Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble : 1°) d'annuler la décision par laquelle le préfet de l'Isère a implicitement rejeté la demande de titre de séjour qu'il a présentée le 6 octobre 2022 ; 2°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de trente jours à compter de la date de notification du jugement à intervenir ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans le même délai ; 3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 000 euros, avec intérêt au taux légal à compter de la date de réception par le préfet de sa demande préalable, en réparation de l'ensemble de ses préjudices, avec capitalisation des intérêts ; 4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative .
Par un jugement n° 2301989 du 23 octobre 2023, le tribunal administratif de Grenoble a jugé qu'il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions aux fins d'annulation et d'injonction de la requête, a condamné l'Etat à verser à M. B... la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence, tous intérêts confondus, a mis à la charge de l'État le versement d'une somme de 1 200 euros à Me Lantheaume, en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que Me Lantheaume renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle, et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 14 décembre 2023, le préfet de l'Isère demande à la cour d'annuler ce jugement.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a retenu un retard d'instruction fautif ; le tribunal a commis une erreur dans le calcul du délai s'étant écoulé entre le dépôt de sa demande et l'obtention du titre de séjour, qui n'est pas de onze mais de cinq mois ; ce délai n'est pas fautif ;
- le lien de causalité et le caractère certain des prétendus préjudices ne sont pas établis.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 janvier 2024, M. B..., représenté par Me Lantheaume, conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par une lettre du 18 juin 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de ce que l'Etat ne saurait être condamné à indemniser deux fois le même préjudice, eu égard à l'indemnisation accordée par l'arrêt n° 23LY01225 du 10 avril 2024.
M. B... a présenté des observations en réponse à cette communication, enregistrées le 19 juin 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant tunisien né le 7 avril 1993, déclare être entré en France en octobre 2017, muni d'un passeport et d'une carte de séjour obtenue en Italie lui permettant d'entrer et de circuler sur le territoire français pendant une durée de trois mois. Par un arrêté du 6 janvier 2020, le préfet de l'Isère lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il serait éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. M. B... a sollicité, par courriel du 13 mai 2022, par l'intermédiaire de son conseil, un rendez-vous auprès de la préfecture de l'Isère en vue de déposer sa demande de titre de séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française. Devant le silence gardé par la préfecture sur cette demande, des relances ont été effectuées les 23 mai, 7 juin et 20 juin 2022, sans succès. Par une ordonnance du 3 aout 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a suspendu l'exécution de la décision implicite par laquelle le préfet de l'Isère a refusé de délivrer à M. B... un rendez-vous en préfecture jusqu'à ce qu'il soit statué sur la requête en annulation de ladite décision et a enjoint au préfet de l'Isère de convoquer M. B... afin de procéder à l'enregistrement de sa demande de titre de séjour, dans un délai de dix jours. L'intéressé a obtenu un rendez-vous lui permettant de déposer sa demande de titre le 6 octobre 2022 et a été mis en possession d'un récépissé l'autorisant à travailler. En l'absence de décision intervenue dans un délai de quatre mois, une décision implicite de rejet, est née le 6 février 2023. Le 7 avril 2023, le préfet de l'Isère a délivré à M. B... une carte de séjour valable du 22 mars 2023 au 21 mars 2024. Par un jugement n° 2301989 du 7 février 2023, le tribunal administratif de Grenoble a jugé qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions à fins d'annulation et d'injonction de la requête, a condamné l'Etat à verser à M. B... la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence, tous intérêts confondus, a mis à la charge de l'État le versement d'une somme de 1 200 euros à Me Lantheaume, en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que Me Lantheaume renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle, et a rejeté le surplus des conclusions de la requête. Le préfet de l'Isère relève appel de ce jugement en ce qu'il a partiellement accueilli les conclusions indemnitaires de M. B....
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :
2. Pour condamner l'Etat à verser à M. B... la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence, tous intérêts confondus, le jugement s'est fondé sur l'engagement de la responsabilité fautive de l'Etat, à raison de l'illégalité du refus implicite de titre de séjour né le 6 février 2023 et du retard d'instruction de sa demande.
3. En premier lieu, par un arrêt définitif n° 23LY01225 du 10 avril 2024, statuant en appel sur la requête dirigée contre le jugement n° 2204578, la cour a déjà condamné l'Etat à verser à M. B... la somme de 800 euros, tous intérêts compris, en réparation des préjudices subis sur la période du 13 juillet 2022, date de naissance du refus implicite de rendez-vous auprès de la préfecture de l'Isère en vue de déposer sa demande de titre de séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française, au 6 octobre 2022, date à laquelle il a pu obtenir un rendez-vous lui permettant de déposer sa demande. En vertu des principes généraux du droit interdisant d'indemniser deux fois le même préjudice, l'Etat ne saurait être à nouveau condamné à réparer ce préjudice résultant du retard d'instruction de sa demande.
4. En second lieu, comme l'a relevé le tribunal, la décision implicite de rejet de la demande de titre de séjour de M. B... née le 6 février 2023, est illégale alors que le requérant, remplissait les conditions d'octroi de ce titre de séjour, dont il a d'ailleurs été ultérieurement muni. Ce refus n'a toutefois produit des effets que sur une durée très limitée, de la naissance de la décision attaquée le 6 février 2023 au 7 avril 2023, date à laquelle le préfet de l'Isère lui a délivré une carte de séjour valable du 22 mars 2023 au 21 mars 2024. Compte tenu des conséquences limitées de la faute commise par l'administration sur la situation personnelle de l'intimé, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par M. B... en les fixant à un montant total de 300 euros au lieu de celui de 1 000 euros retenu par le tribunal.
5. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère est seulement fondé à soutenir que la somme que le tribunal administratif de Grenoble a condamnée l'Etat à payer à M. B... doit être ramenée à 300 euros.
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il en soit fait application à l'encontre de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
Article 1er : L'indemnité que l'Etat a été condamnée à verser à M. B... par l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 23 octobre 2023 est ramenée à 300 euros.
Article 2 : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 23 octobre 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 septembre 2024.
La rapporteure,
Vanessa Rémy-Néris
Le président,
Jean-Yves Tallec Le greffier en chef,
Cédric Gomez
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY03845