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13/11/2024 | FRANCE | N°22LY01567

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 3ème chambre, 13 novembre 2024, 22LY01567


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure



Par deux requêtes, M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 27 juillet 2020 du préfet de l'Isère et du président du conseil régional Auvergne Rhône-Alpes déclarant irrecevable sa demande d'aides relative aux dépenses réalisées au titre de la protection des troupeaux contre la prédation du loup et la décision du 9 septembre 2020 de ces autorités en tant qu'elle a déclaré irrecevable cette même demande d'aides pour la périod

e courant du 4 juin au 9 juillet 2020, de condamner l'Etat et la région Auvergne Rhône-Alpes à lui ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Par deux requêtes, M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 27 juillet 2020 du préfet de l'Isère et du président du conseil régional Auvergne Rhône-Alpes déclarant irrecevable sa demande d'aides relative aux dépenses réalisées au titre de la protection des troupeaux contre la prédation du loup et la décision du 9 septembre 2020 de ces autorités en tant qu'elle a déclaré irrecevable cette même demande d'aides pour la période courant du 4 juin au 9 juillet 2020, de condamner l'Etat et la région Auvergne Rhône-Alpes à lui verser une somme de 6 690 euros au titre des aides qu'il aurait dû percevoir et de condamner l'Etat à l'indemniser des pertes subies par son troupeau du fait des prédations du loup au cours de l'année 2020.

Par un jugement n° 2005037, 2006651 du 24 mars 2022, le tribunal administratif de Grenoble a, dans un article 1er, annulé la décision du 9 septembre 2020 adoptée conjointement par le préfet de l'Isère et le président du conseil régional Auvergne Rhône-Alpes en tant qu'elle porte sur la période du 4 juin 2020 au 9 juillet 2020, dans un article 2, constaté qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'indemnisation de M. A... tendant à ce que lui soit versé le forfait journalier sur une période de 134 jours, le forfait annuel pour l'entretien des chiens de protection ainsi qu'une indemnisation pour les pertes subies par son troupeau à la suite de onze des douze attaques de loup que son troupeau a subies au cours de la saison d'estive 2020, dans un article 3, condamné l'Etat à verser à M. A... une somme de 500 euros en réparation du préjudice moral subi du fait des attaques survenues postérieurement au 9 juillet 2020, dans un article 4, mis à la charge de l'Etat à verser à M. A... une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, dans un article 5, rejeté le surplus des conclusions des demandes.

Procédure devant la cour

1. Par une requête, enregistrée le 23 mai 2022 sous le n° 22LY01567, et deux mémoires, enregistrés les 22 décembre 2022 et 27 septembre 2023, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, M. A..., représenté par Me Jarre, demande à la cour :

1°) d'annuler les articles 2, 3 et 5 de ce jugement et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 13 370 euros en réparation de son préjudice matériel et la somme de 1 500 euros en réparation de son préjudice moral ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision du 9 septembre 2020, annulée partiellement par le tribunal, conformément à sa demande, est également entachée d'un vice d'incompétence et de vices de procédure ;

- l'article 6 de l'arrêté du 28 novembre 2019 lui imposait la mise en œuvre effective de deux options entre le gardiennage renforcé, les chiens de protection ou les investissements matériels dès lors que son activité de pâturage se situe en cercle 1 et qu'il a mis en œuvre les deux premières options dès le 4 juin 2020 ;

- l'arrêté précité n'impose pas la présence d'au moins deux chiens de protection pour considérer l'option " chiens de protection " remplie ;

- il est fondé à demander une indemnisation au titre des aides devant lui être accordées pour la période allant du 4 juin au 9 juillet 2020 à savoir un reliquat de 1 717 euros, l'indemnisation de trois constats d'attaques non réglés des 12, 16 août 2020 et 11 octobre 2020, l'indemnisation au titre des bêtes disparues à l'occasion de 12 attaques subies au cours de la saison 2020 soit la somme de 11 354 euros ainsi que la somme de 1 500 euros au titre de son préjudice moral.

Par un mémoire, enregistré le 4 octobre 2022, la région Auvergne-Rhône-Alpes, représentée par Me Petit, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'appelant une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés et que la demande indemnitaire doit être rejetée.

Par un mémoire, enregistré le 29 août 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés et que la demande indemnitaire doit être rejetée.

Une ordonnance du 30 août 2023 a fixé en dernier lieu la clôture d'instruction au 29 septembre 2023.

2. Par une requête, enregistrée le 30 mai 2022 sous le n° 22LY01643, et un mémoire, enregistré le 6 septembre 2023, ce mémoire n'ayant pas été communiqué, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande à la cour l'annulation de l'article 3 du jugement du 24 mars 2022.

Il soutient que :

- M. A... ne peut prétendre à une indemnisation du préjudice moral qu'il estime avoir subi dès lors que l'article 4 du décret n° 2019-722 du 9 juillet 2019 relatif à l'indemnisation des dommages causés aux troupeaux domestiques par le loup, l'ours et le lynx exclut toute autre indemnisation que celle prévue par ces dispositions ;

- cette position est conforme à l'encadrement souhaité par la Commission européenne des aides d'Etat relevant de cette catégorie, tel qu'il est exposé dans la section 1.2.1.5, " Aides destinées à remédier aux dommages causés par des animaux protégés ", des lignes directrices de l'Union européenne concernant les aides d'Etat dans les secteurs agricole et forestier et dans les zones rurales 2014-2020.

Par un mémoire, enregistré le 11 juillet 2023, M. A..., représenté par Me Jarre, conclut au rejet de la requête et demande à la cour, par la voie de l'appel incident, de condamner l'Etat à l'indemniser du préjudice matériel subi à hauteur de la somme totale de 13 370 euros au titre du reliquat d'aide à la protection des troupeaux et des pertes animales et de son préjudice moral à hauteur de la somme de 1 500 euros et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il est fondé à obtenir une indemnisation au titre de son préjudice moral et que le montant de cette indemnisation doit être porté à 1 500 euros ;

- il est fondé à demander une indemnisation au titre des aides devant lui être accordées pour la période allant du 4 juin au 9 juillet 2020 , à savoir un reliquat de 1 717 euros, l'indemnisation de trois constats d'attaques non réglés des 12, 16 août et 11 octobre 2020, et l'indemnisation au titre des bêtes disparues à l'occasion de 12 attaques subies au cours de la saison 2020 , soit la somme de 11 354 euros.

Une ordonnance du 8 juin 2023 a fixé la clôture d'instruction au 28 août 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le décret n° 2019-722 du 9 juillet 2019 relatif à l'indemnisation des dommages causés aux troupeaux domestiques par le loup, l'ours et le lynx ;

- l'arrêté du 9 juillet 2019 pris pour l'application du décret n° 2019-722 du 9 juillet 2019 relatif à l'indemnisation des dommages causés aux troupeaux domestiques par le loup, l'ours et le lynx ;

- l'arrêté du 28 novembre 2019 relatif à l'opération de protection de l'environnement dans les espaces ruraux portant sur la protection des troupeaux contre la prédation ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère,

- les conclusions de Mme Bénédicte Lordonné, rapporteure publique,

- et les observations de Me Rubio pour la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A... exerce depuis 1985 une activité transhumante d'élevage d'ovins qui sont, en période estivale, en pâturage sur l'alpage de Lanchâtra, situé dans le parc national des Ecrins, sur le territoire de la commune de Saint-Christophe-en-Oisans. Depuis l'année 2018, son troupeau est victime de la prédation du loup. Par une demande du 26 avril 2020 , il a sollicité le bénéfice, dans le cadre du programme de développement rural Rhône-Alpes 2014-2022, d'aides relatives à la protection des troupeaux contre la prédation du loup, au titre des dépenses réalisées pour les mesures " gardiennage renforcé / surveillance renforcée ", " chiens de protection " et " analyse de vulnérabilité ". Cette demande a été déclarée irrecevable par une première décision du 27 juillet 2020, adoptée conjointement par le préfet de l'Isère et le président du conseil régional Auvergne Rhône-Alpes. Par une seconde décision du 9 septembre 2020, le préfet de l'Isère et le président du conseil régional Auvergne Rhône-Alpes ont retiré et remplacé leur première décision du 27 juillet 2020 et ont admis, à compter seulement du 9 juillet 2020, l'éligibilité des demandes d'aides formulées par M. A... au titre des options " gardiennage renforcé " et " chiens de protection ". Par quatre courriers notifiés les 2 et 3 septembre 2020 et le 26 novembre 2020, M. A... a sollicité en vain auprès respectivement du préfet de l'Isère et du président du conseil régional Auvergne Rhône-Alpes la réparation des préjudices qui lui ont été causés par les décisions du 27 juillet 2020 et du 9 septembre 2020, au titre des aides non perçues, des pertes d'animaux subis du fait de la prédation du loup et de son préjudice moral. Il a sollicité du tribunal administratif de Grenoble, l'annulation des décisions des 27 juillet 2020 et 9 septembre 2020 en tant qu'elles ne font pas droit à ses demandes d'aides relatives à la protection des troupeaux contre la prédation du loup au titre des dépenses réalisées pour les mesures " gardiennage renforcé / surveillance renforcée " et " chiens de protection " pour la période allant du 4 juin au 9 juillet 2020 ainsi que la condamnation de l'Etat et de la région Auvergne Rhône-Alpes à lui verser la somme de 4 245 euros au titre du forfait " éleveur berger ", de 2 445 euros au titre du forfait " entretien des trois chiens de protection " et de 1 500 euros au titre du préjudice moral qu'il estime avoir subi , outre l'indemnisation des pertes subies par son troupeau du fait de la prédation du loup.

2. Par le jugement attaqué, le tribunal a, dans un article 1er, annulé la décision du 9 septembre 2020 adoptée conjointement par le préfet de l'Isère et le président du conseil régional Auvergne Rhône-Alpes en tant qu'elle porte sur la période du 4 juin au 9 juillet 2020, dans un article 2, constaté qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'indemnisation de M. A... tendant à ce que lui soit versé le forfait journalier sur une période de 134 jours, le forfait annuel pour l'entretien des chiens de protection, ainsi qu'une indemnisation pour les pertes subies par son troupeau à la suite de onze des douze attaques de loup que son troupeau a subies au cours de la saison d'estive 2020, dans un article 3, condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 500 euros en réparation du préjudice moral subi du fait des attaques survenues postérieurement au 9 juillet 2020, dans un article 4, mis à la charge de l'Etat à verser à M. A... une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, dans un article 5, rejeté le surplus des conclusions. Par sa requête enregistrée sous le n° 22LY01567, M. A... doit être regardé comme relevant appel des articles 2, 3 et 5 de ce jugement alors que le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires doit être regardé, par sa requête enregistrée sous le n° 22LY01643, comme relevant appel de l'article 3 de ce jugement.

Sur la jonction :

3. Les requêtes n° 22LY01567 et n° 22LY01643, présentées par M. A... et le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, tendent respectivement à l'annulation des articles 2, 3 et 5 et à celle de l'article 3 d'un même jugement. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.

Sur la régularité du jugement :

4. L'article 2 du jugement attaqué a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'indemnisation de M. A... tendant à ce que lui soit versé le forfait journalier sur une période de 134 jours, le forfait annuel pour l'entretien des chiens de protection, ainsi qu'une indemnisation pour les pertes subies par son troupeau à la suite de onze des douze attaques de loup que son troupeau a subies au cours de la saison d'estive 2020. Toutefois, il ressort des pièces versées, ainsi que le soutient M. A... dans sa requête d'appel, que l'administration a calculé le forfait éleveur berger sur une période de 130 jours correspondant à 3 690 euros pour un forfait journalier de 28,30 euros et non sur la période de pâturage réalisée soit 134 jours. En outre, il ressort des éléments figurant au dossier qu'ainsi qu'il le soutient, trois constats d'attaques ne lui ont pas été réglés. Dans ces conditions, le jugement attaqué est entaché d'irrégularité en tant qu'il a prononcé un non-lieu à statuer sur ces points et il doit être annulé dans cette mesure.

5. Il y a donc lieu de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation sur les conclusions présentées par M. A... tendant au versement du forfait éleveur berger et l'indemnisation des trois constats d'attaques non réglés et statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur le surplus des conclusions de la requête de M. A....

Sur l'éligibilité aux aides à la protection visées par l'arrêté du 28 novembre 2019 :

6. Aux termes de l'article 5 de l'arrêté du 28 novembre 2019 relatif à l'opération de protection de l'environnement dans les espaces ruraux portant sur la protection des troupeaux contre la prédation : " Conformément aux articles D. 114-11 et suivants du code rural et de la pêche maritime, les dépenses éligibles aux soutiens publics couvrent plusieurs domaines qui constituent différentes " options " du dispositif de protection des troupeaux : / 1° Option 1 : gardiennage renforcé/surveillance renforcée ; / 2° Option 2 : chiens de protection ; / 3 Option 3 : investissements matériels (parcs électrifiés) ; / 4° Option 4 : analyse de vulnérabilité ; / 5° Option 5 : accompagnement technique. / Une instruction du ministère chargé de l'agriculture précise, en tant que de besoin, le contenu de ces options ainsi que leurs conditions et modalités de mise en œuvre. / Le CPEDER est conclu annuellement. Cependant, pour les options impliquant le financement de chiens de protection ou de matériels, le souscripteur devra s'engager à conserver ces investissements pendant une période définie à l'annexe I. ". Aux termes de l'article 6 du même arrêté : " Lorsque l'activité de pâturage a lieu en cercle 0 et/ou 1 pendant une durée d'au moins 30 jours cumulés, consécutifs ou non, toutes les options citées à l'article 5 peuvent faire l'objet d'une aide et au moins deux des options 1 à 3 doivent effectivement être mises en œuvre. (...) ".

7. Il est constant que l'activité de pâturage de M. A... se situe en cercle 1. M. A... soutient avoir souscrit et mis en œuvre, dès le 4 juin 2020, trois moyens de protection visés à l'article 5 soit les options 1 " gardiennage renforcé ", 2 " chien de protection " et 4 " analyse de vulnérabilité " et que l'option n° 2 doit être regardée comme effectivement mise en œuvre en raison de la présence sur site d'un chien de protection adulte dès lors que l'arrêté ne prescrit pas la présence d'au moins deux chiens de protection. Ainsi que le soutient M. A..., il ne résulte ni des dispositions de l'arrêté précité, ni des précisions apportées dans la note technique DGPE/SDPE/2019-853 du 20 décembre 2019 édictée par le ministère de l'agriculture prescrite à l'article 5 de l'arrêté sur le contenu de ces options ainsi que leurs conditions et modalités de mise en œuvre que la présence d'au moins deux chiens de protection soit exigée ni que l'option ne puisse être considérée comme effectivement mise en œuvre dès lors qu'elle n'est pas adaptée à la taille du troupeau et à son parcours pastoral. A ce titre, et alors qu'il résulte de l'instruction que le chien de protection Bayard de M. A... était âgé d'environ 2 ans à la date du 4 juin 2020, l'instruction précitée se borne à préciser au point 3.1 que " l'option 2 n'est pas considérée comme effectivement mise en œuvre si le ou les éventuel(s) chien(s) de protection âgé(s) de moins de 18 mois n'est/ne sont pas associé(s) à au moins un adulte pour la protection du troupeau. " et dans son annexe 3 que : " Par exception, ces dépenses ne sont pas éligibles si elles concernent un chien âgé de moins de 18 mois placé dans un troupeau pâturant en cercle 1 et non couvert par au moins deux options de protection parmi les trois ouverte : gardiennage/surveillance, parc électrifié, chien de protection de plus de 18 mois ". Ces dispositions ne prescrivant pas la présence d'au moins deux chiens de protection et alors que celui de M. A... était un chien adulte, M. A... doit être regardé comme ayant effectivement mis en œuvre l'option " chien de protection " dès le 4 juin 2020.

8. En outre, s'il ressort du rapport dressé suite à l'analyse de vulnérabilité réalisée le 9 juillet 2020 que M. A... avait à cette date renforcé la surveillance de son troupeau en augmentant son temps de présence sur l'alpage et en recrutant une stagiaire bergère suivant les conseils prodigués par les agents de la direction départementale des territoires lors d'une précédente visite sur place le 18 juin 2019, il ne peut être déduit de ces seules constatations, comme le fait le ministre, qu'entre le 4 juin, date de début de la saison d'estive et le 9 juillet 2020, M. A... assurait seul la surveillance de son troupeau et n'était pas présent à temps plein sur l'alpage. Par suite, M. A... est également fondé à soutenir qu'il a effectivement mis en œuvre l'option " gardiennage renforcé / surveillance renforcée " entre le 4 juin et le 9 juillet 2020 et qu'ainsi, pour cette période, il remplissait les conditions d'octroi des aides relatives à la protection des troupeaux au titre des dépenses réalisées pour ces mesures.

Sur le montant des aides :

En ce qui concerne les aides à la protection :

9. D'une part, il résulte de l'instruction que l'administration a versé à M. A... la somme de 2 445 euros au titre de l'aide accordée pour l'option " chiens de protection " ce qui correspond à l'indemnisation forfaitaire pour l'entretien de trois chiens de protection (815 euros/an/chien). Si M. A... sollicite en appel une indemnisation au titre de son chien Bayard, tué par des loups le 25 juin 2020, la note technique DGPE/SDPE/2019-853 du 20 décembre 2019 exclut, dans son point 9.3.3, toute aide à ce titre dès lors que le remplacement de ce chien a donné lieu à une aide au cours de la même année. Par suite, M. A... n'est pas fondé à demander qu'une somme supplémentaire lui soit versée à ce titre.

10. D'autre part, M. A... a droit au titre de l'option " gardiennage renforcé / surveillance renforcée " à un forfait journalier de 28,30 euros sur une période de 134 jours soit un montant de 3 792,20 euros en sus du montant de 2 445 euros au titre de l'option précitée. Toutefois, il ressort des pièces versées par le préfet de l'Isère en première instance que M. A... n'a perçu qu'un montant total de 5 635 euros au titre des deux options. Par suite, il est fondé à demander que la somme de 602,20 euros lui soit versée en complément au titre des aides à la protection.

En ce qui concerne les pertes (directes et indirectes) subies par son troupeau :

11. D'une part, M. A... soutient qu'il a subi douze attaques de loups durant la saison d'estive 2020 et que trois constats d'attaques n'ont pas donné lieu à indemnisation pour un montant total de 2 016 euros. Toutefois, il résulte de l'instruction que, concernant l'attaque ayant eu lieu durant la nuit du 16 au 17 août 2020, le constat de dommages n'a été dressé que le 25 août 2020 soit 9 jours après l'attaque alors que celle-ci doit être déclarée dans les 72 heures. M. A... n'apporte aucun élément de nature à démontrer qu'il a déclaré l'attaque dans les délais prescrits. S'agissant des attaques ayant eu lieu les 12/13 août 2020 (constat 7) et le 11 octobre 2020 (constat 12), il ne ressort d'aucun élément du dossier que M. A... aurait été indemnisé pour ces attaques. Dans ces conditions, et dès lors que le ministre ne conteste pas le montant de l'indemnisation sollicité à ces titres par M. A..., il y a lieu de lui allouer les sommes de 200 euros et de 746 euros pour les constats d'attaques n° 7 et 12 non indemnisés.

12. D'autre part, aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 9 juillet 2019 pris pour l'application du décret n° 2019-722 du 9 juillet 2019 relatif à l'indemnisation des dommages causés aux troupeaux domestiques par le loup, l'ours et le lynx : " (...) Après un épisode d'attaques importantes ou en fin de saison, lorsque les conditions d'exploitation ou la topographie exposent à ce risque, le préfet de département peut déroger à cette indemnisation forfaitaire des animaux disparus, sur demande du bénéficiaire, pour prendre en compte les pertes d'animaux manifestement exceptionnelles, sur la base d'éléments probants (numéro d'identification de chaque animal disparu et catégorie du barème des pertes directes associée, sur la base d'un inventaire précis du cheptel et d'une justification des mouvements). Les pertes déjà indemnisées au titre du forfait ainsi que les pertes considérées comme naturelles sont alors déduites. (...) ".

13. M. A... sollicite une indemnisation de 11 354 euros au titre des 106 bêtes disparues sur le fondement des dispositions précitées, déduction faite du forfait de 20 % prévu dans le cadre de l'indemnisation des constats d'attaques et des pertes naturelles. Il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté par le ministre que M. A... exerce son activité selon un mode d'exploitation dit extensif c'est-à-dire en plein air et que les espaces pâturés par son troupeau de plus de 900 ovins sont situées entre 1 600 et 3 500 mètres d'altitude au sein d'un grand vallon très encaissé. A ce titre, l'alpage qui s'étend sur plus de 1 800 hectares présente un relief particulièrement difficile, escarpé, avec de nombreux " microreliefs ". Il s'en suit que les conditions d'exploitation de l'activité d'élevage de M. A... ainsi que la topographie de l'alpage l'exposent à un risque de disparition d'animaux au sens des dispositions susvisées. Par suite, et alors que le ministre ne conteste pas sérieusement l'évaluation proposée par M. A..., il sera fait une juste appréciation de ces pertes indirectes en allouant à l'intéressé la somme de 10 500 euros à ce titre.

Sur l'indemnisation du préjudice moral :

14. L'article 4 du décret n° 2019-722 du 9 juillet 2019 relatif à l'indemnisation des dommages causés aux troupeaux domestiques par le loup, l'ours et le lynx prévoit qu'aucune autre aide que celles mentionnées dans ces dispositions ne peut être versée au titre de l'indemnisation des dommages dus au loup, lynx ou ours, à l'exception des aides transitoires prévues par arrêté. Il en résulte que, sur le fondement de ces dispositions, M. A... n'est pas fondé à solliciter l'indemnisation du préjudice moral lié à la perte de ses animaux qu'il estime avoir subi. M. A... ne se prévaut en outre d'aucune faute commise par l'Etat ou la région de nature à ouvrir droit à une indemnisation à ce titre. Enfin, l'illégalité fautive de la décision du 9 septembre 2020 ne saurait ouvrir droit à une quelconque indemnisation dès lors qu'une telle illégalité n'est pas en lien avec le préjudice moral évoqué. Par suite, le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 3 du jugement attaqué, le tribunal a accordé à M. A... une indemnisation à hauteur de 500 euros en réparation de son préjudice moral.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est uniquement fondé à soutenir que c'est à tort que, par les articles 2 et 5 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a constaté qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'indemnisation tendant à ce que lui soit versé le forfait journalier sur une période de 134 jours ainsi qu'une indemnisation pour les pertes subies par son troupeau à la suite de onze des douze attaques de loup que son troupeau a subies au cours de la saison d'estive 2020 et rejeté le surplus des conclusions de sa demande pour la somme excédant 12 048,20 euros.

16. Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué, est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 3 du jugement attaqué, le tribunal a condamné l'Etat à verser à M. A... une somme de 500 euros en réparation du préjudice moral subi du fait des attaques survenues postérieurement au 9 juillet 2020.

Sur les frais liés au litige :

17. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros à M. A... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L'article 3 du jugement n° 2005037, 2006651 du 24 mars 2022 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.

Article 2 : L'article 2 du jugement n° 2005037, 2006651 du 24 mars 2022 du tribunal administratif de Grenoble est annulé en tant qu'il a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions présentées par M. A... tendant à ce que lui soit versé le forfait journalier sur une période de 134 jours ainsi qu'une indemnisation pour les pertes subies par son troupeau à la suite de onze des douze attaques de loup que son troupeau a subies au cours de la saison d'estive 2020.

Article 3 : L'Etat est condamné à verser à M. A... la somme de 602,20 euros au titre des aides à la protection non versées et la somme de 11 446 euros au titre des pertes directes et indirectes subies par son troupeau.

Article 4 : Les articles 2 et 5 du jugement n° 2005037, 2006651 du 24 mars 2022 du tribunal administratif de Grenoble sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.

Article 5 : L'Etat versera une somme de 2 000 euros à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques et au président de la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Délibéré après l'audience du 29 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,

Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 novembre 2024.

La rapporteure,

Vanessa Rémy-NérisLe président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Florence Bossoutrot

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière

2

N° 22LY01567

N° 22LY01643


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY01567
Date de la décision : 13/11/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-02-01-01-02 Responsabilité de la puissance publique. - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. - Fondement de la responsabilité. - Responsabilité sans faute. - Responsabilité fondée sur l'égalité devant les charges publiques. - Responsabilité du fait de la loi.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: Mme Vanessa REMY-NERIS
Rapporteur public ?: Mme LORDONNE
Avocat(s) : JARRE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-13;22ly01567 ?
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