Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiées (SAS) " Récup-Points-Permis-Conduire " (RPPC) et Mme B... A... épouse C... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Etat à leur verser la somme de 120 000 euros en réparation de l'ensemble de leurs préjudices, outre intérêts.
Par un jugement n° 2102764 du 5 janvier 2024, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 11 mars 2024 la SAS RPPC et Mme B... A... épouse C... demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et de condamner l'Etat à leur verser la somme de 42 200 euros en réparation de l'ensemble de leurs préjudices, outre intérêts à compter du 25 décembre 2020 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société RPPC et Mme C... soutiennent que :
- le préfet de la Savoie a commis une faute en refusant, par une décision du 1er février 2017 annulée par le tribunal administratif de Grenoble, de délivrer à Mme C... un agrément pour exploiter un établissement chargé d'animer des stages de sensibilisation à la sécurité routière ;
- cette faute engage la responsabilité de l'Etat et la réparation doit être intégrale ;
- la société a perdu une chance de réaliser un chiffre d'affaires de 92 000 euros pour la période du 1er février 2017 au 18 avril 2019 et un bénéfice correspondant de 32 200 euros, somme que l'Etat doit être condamné à lui verser ;
- elles ont subi un préjudice moral par atteinte à leur réputation professionnelle, dans un contexte très concurrentiel.
Par un mémoire enregistré le 23 octobre 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Le ministre fait siennes les observations produites en défense par le préfet de la Savoie devant le tribunal et fait en outre valoir que :
- Mme C... n'est pas fondée à demander en son nom propre réparation de préjudices causés à la société RPPC ;
- les préjudices allégués ne sont pas démontrés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la route ;
- l'arrêté du 26 juin 2012 fixant les conditions d'exploitation des établissements chargés d'organiser les stages de sensibilisation à la sécurité routière ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 16 décembre 2024 :
- le rapport de M. Gros, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... épouse C..., alors représentante légale de la SAS RPPC, a, en novembre 2016, sollicité auprès des services de la préfecture de Savoie la délivrance de l'agrément nécessaire à l'organisation par son établissement de stages de sensibilisation à la sécurité routière en vue de la récupération de points de permis de conduire. Le préfet de ce département lui a opposé un refus par une décision du 1er février 2017, que le tribunal administratif de Grenoble a annulée par un jugement du 18 avril 2019, devenu définitif. Par courrier du 25 décembre 2020, Mme C... et la SAS RPPC ont, en vain, réclamé au préfet de la Savoie le versement d'une indemnité d'un montant total de 102 000 euros, en réparation de leurs préjudices nés de l'illégalité du refus du 1er février 2017. Mme C... et la SAS RPPC relèvent appel du jugement du 5 janvier 2014 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant au versement de cette indemnité.
Sur la responsabilité :
2. D'une part, contrairement à ce que fait valoir le ministre en défense, les préjudices des requérantes ne trouvent pas leur cause dans une situation irrégulière dans laquelle elles se seraient elles-mêmes placées et à laquelle l'administration aurait pu légalement mettre fin à tout moment, mais bien dans le refus illégal opposé le 1er février 2017 par le préfet de la Savoie à la demande d'agrément formulée par Mme C..., gérante de la SAS RPPC. La faute commise par le préfet en prenant cette décision illégale engage la responsabilité de l'Etat.
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 213-2 du code de la route, dans sa rédaction applicable à la date du refus illégal, l'agrément requis pour exploiter un établissement organisant des stages de sensibilisation à la sécurité routière est délivré aux personnes " remplissant les conditions suivantes : 1° Ne pas avoir fait l'objet d'une condamnation prononcée par une juridiction française ou par une juridiction étrangère à une peine criminelle ou à une peine correctionnelle pour l'une des infractions prévues à l'article R. 212-4 / 2° Justifier d'une formation initiale à la gestion technique et administrative d'un établissement agréé pour l'animation des stages de sensibilisation à la sécurité routière / 3° Etre âgé d'au moins vingt-cinq ans / (...) / 5° Justifier des garanties minimales concernant les moyens de formation de l'établissement. Ces garanties concernent les locaux, les moyens matériels, les modalités d'organisation de la formation et, le cas échéant, les véhicules / 6° Justifier de la qualification des personnels animateurs qui doivent être titulaires de l'autorisation mentionnée au II de l'article R. 212-2 ".
4. Par son jugement du 18 avril 2019 le tribunal a annulé la décision du 1er février 2017 du préfet de la Savoie au motif que le refus d'agrément opposé par cette autorité ne pouvait pas reposer sur l'irrégularité d'un stage organisé par Mme C... les 23 et 24 décembre 2016 au Brit hôtel à Chambéry. Le ministre ne se prévaut d'aucune des dispositions de l'article R. 213-2 du code de la route comme étant susceptible de fonder le refus d'agrément du 1er février 2017 et de faire obstacle à l'engagement de la responsabilité de l'Etat.
5. Il résulte de ce qui précède que la SAS RPPC et Mme C..., cette dernière au regard de préjudices qui lui seraient propres, sont fondées à rechercher la responsabilité de l'Etat à raison de l'illégalité fautive du refus d'agrément opposé le 1er février 2017 par le préfet de la Savoie.
Sur les préjudices :
6. Il résulte de l'instruction que la société RPPC était susceptible d'animer, à compter du 1er février 2017, annuellement et effectivement, six stages de deux jours dans son établissement du département de la Savoie. Sur la base d'un nombre maximal de 20 stagiaires et d'un prix de vente du stage de 136 euros, la société RPPC aurait réalisé un chiffre d'affaires dont le montant peut être estimé à 36 000 euros pour la période du 1er février 2017 au 18 avril 2019. Les pièces comptables produites par les requérantes font apparaître que le résultat de l'exercice 2017 de la société représente 1,51 % du chiffre d'affaires de cet exercice et qu'elle n'a engrangé aucun résultat en 2018, ses charges d'exploitation dépassant son chiffre d'affaires, constitué des ventes. En prenant pour base le montant estimé du chiffre d'affaires et le taux précité, le préjudice indemnisable de la société RPPC, résultant de la perte de chance de réaliser un chiffre d'affaires dans le département de la Savoie, et, par suite, un bénéfice ou résultat net, peut être estimé à 550 euros.
7. En revanche, il ne résulte pas de l'instruction que la décision de refus d'agrément du 1er février 2017, qui n'a pas fait l'objet d'une publicité autre que son insertion dans le recueil des actes administratifs de la préfecture de la Savoie, porterait une atteinte à la réputation professionnelle de la société RPPC ou de Mme C..., constitutive d'un préjudice moral. Dans ces conditions, ce chef de préjudice ne peut qu'être écarté.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS RPPC est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Il y a ainsi lieu d'annuler le jugement en litige du 5 janvier 2024 en tant qu'il rejette les conclusions indemnitaires présentées par la SAS RPPC et de condamner l'Etat à verser à cette société la somme de 550 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 décembre 2020.
Sur les frais de l'instance :
9. En application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, au profit de la SAS RPPC, au titre des frais exposés par cette dernière et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2102764 du 5 janvier 2024 du tribunal administratif de Grenoble est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions de la SAS RPPC.
Article 2 : L'Etat versera à la SAS RPPC une somme de 550 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 décembre 2020.
Article 3 : L'Etat versera à la SAS RPPC la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS RPPC, à Mme B... A... épouse C... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 16 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Stillmunkes, président assesseur,
M. Gros, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 janvier 2025.
Le rapporteur,
B. Gros
Le président,
F. Pourny
La greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N° 24LY00674 2