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09/01/2025 | FRANCE | N°24LY00840

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 7ème chambre, 09 janvier 2025, 24LY00840


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du 5 octobre 2023 par lequel le préfet de la Côte-d'Or a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.



Par un jugement n° 2303026 du 26 février 2024, le tribunal a annulé l'arrêté du 5 octobre 2023 du préfet de la Côte-d'Or et lui a enjoint de procéder au réexamen de la si

tuation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.



Procédure devant ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du 5 octobre 2023 par lequel le préfet de la Côte-d'Or a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2303026 du 26 février 2024, le tribunal a annulé l'arrêté du 5 octobre 2023 du préfet de la Côte-d'Or et lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 26 mars 2024, le préfet de la Côte-d'Or, représenté par Me Rannou, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de M. A... devant le tribunal.

Il soutient que :

- M. A... ne peut être regardé comme ayant justifié, par les pièces qu'il a produites, des éléments de son identité et de sa nationalité ; le rapport d'un expert en fraude documentaire de la police aux frontières, qui peut renverser la présomption posée par l'article 47 du code civil, a conclu que les deux actes d'état civil présenté par M. A... sont faux ; la police aux frontières ne pouvait dévoiler les éléments sur lesquels elle s'est fondée pour parvenir à cette conclusion sans divulguer des méthodes pour créer des faux ; si l'intéressé justifie d'un passeport et d'un certificat de nationalité, ces documents ne permettent que d'établir cette dernière, et non son état civil ; l'intéressé doit être regardé comme ayant présenté une demande s'appuyant sur des documents contrefaits qui ne pouvait qu'être rejetée ;

- il est renvoyé aux écritures de première instance quant au caractère non fondé des autres moyens de la demande.

Par un mémoire enregistré le 25 juillet 2024, M. A..., représenté par Me Hebmann, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- en application de l'article 1 du décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état civil étranger, le préfet devait saisir l'autorité étrangère compétente pour procéder à la vérification des actes présentés ; le rapport d'analyse documentaire ne permet pas d'écarter la présomption de validité des documents qu'il a présentés ; le droit guinéen n'impose pas l'impression sur du papier sécurisé ; l'absence de légalisation des documents n'emporte pas leur invalidité ; les mentions prévues à l'article 555 du code civil guinéen ne s'imposent pas aux actes d'état civil et leur défaut est sans incidence ;

- le caractère réel et sérieux des études poursuivies est établi ; aucun élément du dossier ne permet de conclure qu'il aurait conservé des liens avec ses parents résidant toujours en Guinée ; il a des attaches sérieuses et solides en France ;

- le fait qu'il a déposé sa demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à l'âge de dix-huit ans et dix mois ne la rend pas irrecevable ;

- le refus de titre de séjour viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'obligation de quitter le territoire français est illégale du fait de l'illégalité du titre de séjour ;

- elle viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision fixant le pays de destination est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 juin 2 24.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code civil ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de Mme Boffy, première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant guinéen, déclarant être né le 17 janvier 2004, est entré en France en juillet 2020, et a été placé auprès des services de l'aide sociale à l'enfance de la Côte-d'Or à compter du mois de juillet 2020. Le 5 octobre 2022, il a sollicité un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par arrêté du 5 octobre 2023 dont il demande l'annulation, le préfet de la Côte-d'Or a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 26 février 2024, dont le préfet de la Côte-d'Or relève appel, le tribunal administratif de Dijon a fait droit à sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 octobre 2023.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ". Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.

3. Aux termes de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil ", ce dernier disposant que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Aux termes de l'article 1er du décret du 24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état civil étranger : " Lorsque, en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger, l'autorité administrative saisie d'une demande d'établissement ou de délivrance d'un acte ou de titre procède ou fait procéder, en application de l'article 47 du code civil, aux vérifications utiles auprès de l'autorité étrangère compétente, le silence gardé pendant huit mois vaut décision de rejet. (...) ".

4. La présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère ne peut être renversée par l'administration qu'en apportant la preuve, en menant les vérifications utiles, du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question. En particulier, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'admission au séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il appartient à l'autorité administrative d'y répondre, sous le contrôle du juge, au vu de tous les éléments disponibles, dont les évaluations des services départementaux et les mesures d'assistance éducative prononcées, le cas échéant, par le juge judiciaire, sans exclure, au motif qu'ils ne seraient pas légalisés dans les formes requises, les actes d'état civil étrangers justifiant de l'identité et de l'âge du demandeur.

5. En cas de contestation de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il revient au juge administratif de former sa conviction en se fondant sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

6. Pour refuser de délivrer à M. A... le titre de séjour demandé sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Côte-d'Or s'est fondé, d'une part, sur l'avis défavorable émis par les services de la police aux frontières de Chenôve, ne permettant pas d'établir l'état civil de l'intéressé, d'autre part, sur l'absence de caractère réel et sérieux du suivi de la formation.

7. M. A... a produit le volet 1, remis au déclarant, et le volet 4, correspondant au volet souche, d'un extrait d'acte de naissance dressé le 27 janvier 2004 à 11 heures 30 pour une naissance le 17 janvier 2004, portant chacun un tampon " copie certifiée conforme à l'original présenté à Conakry le 17 août 2021 ", la signature d'un officier d'état civil de la commune de Matam (R.G de la ville de Conakry), et au dos, un tampon de légalisation de la signature de l'officier d'état civil, par un juriste de la direction générale des affaires étrangères et des guinéens de l'étranger, à la date du 23 août 2021. Il produit par ailleurs une copie intégrale tapuscrite de cet acte, pour une naissance du 17 janvier 2004 déclarée le 27 janvier 2004 à 11 heures 30, comportant la même signature du même officier le 21 février 2020, avec là aussi, un tampon établissant la légalisation de la signature, par un juriste de la direction générale des affaires étrangères et des guinéens de l'étranger, en date du 2 mars 2020. M. A... justifie en outre d'un certificat de nationalité établi ensuite d'une demande du 10 février 2020, par la présidente du tribunal de 1ère instance de Conakry 3, qui vise l'extrait d'acte de naissance du 27 janvier 2004. Cet acte, signé par la présidente (avec apposition de son tampon), comporte un tampon " certifié conforme à l'original " avec signature du greffier en chef du 2 avril 2020. M. A... produit également une carte d'identité consulaire indiquant la même date de naissance, délivrée par l'ambassade de Guinée en France, et il ressort des termes de l'arrêté que les services de la police aux frontières lui ont délivré un passeport valable du 6 juillet 2022 au 6 juillet 2027, déclaré authentique aux conclusions du rapport d'examen technique documentaire établi le 2 mars 2023.

8. Il ressort de ce rapport des services de la police aux frontières qu'au regard d'une personnalisation manuscrite et d'une impression sur papier recyclé, de type toner, accessible au grand public, le support de l'extrait d'acte de naissance présenté par M. A... ne présente pas une sécurité documentaire suffisante. Les services de police ont également opposé l'absence de double légalisation et ont relevé que la copie d'acte de naissance ne portait pas les mentions prévues par l'article 555 du code de procédure civil guinéen. Toutefois, d'une part, M. A... soutient sans être contredit qu'aucun texte guinéen n'impose l'utilisation de papier ou supports sécurisés relativement aux actes d'état civil. D'autre part, les dispositions de l'article 555 du code de procédure civil guinéen ne trouvent pas à s'appliquer aux actes d'état civil. Enfin, le préfet n'apporte aucune justification sérieuse à l'absence de valeur probante des légalisations apposées sur les documents. Ainsi, les éléments sur lesquels se fonde l'administration n'apparaissent pas suffisants pour renverser la présomption de validité dont bénéficient les actes d'état civil produits par M. A.... Par suite, et alors que ni les services de l'aide sociale à l'enfance, ni le juge aux enfants, n'ont remis en cause l'âge de l'intéressé, c'est par une inexacte application de ces règles que, comme l'a jugé le tribunal, l'autorité préfectorale a opposé à sa demande de titre de séjour le motif de refus tiré de ce que ses documents d'identité et d'état civil étaient dépourvus de valeur probante.

9. Le tribunal a également retenu qu'il ne résultait " pas de l'instruction que le préfet de la Côte-d'Or aurait pris la même décision s'il s'était fondé sur le motif tiré de l'absence de caractère réel et sérieux de la formation suivie (...) " et que donc l'intéressé remplissait les autres conditions d'attribution d'un titre de séjour en application de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Devant la cour, et sans chercher à remettre en cause l'appréciation à laquelle se sont ainsi livré les premiers juges, le préfet s'est borné à renvoyer à ses écritures de première instance. Ce faisant, sa contestation du jugement devant la cour est demeurée inutile.

10. Il en résulte que le préfet n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a annulé l'arrêté contesté.

Sur les frais liés au litige :

11. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que l'avocat de M. A... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au profit de cet avocat au titre des frais liés au litige.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet de la Côte-d'Or est rejetée.

Article 2 : L'État versera à l'avocat de M. A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve qu'il renonce à percevoir la contribution de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre d'État, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Côte-d'Or.

Délibéré après l'audience du 19 décembre 2024 à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre ;

Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;

Mme Boffy, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 janvier 2025.

La rapporteure,

I. Boffy

Le président,

V-M. Picard

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre d'État, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 24LY00840

al


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 24LY00840
Date de la décision : 09/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. PICARD
Rapporteur ?: Mme Irène BOFFY
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : CENTAURE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-09;24ly00840 ?
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