du logement ;

- le changement de département est rendu nécessaire par les liens familiaux et la limitation de mobilité due aux séquelles.

Par un courrier enregistré le 22 juin 2023, les consorts F... ont désigné Mme H... F... comme représentante unique.

Par ordonnance du 14 mars 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 15 avril 2024 à 16h30. Par ordonnance du 9 avril 2024, la clôture d'instruction a été reportée au 16 mai 2024 à 16h30.

La caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme, régulièrement mise en cause, n'a pas produit.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stillmunkes, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- les observations de Me Demailly, représentant le groupement hospitalier Portes-de-Provence ;

- et les observations de Me Jonquet, représentant les consorts F....

Considérant ce qui suit :

1. Mme F..., née le 29 mai 1964, a consulté le 16 mai 2018 le groupement hospitalier Portes-de-Provence de Montélimar en raison de métrorragies prolongées. Elle a été opérée le 30 mai. Elle demeure atteinte de séquelles qu'elle impute à cette prise en charge. Par le jugement attaqué du 31 mars 2023, le tribunal administratif de Grenoble a en particulier condamné ce groupement hospitalier à lui verser une somme en capital de 1 439 263 euros, dont 700 000 euros au titre des frais de logement adapté. Le tribunal a également condamné le groupement hospitalier à verser une somme de 538 282 euros à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Puy-de-Dôme au titre des débours exposés jusqu'au 8 avril 2022. Le groupement hospitalier interjette appel du jugement en tant qu'il fixe le montant dû au titre des frais de logement adapté et en tant qu'il fixe les débours échus avant le 8 avril 2022 qui doivent être remboursés à la caisse. Mme F... demande, à titre incident, que les sommes qui lui ont été allouées au titre des frais de logement adapté soient portées à 1 042 066 euros.

Sur la régularité du jugement :

2. Contrairement à ce que soutient le groupement hospitalier Portes-de-Provence, le tribunal a régulièrement motivé le jugement.

Sur le fond :

3. Le dossier est en particulier éclairé par deux expertises ordonnées par le juge des référés du tribunal et achevées respectivement les 18 octobre 2019 et 13 mars 2022. Le tribunal correctionnel de Valence a par ailleurs diligenté une expertise collégiale, achevée le 18 décembre 2019.

4. Il résulte de l'instruction et notamment des deux expertises précitées ordonnées par le juge des référés du tribunal, ainsi que des faits constatés par l'arrêt correctionnel de la cour d'appel de Grenoble du 19 janvier 2022, que la patiente a été opérée sur une indication d'hystéroscopie avec un dispositif Novasure, susceptible de donner lieu à une éventuelle résection. Aucun dispositif Novasure n'a toutefois été mis en place. Une résection a été réalisée sans visibilité suffisante. Elle a été poursuivie en dépit d'une brutale chute de tension chez la patiente. Les artères et les veines de la paroi pelvienne droite ont été perforées et une intervention de reprise a dû être immédiatement réalisée par un autre praticien dans un contexte d'hémorragie massive. Si l'éventualité de perforations lors d'une intervention de résection est une complication connue, les graves perforations en cause en l'espèce sont imputables aux seules conditions défectueuses dans lesquelles l'intervention a été réalisée, le résecteur ayant été déclenché sans visibilité, en méconnaissance des indications formelles en la matière et sans aucune justification. Ces faits caractérisent une faute de nature à engager la responsabilité du groupement hospitalier, qui ne le conteste d'ailleurs pas. Le litige porté devant la cour concerne uniquement l'évaluation des chefs de préjudice qui ont été indiqués au point 1.

5. A la date de la première expertise, la consolidation était fixée au 5 novembre 2019 et la patiente demeurait atteinte d'un déficit fonctionnel permanent de 55 %. La seconde expertise a constaté une légère aggravation, en partie fonctionnelle et en partie due à un état dépressif, évaluée à un taux de déficit fonctionnel permanent porté à 58 %. La mobilité de Mme F... et son autonomie sont particulièrement réduites et elle subit des douleurs résiduelles importantes.

En ce qui concerne les frais d'adaptation du logement :

6. En premier lieu, s'il est vrai que les expertises n'évoquent pas ce chef de préjudice, il est toutefois cohérent avec l'état de Mme F... et notamment les atteintes majeures en matière d'autonomie et de mobilité dont elle a été victime.

7. En deuxième lieu, outre les dépenses d'aménagement du logement rendues nécessaires par le handicap de la victime directe, d'autres dépenses nées d'une décision d'achat ou de construction d'un logement sont, dès lors qu'une telle décision est imposée par le handicap et dans la mesure où ces dépenses visent à répondre à ses besoins, susceptibles d'être regardées comme étant en lien direct avec la faute de l'établissement de santé et comme devant, par suite, faire l'objet d'une indemnisation.

8. Il résulte de l'instruction que Mme F... demeurait dans la Drôme. Elle était retraitée et avait développé une activité d'élevage canin. Dans son mémoire enregistré devant le tribunal le 1er décembre 2022, elle a fait valoir l'obligation de quitter la maison qu'elle et son époux occupaient, qui a été vendue par sa fille qui en était propriétaire, ainsi que l'impossibilité de prendre à bail une maison adaptée à son handicap ou une maison dont le propriétaire accepterait l'aménagement spécial. Elle a exposé qu'elle et son époux envisageaient de partir dans le département des Alpes-Maritimes, où résident plusieurs membres de leurs familles, mais qu'ils n'avaient pu trouver à la location un logement adapté ou dont l'adaptation serait acceptée par le propriétaire. Elle a sollicité à ce titre une somme d'un million d'euros au titre du coût d'acquisition d'une maison. Il résulte enfin de l'instruction, et notamment de l'acte de vente du 7 décembre 2023 produit devant la cour, que M. et Mme F... ont acquis, pour la somme totale de 965 000 euros, dont 920 000 euros correspondant au seul bien immobilier hors meubles laissés par le vendeur, une villa d'habitation avec piscine, implantée sur un terrain de près de 3 000 m², comprenant, sur un rez-de-chaussée et un étage, cinq chambres, une salle à manger, un salon, un bureau, une salle d'eau et une salle de bains. Eu égard à son importance et à ses caractéristiques, cette maison ne peut être regardée comme correspondant de façon nécessaire et dans son intégralité aux besoins particuliers imposés par le handicap de Mme F.... Il sera fait dans les circonstances de l'espèce une juste appréciation de ces besoins en retenant que le coût d'acquisition d'une maison a été en l'espèce majoré d'un montant de 150 000 euros pour tenir compte des nécessités particulières tenant aux difficultés de mobilité de Mme F... et aux exigences particulières qui en découlent en matière de surface, de circulation et d'ergonomie. Par ailleurs, alors que la maison a été spécialement choisie en tant qu'elle répondait aux besoins spécifiques de Mme F..., il ne résulte pas de l'instruction que le bon de commande d'un montant total de 22 725 euros également présenté, qui correspond à l'installation de nouveaux meubles de cuisine, dont aucune composante n'apparait spécifiquement adaptée au handicap, serait également rendu nécessaire par l'état de santé de Mme F.... Il en résulte que les sommes allouées à Mme F... au titre des frais d'adaptation du logement, en tant qu'ils portent sur l'acquisition d'une maison adaptée, doivent être ramenées à 150 000 euros.

9. En troisième lieu, pour le surplus, les autres montants alloués par le tribunal au titre des autres chefs de préjudice ne sont pas contestés. Il résulte de ce qui vient d'être dit sur l'évaluation du poste des frais d'adaptation du logement que le montant alloué en capital à Mme F... doit être fixé au montant total de 889 263 euros, sans modification des autres composantes de l'indemnisation.

En ce qui concerne les débours de la caisse :

10. Il ressort de l'instruction et notamment de l'état des débours daté du 8 avril 2022 produit par la CPAM du Puy-de-Dôme en première instance, ainsi que d'une attestation d'imputabilité du médecin conseil de la caisse, que les débours liés à la faute, qui correspondent à des dépenses de santé, s'élevaient, à la date de cet état, au montant total de 201 266,38 euros, correspondant aux dépenses de santé prises en charge, non seulement jusqu'au 25 septembre 2020, reprise d'un précédent état des débours, mais également de cette date jusqu'à la date du nouvel état du 8 avril 2022 en tenant compte des " arrérages échus " entre 2020 et 2022. Le groupement hospitalier Portes-de-Provence est dès lors fondé à soutenir que c'est de façon erronée que le tribunal a retenu un montant de débours exposés en lien avec la faute au 8 avril 2022 de 538 282 euros. Les sommes allouées à la caisse à ce titre doivent ainsi être ramenées à 201 266,38 euros.

11. Il résulte de tout ce qui précède que le groupement hospitalier Portes-de-Provence est uniquement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble n'a pas limité les sommes qu'il a été condamné à verser en capital à Mme F... à 889 263 euros et n'a pas limité les sommes qu'il a été condamné à verser à la CPAM du Puy-de-Dôme au titre des débours échus au 8 avril 2022 à 201 266,38 euros.

Sur les dépens :

12. Il y a lieu de maintenir les dépens à la charge du groupement hospitalier Portes-de-Provence.

Sur les frais de l'instance :

13. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par M. et Mme F... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La somme que le groupement hospitalier Portes-de-Provence a été condamné à verser en capital à Mme H... F... est ramenée de 1 439 263 euros à 889 263 euros.

Article 2 : La somme que le groupement hospitalier Portes-de-Provence a été condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme au titre des débours échus au 8 avril 2022 est ramenée de 538 282 euros à 201 266,38 euros.

Article 3 : Les articles 1er et 7 du jugement n° 2004287 du 31 mars 2023 du tribunal administratif de Grenoble sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au groupement hospitalier des Portes-de-Provence, à Mme H... F... représentante unique des consorts F..., à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme et à la mutuelle Solimut Mutuelle de France.

Délibéré après l'audience du 2 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

Mme Vergnaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2024.

Le rapporteur,

H. Stillmunkes

Le président,

F. Pourny

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

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N° 23LY01853


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY01853
Date de la décision : 19/09/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service public de santé.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Évaluation du préjudice - Préjudice matériel.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Henri STILLMUNKES
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : SOPHIE JONQUET AVOCATS ASSOCIES (SJ2A)

Origine de la décision
Date de l'import : 29/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-09-19;23ly01853 ?
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