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17/10/2024 | FRANCE | N°23LY01529

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 7ème chambre, 17 octobre 2024, 23LY01529


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 23 juin 2023 par laquelle l'inspectrice du travail de l'Isère a autorisé son licenciement, ensemble la décision du ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion ayant implicitement rejeté le 18 décembre 2023 son recours hiérarchique.



Par une ordonnance n° 2301047 du 9 mars 2023, le président de la 7ème chambre du tribunal a rejeté sa demande.



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Procédure devant la cour



Par une requête enregistrée le 5 mai 2023, M. A..., représenté par Me Jorquera,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 23 juin 2023 par laquelle l'inspectrice du travail de l'Isère a autorisé son licenciement, ensemble la décision du ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion ayant implicitement rejeté le 18 décembre 2023 son recours hiérarchique.

Par une ordonnance n° 2301047 du 9 mars 2023, le président de la 7ème chambre du tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 5 mai 2023, M. A..., représenté par Me Jorquera, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et les décisions des 23 juin et 18 décembre 2023 de l'inspectrice du travail et du ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion ;

2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le président de la 7ème chambre du tribunal ne pouvait rejeter sa demande par ordonnance au motif que les moyens n'étaient pas assortis de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé alors qu'il avait joint à sa demande l'arrêt de la cour d'appel justifiant ses allégations ;

- les fautes sur lesquelles l'inspecteur du travail s'est fondé pour accorder l'autorisation de licenciement ne sont pas avérées ; en effet, contrairement à ce qu'a retenu l'inspecteur du travail, il ne pouvait être regardé en situation d'absence injustifiée les 3, 17, 21, 24 et 31 janvier 2022 et ne pouvait être regardé comme ayant illégitimement refusé de réaliser des prestations pour le compte de son employeur à compter du 7 janvier 2022 compte tenu de l'irrégularité de l'ordre de mission qu'il avait reçu ;

- les précédents rappels à l'ordre dont l'inspecteur du travail a fait état, qui révèlent une perpétuation d'un comportement de harcèlement moral, ne pouvaient fonder le licenciement dès lors qu'ils avaient déjà été sanctionnés.

Par un mémoire enregistré le 14 décembre 2023, la société Capgemini Technology Services (TS), représentée par Me Zunz, conclut au rejet de la requête et qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de M. A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 10 juin 2024, l'instruction a été close au 26 juin 2024 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;

- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;

- et les observations de Me Amiez, substituant Me Jorquera pour M. A... ainsi que celles de Me Zunz pour la société Capgemini TS ;

Considérant ce qui suit :

1. Par décision du 23 juin 2022, l'inspectrice du travail a autorisé la société Capgemini Technology Services (TS) à licencier pour motif disciplinaire M. A..., qui exerçait des fonctions d'ingénieur systèmes au sein de la société et avait été désigné défenseur syndical CGT pour la région Rhône-Alpes-Auvergne. Le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion a implicitement rejeté le 18 décembre 2022 le recours hiérarchique présenté par l'intéressé contre cette décision. M. A... relève appel de l'ordonnance du 9 mars 2023 par laquelle le président de la 7ème chambre du tribunal administratif de Grenoble a rejeté, sur le fondement du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, sa demande d'annulation des décisions des 23 juin et 18 décembre 2022.

Sur la régularité de l'ordonnance :

2. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " (...) les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours (...) peuvent, par ordonnance : / (...) / 7° Rejeter, après l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire, les requêtes ne comportant que des moyens de légalité externe manifestement infondés, des moyens irrecevables, des moyens inopérants ou des moyens qui ne sont assortis que de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ou ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. ".

3. Dans sa requête enregistrée au tribunal le 17 février 2023, M. A... a soutenu que les griefs formulés par l'employeur et retenus à tort par l'administration n'étaient étayés par aucun élément probant et que la procédure de licenciement dont il a fait l'objet n'était que le résultat de manœuvres qui ont fait suite à la condamnation de son employeur par la chambre sociale de la cour d'appel de Grenoble le 15 octobre 2020. Si M. A... n'avait, ainsi que l'a retenu le président de la 7ème chambre, versé à l'instance aucune pièce de nature à établir la réalité des manœuvres alléguées ou l'absence de matérialité des griefs retenus, rendant ainsi ces moyens de légalité interne manifestement infondés, les précisions dont ces moyens étaient assortis étaient suffisantes pour en apprécier le bien-fondé. Ainsi, le président de la 7ème chambre du tribunal ne pouvait, comme il l'a fait par l'ordonnance attaquée, se fonder sur les dispositions précitées du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative pour rejeter la demande de M. A.... Par suite, l'ordonnance attaquée est entachée d'irrégularité et doit être annulée.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Grenoble.

Sur la légalité des décisions :

5. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

6. Pour accorder l'autorisation de licenciement sollicitée, l'inspectrice du travail, après avoir rappelé les différents griefs formulés par l'employeur, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations contractuelles caractérisé par un refus de se conformer aux directives de son employeur et aux recommandations de la médecine du travail, d'une absence de travail et de coopération avec son équipe et sa hiérarchie, d'une mauvaise foi dans l'exécution de son contrat de travail, d'absences injustifiées et du non-respect des consignes de travail, a estimé que l'insubordination et les absences injustifiées des 17, 21, 24 et 31 janvier 2022 étaient établies et fautives. Elle a précisé que ces griefs étaient, compte tenu des différents rappels à l'ordre dont l'intéressé avait déjà fait l'objet à de multiples reprises, suivis d'avertissements, d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.

7. En premier lieu, M. A..., qui ne conteste pas avoir été absent les17, 21, 24 et 31 janvier 2022, soutient qu'il n'a commis aucune faute dans la mesure où l'ordre de mission établi le 23 décembre 2021 par son employeur pour une mission d'une année, devant commencer le 1er janvier 2022, au sein de la société ENEDIS à Lyon, était irrégulier.

8. Aux termes de l'article 51 de la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987, alors en vigueur : " Avant l'envoi d'un salarié en déplacement, un ordre de mission sera normalement établi, se référant au présent titre. (...) ". L'article 3 du contrat de travail de M. A... stipule : " lors des missions sur site extérieur, la durée de travail et les horaires applicables sont précisés sur l'ordre de mission ".

9. D'une part, il ressort des pièces du dossier que l'ordre de mission litigieux portait sur la poursuite, au cours de l'année 2022 de la mission débutée en septembre 2021 pour la société ENEDIS pour laquelle M. A... avait reçu un ordre de mission le 17 septembre 2021, rédigé en des termes identiques. Si M. A... fait valoir que son ordre de mission mentionnait un temps de travail de 36 h 40 hebdomadaire, ce qui correspond à un temps plein, alors qu'il était à temps partiel, il résulte des explications fournies par son employeur que la durée de travail et les horaires applicables mentionnés dans l'ordre de mission correspondent à un temps plein. En l'espèce, il ne faisait aucun doute que M. A... ne devait exercer sa mission qu'à proportion de sa quotité de travail, l'ordre de mission du 17 septembre 2021 lui ayant été adressé dans le même mail que l'avenant à son contrat de travail portant sur son passage à mi-temps, conformément aux préconisations faites par le médecin du travail, et son employeur, après l'envoi du nouvel ordre de mission, lui ayant écrit le 5 janvier suivant " étant donné que tu es actuellement à mi-temps (50 %), et dans le respect des directives gouvernementales du 30 décembre, nous te demandons de venir sur le site de Lyon Ivoire tous les lundis des semaines impaires, soit un lundi toutes les deux semaines. ".

10. D'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que les mentions portées sur l'ordre de mission de M. A... quant à la prise en charge des frais de déplacement, au réel, n'auraient pas respecté la note de service du 1er septembre 2020 à laquelle cet ordre de mission faisait expressément référence. Il n'apparaît pas que le domicile de M. A..., situé à Saint Pierre d'Entremont (73670) aurait été, comme il l'affirme, à plus de deux cents kilomètres du site sur lequel il devait se rendre à Lyon. Sa mission n'entrait pas dans le champ, tel que déterminé par l'annexe 2 de cette note de service, des missions pour lesquelles la voiture de location est à privilégier.

11. Dans ces conditions, et alors que M. A... a refusé, à deux reprises, les 13 et 17 janvier, les rendez-vous proposés par son employeur pour aborder les motifs pour lesquels il refusait de signer son ordre de mission, l'inspecteur du travail a pu estimer que ses absences les 17, 21, 24 et 31 janvier 2022 et son insubordination étaient établies et fautives.

12. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 1332-5 du code du travail : " Aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l'engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l'appui d'une nouvelle sanction. " L'inspectrice du travail pouvait se fonder, sans commettre d'erreur de droit, ni méconnaître le principe non bis in idem, sur le fait que M. A... avait déjà fait l'objet de neuf rappels à l'ordre entre le 12 mai 2020 et le 28 décembre 2021 suivis de plusieurs avertissements pour estimer que les faits qui lui étaient reprochés étaient, compte tenu des précédentes sanctions dont il avait fait l'objet, d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, alors que rien ne permet de retenir que M. A... aurait subi, de la part de son employeur, un harcèlement moral.

13. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la procédure de licenciement dont M. A... a fait l'objet ne serait que le résultat de manœuvres qui ont fait suite à la condamnation de son employeur par la chambre sociale de la cour d'appel de Grenoble le 15 octobre 2020.

14. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 23 juin 2023 de l'inspectrice du travail de l'Isère et de la décision implicite du ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Sur les frais d'instance :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'État, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à M. A... la somme que celui-ci réclame au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... le versement à la société Capgemini Technology Services de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ordonnance n° 2301047 du 9 mars 2023 du président de la 7ème chambre du tribunal administratif de Grenoble est annulée.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.

Article 3 : M. A... versera la somme de 2 000 euros à la société Capgemini Technology Services au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la société Capgemini Technology Services et à la ministre du travail et de l'emploi.

Délibéré après l'audience du 3 octobre 2024 à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre ;

Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;

M. Chassagne, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2024.

La rapporteure,

A. Duguit-LarcherLe président,

V-M. Picard

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne à la ministre du travail et de l'emploi en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY01529

kc


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY01529
Date de la décision : 17/10/2024

Analyses

66-07-01-04-02-01 Travail et emploi. - Licenciements. - Autorisation administrative - Salariés protégés. - Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. - Licenciement pour faute. - Existence d'une faute d'une gravité suffisante.


Composition du Tribunal
Président : M. PICARD
Rapporteur ?: Mme Agathe DUGUIT-LARCHER
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : SCP FESSLER & JORQUERA ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 27/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-17;23ly01529 ?
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