Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 25 juillet 2019 par laquelle le préfet de l'Isère et le président du conseil régional Auvergne Rhône-Alpes ont déclaré irrecevable sa demande d'aides relative aux dépenses réalisées au titre de la protection des troupeaux contre la prédation du loup au cours de l'année 2019.
Par un jugement n° 1906455 du 24 mars 2022, le tribunal administratif de Grenoble a, dans un article 1er, annulé la décision du 25 juillet 2019 adoptée conjointement par le préfet de l'Isère et le président du conseil régional Auvergne Rhône-Alpes, dans un article 2, constaté qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le préjudice matériel subi avant le 8 juillet 2019 et, dans un article 3, rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 17 mai 2022, 22 décembre 2022 et 26 septembre 2023, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, M. B..., représenté par Me Jarre, doit être regardé comme demandant à la cour :
1°) d'annuler l'article 3 de ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 24 mars 2022 ;
2°) de condamner solidairement la région Auvergne-Rhône-Alpes et l'Etat à lui verser la somme de 49 585,96 euros au titre de son préjudice matériel ;
3°) de mettre à la charge solidaire de la région Auvergne-Rhône-Alpes et de l'Etat l'indemnisation du préjudice moral qu'il estime avoir subi à hauteur de la somme de 3 000 euros ;
4°) d'enjoindre à la région Auvergne-Rhône-Alpes et à l'Etat de faire droit à sa demande de subvention et d'en informer l'agence de service et de paiement ;
5°) de mettre à la charge solidaire de la région Auvergne-Rhône-Alpes et de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision du 25 juillet 2019, annulée par le tribunal, est également entachée d'un vice d'incompétence, de vices de procédure et d'un détournement de procédure ;
- conformément à l'article 6 de l'arrêté du 19 juin 2009, il a effectivement mis en œuvre les options n°1 " gardiennage renforcé " et 3 " chien de protection " lui permettant de bénéficier des aides relatives aux dépenses réalisées au titre de la protection des troupeaux contre la prédation du loup ;
- il est fondé à demander une indemnisation au titre des aides devant lui être accordées à savoir la somme de 5 003,40 euros, l'indemnisation des dommages causés à son troupeau soit la somme de 9 513 euros au titre des bêtes tuées et celle de 35 069,56 euros au titre des bêtes disparues ainsi que la somme de 3 000 euros au titre de son préjudice moral.
Par un mémoire, enregistré le 4 octobre 2022, la région Auvergne-Rhône-Alpes, représentée par M. A..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'appelant une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés et que la demande indemnitaire doit être rejetée.
Par un mémoire, enregistré le 28 août 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés et que la demande indemnitaire doit être rejetée.
Une ordonnance du 28 août 2023 a fixé en dernier lieu la clôture de l'instruction au 29 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le décret n° 2019-722 du 9 juillet 2019 relatif à l'indemnisation des dommages causés aux troupeaux domestiques par le loup, l'ours et le lynx ;
- l'arrêté du 19 juin 2009 relatif à l'opération de protection de l'environnement dans les espaces ruraux portant sur la protection des troupeaux contre la prédation ;
- l'arrêté du 9 juillet 2019 pris pour l'application du décret n° 2019-722 du 9 juillet 2019 relatif à l'indemnisation des dommages causés aux troupeaux domestiques par le loup, l'ours et le lynx ;
- l'instruction technique DGPE/SDPE/2018-124 du 12 février 2018 du ministre en charge de l'agriculture ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère,
- les conclusions de Mme Bénédicte Lordonné, rapporteure publique,
- et les observations de Me Rubio pour la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... B... exerce depuis 1985 une activité transhumante d'élevage d'ovins qui sont, en période estivale, en pâturage sur l'alpage de Lanchâtra, situé dans le parc national des Ecrins, sur le territoire de la commune de Saint-Christophe en Oisans. Depuis l'année 2018, son troupeau est victime de la prédation du loup. D'une part, le 27 mai 2019, il a demandé à bénéficier, dans le cadre du programme de développement rural Rhône-Alpes 2014-2022, d'aides relatives à la protection des troupeaux contre la prédation du loup, au titre des dépenses réalisées pour les mesures " gardiennage renforcé / surveillance renforcée " et " chiens de protection ". Cette demande a été déclarée irrecevable par une décision du 25 juillet 2019, adoptée conjointement par le préfet de l'Isère et le président du conseil régional Auvergne Rhône-Alpes. D'autre part, par deux courriers du 18 septembre 2019, M. B... a sollicité en vain auprès respectivement du préfet de l'Isère et du président du conseil régional Auvergne Rhône-Alpes la réparation des préjudices matériel et moral qui lui ont été causés par cette décision du 25 juillet 2019. Il relève appel de l'article 3 du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes tendant à obtenir le paiement des aides sollicitées et la condamnation de la région Auvergne Rhône-Alpes et de l'Etat au versement de la somme de 60 230 euros au titre de son préjudice matériel et de celle de 3 000 euros au titre de son préjudice moral.
Sur les conclusions indemnitaires :
2. D'une part, l'illégalité d'une décision administrative constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration, pour autant qu'il en soit résulté pour celui qui demande réparation d'un préjudice direct et certain. Lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'une décision administrative entachée d'un vice de forme, de procédure, ou d'incompétence il appartient au juge administratif de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si la même décision aurait pu légalement intervenir et aurait été prise, dans les circonstances de l'espèce, par l'autorité compétente, dans le respect des règles de forme et de procédure requises. Dans le cas où il juge qu'une même décision aurait pu être prise dans le respect de ces règles par l'autorité compétente, le préjudice allégué ne peut alors être regardé comme la conséquence directe des vices qui entachaient la décision administrative illégale.
3. Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 19 juin 2009 relatif à l'opération de protection de l'environnement dans les espaces ruraux portant sur la protection des troupeaux contre la prédation : " (...) Les cinq options ci-après peuvent être souscrites : / - option 1 : gardiennage renforcé ; / - option 2 : parc de regroupement mobile électrifié ; / - option 3 : chiens de protection ; / - option 4 : parc de pâturage de protection renforcée électrifié ; / - option 5 : analyse de vulnérabilité. (...) ". Aux termes de l'article 6 du même arrêté : " Lorsque le souscripteur exerce son activité de pâturage dans le " cercle 1 " pendant au moins trente jours consécutifs : / 6.1. Les options de la mesure de " prévention des attaques de grands prédateurs sur les troupeaux " peuvent toutes être souscrites dans les conditions précisées en annexe. / 6.2. Le bénéficiaire s'engage à mettre en œuvre la protection de son troupeau selon les modalités et pendant la durée correspondant à la taille de son troupeau et à son parcours pastoral. "
4. Il résulte de l'instruction que l'activité de pâturage de M. B... s'exerce en cercle 1 pendant au moins trente jours consécutifs. Ce dernier soutient qu'il a mis en œuvre les options n°1 et n°3 prévues par l'arrêté du 28 novembre 2019 au cours de la saison d'estive 2019 lui permettant de pouvoir bénéficier des aides relatives aux dépenses réalisées au titre de la protection des troupeaux contre la prédation du loup. Toutefois, s'agissant de l'option n°3 " chiens de protection ", il est constant que M. B... ne disposait à cette période que d'un seul chien de protection, alors âgé de 9 mois. Compte tenu de l'importance de son troupeau, d'environ 900 ovins, et des caractéristiques de l'alpage considéré présentant un relief difficile et escarpé de 1 800 hectares, il ne saurait être considéré que la présence d'un unique jeune chien de moins de 18 mois constitue la mise en œuvre effective de cette mesure de protection. A ce titre, il ressort des précisions apportées par l'instruction technique DGPE/SDPE/2018-124 du 12 février 2018 du ministre en charge de l'agriculture susvisée que le test de comportement sur un chien de moins de 18 mois n'est pas réalisable, ce qui permet d'en déduire que sa capacité à assurer la protection efficace du troupeau n'est pas certaine. Dans ces conditions, M. B... ne peut être regardé comme ayant effectivement mis en œuvre l'option n°3 souscrite dans le cadre de sa demande. Par suite, il n'est pas fondé à solliciter le versement d'aides à la protection.
5. Aux termes de l'article 4 du décret n°2019-722 du 9 juillet 2019 susvisé : " I. - Le demandeur n'est indemnisé que pour les animaux dont il est le propriétaire ou le détenteur au moment de l'attaque. / Toutefois, pour une attaque subie par un troupeau détenu par un groupement pastoral, le gérant du groupement est l'unique bénéficiaire de l'indemnisation ; il la répartit ensuite entre les différents propriétaires des animaux constituant le groupement. / II. - Les troupeaux et ruchers sont indemnisés sous réserve d'avoir au préalable fait l'objet de mesures de protection raisonnables ou être reconnus comme non protégeables, dans les conditions prévues aux articles 5 et 6. / III. - L'indemnisation des dommages liés à une attaque est proportionnée aux dommages, sans effet sur la concurrence et conforme au principe de transparence. / Aucune autre aide ne peut être versée au titre de l'indemnisation des dommages dus au loup, lynx ou ours, à l'exception des aides transitoires prévues par l'arrêté mentionné au IV. (...) ".
6. Dès lors que l'indemnisation des dommages survenus après l'entrée en vigueur du décret n°2019-722 du 9 juillet 2019, soit le 11 juillet 2019, est subordonnée à la mise en œuvre effective des mesures de protection des troupeaux prévues par les dispositions de l'arrêté du 19 juin 2009 et compte tenu de ce qui vient d'être énoncé, M. B... n'est pas davantage fondé à solliciter une indemnisation au titre des dommages causés à son troupeau pour la période postérieure au 11 juillet 2019.
7. D'autre part, il résulte des dispositions citées au point 5 qu'aucune autre aide, hormis celles mentionnées, ne peut être versée au titre de l'indemnisation des dommages dus au loup, lynx ou ours, à l'exception des aides transitoires prévues par arrêté. Par suite, M. B... n'est pas fondé à solliciter l'indemnisation du préjudice moral lié selon lui à la perte de ses animaux sur le fondement des dispositions précitées. En outre, il ne se prévaut d'aucune faute commise par l'Etat ou la région de nature à lui ouvrir droit à une indemnisation à ce titre. Enfin, l'illégalité fautive de la décision du 25 juillet 2019 ne saurait ouvrir droit à une quelconque indemnisation dès lors que M. B... n'était pas éligible aux aides en vertu de ce qui vient d'être énoncé et qu'en tout état de cause une telle illégalité ne serait pas en lien avec le préjudice moral évoqué.
8. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 3 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté le surplus de sa demande. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction présentées par M. B... en appel.
Sur les frais liés au litige :
9. En application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à la charge de chaque partie les frais qu'elle a exposés sur ce fondement.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, à M. C... B... et à la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Délibéré après l'audience du 29 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 novembre 2024.
La rapporteure,
Vanessa Rémy-NérisLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Florence Bossoutrot
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière
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N°22LY01532