Vu les procédures suivantes :
Procédures contentieuses antérieures
M. D... B... et Mme C... A... épouse B... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble, chacun pour ce qui le concerne, d'annuler les décisions du 14 novembre 2023 par lesquelles le préfet de la Haute-Savoie leur a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement et leur a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par jugement nos 2308275, 2308278 du 24 janvier 2024, le magistrat désigné du tribunal a rejeté ces demandes.
Procédures devant la cour
Par une requête enregistrée le 20 février 2024 M. et Mme B..., représentés par Me Djinderedjian, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et les décisions du préfet de la Haute-Savoie du 14 novembre 2023 les concernant ;
2°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie, sous astreinte de cent euros par jour de retard, après leur avoir remis une autorisation provisoire de séjour dans les meilleurs délais, de réexaminer leur situation administrative dans le délai d'un mois ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- les obligations de quitter le territoire français méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3,1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- les décisions fixant le pays de destination méconnaissent l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les interdictions de retour sur le territoire français sont entachées d'erreur matérielle et d'erreur d'appréciation et portent une atteinte disproportionnée à leur vie privée et familiale ;
La requête a été communiquée au préfet de la Haute-Savoie qui n'a pas produit d'observations.
M. et Mme B... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions du 27 mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Evrard ;
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B..., ressortissants albanais nés, respectivement, le 3 novembre 1994 et le 25 juin 1997, sont entrés le 24 novembre 2022 en France, selon leurs déclarations, et ont demandé l'asile. Leurs demandes ont été rejetées par des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 17 juillet 2023, confirmées par la Cour nationale du droit d'asile le 27 septembre 2023. M. et Mme B... relèvent appel du jugement du 24 janvier 2024 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes d'annulation des décisions du préfet de la Haute-Savoie du 14 novembre 2023 leur faisant obligation de quitter le territoire français sur le fondement des dispositions du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, leur accordant un délai de départ volontaire de trente jours, fixant le pays de destination de ces mesures d'éloignement et leur faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. M. et Mme B... se prévalent de leur bon comportement sur le territoire français et de l'état de santé de leur fils, âgé de cinq ans, lequel bénéficie d'une prise en charge psychologique depuis le 20 octobre 2023. Il ressort toutefois des pièces du dossier que M. et Mme B..., entrés en France un an avant l'adoption des obligations de quitter le territoire français en litige, n'ont été admis au séjour que durant l'examen de leur demande d'asile. Il ne ressort pas des pièces du dossier, et, notamment, des certificats médicaux produits, établis par un psychologue clinicien et par un pédopsychiatre le 25 octobre 2023 et le 24 novembre 2023, que le fils des requérants serait atteint d'une pathologie dont le défaut de prise en charge pourrait avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité ni qu'il ne pourrait bénéficier, le cas échéant, d'une prise en charge adaptée à son état de santé en Albanie. En outre, les requérants ne font état d'aucune circonstance faisant obstacle à ce qu'ils reconstituent leur cellule familiale dans leur pays d'origine, dont tous les membres ont la nationalité et où ils ont vécu, respectivement, jusqu'à l'âge de vingt-huit et vingt-cinq ans. Dans les circonstances de l'espèce, le préfet de la Haute-Savoie, en les obligeant à quitter le territoire français, n'a pas porté au droit des intéressés au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels ces décisions ont été prises. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations citées au point 2 ne peut être accueilli. Il n'est pas davantage établi que le préfet aurait entaché ses décisions d'erreur manifeste d'appréciation de leurs conséquences sur la situation personnelle des intéressés.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives (...), l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
5. D'une part, rien ne s'oppose à ce que la scolarisation des enfants mineurs des requérants, nés en 2018 et 2023, se poursuive en Albanie où la cellule familiale a vocation à se reconstituer. D'autre part, les certificats médicaux produits qui, comme il a été dit, ne contiennent aucune indication sur la gravité de la pathologie ni les conséquences d'une absence de prise en charge, ne suffisent pas à établir que l'intérêt supérieur de cet enfant n'aurait pas été pris en compte par le préfet. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations citées au point 4 doit être écarté.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines et traitements inhumains et dégradants (...) ". Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (...) ".
7. M. et Mme B... soutiennent qu'un retour en Albanie est susceptible de les exposer à des menaces de la part de la famille de Mme B... qui s'oppose à leur union. Toutefois, les requérants, qui se bornent à produire l'attestation d'une éducatrice au sein de l'association qui les accueille, laquelle retrace uniquement les déclarations de l'intéressée, ainsi qu'un certificat attestant de la naissance d'un enfant mort-né en Turquie, ne produisent aucun élément probant de nature à établir qu'ils seraient personnellement exposés à des peines et traitements inhumains et dégradants en cas de retour en Albanie, alors au demeurant que la Cour nationale du droit d'asile n'a pas tenu leurs craintes pour établies. Par suite, en fixant le pays à destination duquel M. et Mme B... sont susceptibles d'être éloignés, le préfet de la Haute-Savoie n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, non plus que les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...) ".
9. Si M. et Mme B... n'ont pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement et si leur présence sur le territoire ne génère aucun trouble à l'ordre public, ils résidaient, à la date des décisions litigieuses, depuis seulement un an sur le territoire français où ils ne se prévalent d'aucune attache privée ou familiale. Dès lors, le préfet de la Haute-Savoie a pu, sans erreur d'appréciation, prononcer à leur encontre la mesure litigieuse d'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
10. En dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 3, le préfet de la Haute-Savoie n'a ni méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni commis d'erreur manifeste d'appréciation de leurs situations, en prenant à l'encontre de M. et Mme B... des interdictions de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
11. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes.
12. Le présent arrêt rejetant les conclusions à fin d'annulation de M. et Mme B... et n'appelant, dès lors, aucune mesure d'exécution, leurs conclusions à fin d'injonction doivent également être rejetées.
13. Enfin, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par M. et Mme B....
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... épouse B..., à M. D... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 12 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre,
Mme Evrard, présidente-assesseure,
M. Savouré, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 janvier 2025.
La rapporteure,
A. EvrardLe président,
Ph. Arbarétaz
La greffière,
F. Faure
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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No 24LY00504