Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté en date du 11 avril 2023 par lequel le préfet de l'Isère lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a désigné son pays de renvoi, et lui a interdit tout retour pendant une durée d'un an.
Par un jugement n° 2302328 du 17 mai 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de l'Isère de délivrer à M. C..., sous huit jours, une autorisation provisoire de séjour jusqu'au terme du réexamen de la situation de cet étranger, devant intervenir dans le délai d'un mois.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 15 juin 2023, le préfet de l'Isère demande à la cour d'annuler le jugement n° 2302328 du 17 mai 2023 du magistrat désigné par le président tribunal administratif de Grenoble et de rejeter les conclusions de première instance de M. C....
Le préfet soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que M. C... entrait dans les prévisions des dispositions du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile faisant obstacle à la prise d'une mesure d'éloignement ;
- cette mesure est motivée, a été prise après que M. C... a été entendu, n'est pas entachée d'une erreur de droit car l'intéressé ne peut pas prétendre à la délivrance de plein droit d'un titre de séjour sur le fondement des stipulations du 4° de l'article 6 de l'accord franco-algérien, ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni l'article 3, 1° de la convention relative aux droits de l'enfant et n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'interdiction de retour est motivée, ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision désignant le pays de renvoi est motivée, sans être illégale au motif que l'obligation de quitter le territoire français serait elle-même illégale.
Par des mémoires en défense enregistrés le 9 août 2023 et le 7 octobre 2024, M. B... C..., représenté par Me Gerin, conclut à l'illégalité de l'arrêté préfectoral du 11 avril 2023, à la confirmation du jugement du 17 mai 2023, à ce qu'il soit enjoint au préfet de l'Isère, à titre principal de lui délivrer un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français, à titre subsidiaire de réexaminer sa situation en lui délivrant une autorisation provisoire de séjour, et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. C... fait valoir que :
- en lui délivrant une attestation de dépôt d'une demande de titre de séjour qu'il a formulée le 29 septembre 2023, le préfet a retiré la mesure d'éloignement ;
- la mesure d'éloignement est insuffisamment motivée, méconnaît son droit d'être entendu qu'il tient de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, est entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations du 4° de l'article 6 de l'accord franco-algérien car il contribue à l'entretien et à l'éducation de sa fille mineure, méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que celles de l'article 3, 1° de la convention relative aux droits de l'enfant, est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'interdiction de retour, insuffisamment motivée, est illégale en raison de l'illégalité de la mesure d'éloignement et a été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision désignant son pays de renvoi, insuffisamment motivée, est illégale en raison de l'illégalité de cette mesure d'éloignement.
Un mémoire, enregistré le 17 octobre 2024, a été présenté par le préfet de l'Isère, après la clôture d'instruction, intervenue trois jours francs avant l'audience en application des dispositions de l'article R. 613-2 du code de justice administrative.
M. B... C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 4 septembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 18 octobre 2024 :
- le rapport de M. Gros, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Gerin, avocat de M. C....
Considérant ce qui suit :
1. Par des décisions en date du 11 avril 2023, le préfet de l'Isère a obligé M. B... C..., ressortissant algérien né en 2001, à quitter le territoire français, sans lui accorder de délai de départ volontaire, a désigné son pays de renvoi et lui a interdit tout retour pendant une durée d'un an. Le préfet de l'Isère interjette appel du jugement rendu le 17 mai 2023 par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble qui a annulé ces décisions préfectorales.
Sur le moyen d'annulation retenu par le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble :
2. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au litige : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) / 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans (...) ;
3. Il ressort des pièces du dossier que M. C... est père d'une fille née le 26 novembre 2022, qu'il a reconnue deux jours plus tard. Cette enfant vit au domicile de la mère, Mme F... A..., avec laquelle le requérant a eu une violente dispute, verbale et physique, au soir du 10 avril 2023. Le lendemain, cette ressortissante française a déclaré aux services de police être séparée " depuis un mois " de M. C..., ce dernier venant " de temps en temps " pour " laisser des affaires ". La teneur de ces propos n'est pas démentie par une attestation rédigée le 26 juillet 2023, postérieurement à la décision attaquée, où Mme A... déclare, sans plus de précision, héberger le requérant, lequel dispose d'une adresse postale au centre communal d'action sociale de Grenoble. Ainsi, au 11 avril 2023, lorsqu'a été prise la mesure d'éloignement en litige, il n'existait pas de vie commune, constitutive d'une cellule familiale, entre le requérant et Mme A.... Si, le 11 janvier 2023, M. C... avait acquis, pour sa fille E..., un lit et des vêtements et, le 15 février suivant, l'avait menée à une consultation médicale, ces seuls éléments ne suffisent pas à démontrer qu'au 11 avril 2023, il contribuait effectivement à l'entretien et à l'éducation de son enfant depuis sa naissance. Il ne le démontre pas davantage par la production de photographies, non datées et non circonstanciées, de tickets de caisse et de factures, non datés ou postérieurs à la décision attaquée, et de trois attestations peu circonstanciées. Par suite, c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 11 avril 2023 en retenant que M. C... vivait avec sa fille de six mois, de nationalité française, depuis la naissance de celle-ci, le 26 novembre 2022 et démontrait ainsi contribuer à son éducation et à son entretien.
4. Dès lors, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les autres moyens invoqués par M. C..., tant en première instance qu'en appel, une " confirmation du dépôt d'une pré-demande ", délivrée par la préfecture, n'ayant pas eu pour effet de retirer la mesure d'éloignement en litige.
Sur les autres moyens soulevés par M. C... :
En ce qui concerne les moyens communs aux décisions attaquées :
5. D'une part, l'arrêté attaqué du 11 avril 2023 a été signé par Mme D... G..., cheffe du service de l'immigration et de l'intégration de la préfecture de l'Isère, sur le fondement d'une délégation de signature consentie par arrêté préfectoral du 26 juillet 2022, régulièrement publié. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la mesure d'éloignement et de l'interdiction de retour doit être écarté.
6. D'autre part, l'arrêté du 11 avril 2023 contient les éléments de droit et de fait qui fondent les décisions portant obligation de quitter le territoire français, interdiction de retour et désignant le pays de renvoi qu'il contient, lesquelles, par suite, sont motivées.
En ce qui concerne les moyens propres à l'obligation de quitter le territoire français :
7. En premier lieu, ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, au sens de l'article 41, 2°, a) de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.
8. Il ressort du procès-verbal de son audition par les services de police que M. C... a été interrogé, outre sur sa situation administrative, professionnelle et familiale en France, sur une vulnérabilité particulière ou un handicap qu'il présenterait, sur d'éventuelles craintes pour sa vie en cas de retour en Algérie et sur sa volonté de se conformer à une mesure d'éloignement que pourrait prendre le préfet. M. C... ne fait état d'aucun élément, même insusceptible de faire obstacle à la mesure d'éloignement en litige, qu'il aurait été empêché de faire valoir devant l'administration. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu, que M. C... tient de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit être écarté.
9. En deuxième lieu, pour les motifs exposés au point 3, cette décision n'a pas été prise en méconnaissance des dispositions du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
10. En troisième lieu, indépendamment de l'énumération donnée par l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable à la date de la décision attaquée, des catégories d'étrangers qui ne peuvent pas faire l'objet d'une mesure d'éloignement, l'autorité administrative ne saurait légalement prendre une telle mesure à l'encontre d'un étranger que si ce dernier se trouve en situation irrégulière au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour. Lorsque la loi prescrit, ou qu'une convention internationale stipule, que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une obligation de quitter le territoire français.
11. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) / 4) au ressortissant algérien ascendant direct d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il exerce même partiellement l'autorité parentale à l'égard de cet enfant ou qu'il subvienne effectivement à ses besoins. Lorsque la qualité d'ascendant direct d'un enfant français résulte d'une reconnaissance de l'enfant postérieure à la naissance, le certificat de résidence d'un an n'est délivré au ressortissant algérien que s'il subvient à ses besoins depuis sa naissance ou depuis au moins un an (...) ".
12. Ainsi qu'il a été exposé au point 3, M. C... ne justifie pas qu'il contribuerait effectivement à l'entretien et à l'éducation de son enfant français. Dans ces conditions, il n'entre pas dans la catégorie des étrangers visés par le 4) de l'article 6 de l'accord franco-algérien pour lesquels l'accord franco-algérien prévoit qu'ils doivent se voir attribuer de plein droit un titre de séjour. Dès lors, le moyen d'erreur de droit tiré de ce que sa qualité de parent d'enfant français s'opposerait à son éloignement doit être écarté.
13. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
14. M. C..., qui est séparé de sa compagne et ne contribue pas effectivement à l'entretien et à l'éducation de son enfant français, n'est pas dépourvu d'attaches en Algérie, où vivent ses parents et ses frères et sœurs. Son activité professionnelle occasionnelle de vendeur sur les marchés, exercée d'ailleurs sans autorisation, ne témoigne pas d'une particulière insertion en France, où il déclare être entré en 2020, âgé de 19 ans, et alors qu'il a fait l'objet de signalements pour des faits de vol et recel en 2021 et, en janvier 2022, pour des faits de remise ou sortie irrégulière de correspondance, somme d'argent ou objet de détenu, pénétration non autorisée dans un établissement pénitentiaire, détention de stupéfiants. Dans ces conditions, la mesure d'éloignement en litige ne porte pas au droit de M. C... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise, et ne méconnaît pas l'intérêt supérieur de son enfant. Les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant doivent en conséquence être écartés. Pour les mêmes motifs, le préfet n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle du requérant.
En ce qui concerne les moyens propres aux autres décisions :
15. Il résulte de ce qui a été dit que M. C... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision portant interdiction de retour et contre celle désignant son pays de renvoi.
16. Pour les motifs exposés au point 14, la décision d'interdiction de retour n'a pas été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
17. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé ses décisions du 11 avril 2023 et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. C... en délivrant à ce dernier une autorisation provisoire de séjour. Les conclusions aux fins d'annulation et d'injonction présentées par M. C... doivent pour leur part être rejetées.
Sur les frais de procès :
18. M. C... étant la partie perdante dans la présente instance, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2302328 du 17 mai 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : Les conclusions de première instance et d'appel de M. C... sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 18 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Stillmunkes, président assesseur,
M. Gros, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 novembre 2024.
Le rapporteur,
B. Gros
Le président,
F. Pourny
La greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 23LY02039