Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
L'union syndicale Solidaires 89 et M. D... B... ont demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision par laquelle le recteur de l'académie de Dijon a fait le choix de procéder au recrutement de Mme E... en qualité d'agent contractuel en remplacement de M. D... B..., professeur de philosophie au lycée de Tonnerre, dans le cadre de l'exercice, par ce dernier, de son droit de grève.
Par un mémoire distinct, ils ont demandé au tribunal, en application de l'article 61-1 de la Constitution et de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'État une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité à la Constitution des dispositions des articles L. 332-2 et L. 114-2 du code général de la fonction publique et de l'article 2 de la loi n° 50-400 du 3 avril 1950 portant réforme de l'auxiliariat.
Par un jugement n° 2301440 du 25 juin 2024, le tribunal a, d'une part, refusé de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité et, d'autre part, rejeté leur demande.
Procédure devant la cour
Par une requête sommaire et des mémoires enregistrés les 23 et 28 août 2024 et le 14 janvier 2025, ce dernier n'ayant pas été communiqué, l'union syndicale Solidaires 89 et M. D... B..., représentés par Me Crusoé, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté leur demande principale ;
2°) d'annuler la décision du recteur de l'académie ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- ils justifient d'un intérêt à agir contre la décision attaquée devant le tribunal ;
- la rectrice de l'académie n'a pas qualité pour représenter l'État en appel ;
- le jugement est irrégulier à défaut, d'une part, d'avoir fait apparaître, dans les visas, un rappel suffisamment précis des moyens présentés par les parties requérantes et par le défendeur et, d'autre part, d'être suffisamment motivé en l'absence de réponse au moyen tiré de l'erreur d'appréciation commise par l'administration à avoir recruté un agent contractuel sans démontrer qu'aucun autre fonctionnaire de secteur ne pouvait être mobilisé pour assurer les services d'enseignement en cause ;
- les pièces du dossier ne permettent pas d'établir la compétence du signataire de la décision en litige ;
- la décision est entachée d'une méconnaissance des dispositions de l'article L. 1242-6 du code du travail, qui doivent être regardées comme instituant un principe général qui est applicable à l'ensemble des relations de travail ;
- elle méconnaît l'article L. 332-6 du code général de la fonction publique qui prévoit de façon exhaustive les conditions dans lesquelles un agent non titulaire peut être recruté pour effectuer le remplacement d'un agent ;
- elle porte atteinte au droit constitutionnel de grève, le recrutement d'un remplaçant en contrat à durée déterminée ne visant pas à satisfaire des nécessités de l'ordre public ou des besoins essentiels du pays ;
- les articles 1er et 4 du décret du 29 août 2016 ne posent aucune règle dont il résulterait que l'administration pouvait, dans les circonstances qui sont celles de la présente espèce, procéder au recrutement litigieux ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 janvier 2025, la rectrice de l'académie de Dijon conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Mme E... à laquelle la requête a été communiquée n'a pas présenté d'observations.
Par un courrier en date du 2 décembre 2024, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour était susceptible de fonder son arrêt sur le moyen relevé d'office tiré de ce que la demande présentée par l'union syndicale Solidaires 89 et M. B... devant le tribunal n'était pas recevable, faute d'intérêt à agir des requérants contre la décision par laquelle le recteur de l'académie de Dijon a décidé de recruter Mme E....
L'union syndicale Solidaires 89 et M. B... ont présenté des observations sur ce moyen relevé d'office le 9 décembre 2024 qui ont été communiquées.
Par un mémoire distinct, enregistré le 27 août 2024, l'union syndicale Solidaires 89 et M. B..., représentés par Me Crusoé, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté leur demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ;
2°) de transmettre au Conseil d'État leur question prioritaire de constitutionnalité.
Ils soutiennent que :
- les articles L. 332-2 et L. 114-2 du code général de la fonction publique et 2 de la loi du 3 avril 1950 portant réforme de l'auxiliariat sont applicables au présent litige ;
- aucune décision du Conseil constitutionnel n'a déjà déclaré conformes à la Constitution ces dispositions ;
- ces dispositions soulèvent une question sérieuse de constitutionnalité ; elles ne prévoient pas, comme l'article L. 1242-6 du code du travail pour les salariés de droit privé, l'interdiction de conclure un contrat de travail à durée déterminée pour remplacer un agent en grève et portent ainsi atteinte au droit de grève, protégé par le septième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; le législateur a ainsi, par son incompétence négative, porté une atteinte inconstitutionnelle au droit de grève ; en méconnaissance du principe d'égalité devant la loi protégé par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, elles instituent une différence de traitement qui n'est ni justifiée par une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi, puisque basée sur la seule différence de statut de droit public ou de droit privé sans que les personnes concernées se trouvent nécessairement dans une situation différente, ni justifiée par un motif d'intérêt général en rapport direct avec cet objet, puisque la nécessité de restreindre le droit de grève pour assurer la continuité de la vie de la Nation ou des activités essentielles à l'utilité publique peut concerner indifféremment des agents de droit public et des agents de droit privé.
Par un mémoire enregistré le 14 octobre 2024, le recteur de l'académie de Dijon conclut au rejet de la contestation du refus de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité.
Il soutient que :
- la contestation du refus de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité, qui se borne à reprendre la demande de transmission de cette question devant le tribunal, n'est pas recevable ;
- ni l'article L. 114-2 du code général de la fonction publique ni les dispositions de l'article 2 de la loi du 3 avril 1950 ne sont applicables au litige ;
- le Conseil constitutionnel a déjà déclarés conformes à la Constitution les 2° et 3° de l'article 4 de la loi du 11 janvier 1984 codifiés, à l'identique, à l'article L. 332-2 du code général de la fonction publique par sa décision 2019-790 DC du 1er août 2019 ;
- la question n'est pas sérieuse.
Par une ordonnance du 10 janvier 2025, la clôture d'instruction, qui devait avoir lieu quatre jours francs avant l'audience, a été fixée au 15 janvier 2025.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
- et les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Pour remplacer pour la période du 4 mai 2023 au 7 juillet 2023 M. D... B..., agent titulaire de la fonction publique d'État, professeur de philosophie au lycée général et technologique Chevalier d'Eon situé sur le territoire de la commune de Tonnerre, qui a été en grève à plusieurs reprises sur une période comprise entre le 19 janvier 2023 et le 14 juin 2023, le recteur de l'académie de Dijon a décidé de procéder au recrutement de Mme A... en qualité d'agent contractuel par un contrat signé le 5 mai 2023. L'union syndicale Solidaires 89 et M. B... ont demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler cette décision. Ils devaient ainsi être regardés comme demandant l'annulation de ce contrat de recrutement d'un agent non titulaire de l'État. Ils relèvent appel du jugement du 25 juin 2024 par lequel le tribunal, après avoir refusé de transmettre au Conseil d'État une question prioritaire de constitutionnalité, a rejeté leur demande d'annulation.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, le jugement attaqué vise avec suffisamment de précision les moyens présentés par les parties.
3. En second lieu, si dans leurs dernières écritures devant le tribunal, les demandeurs de première instance ont fait valoir que l'administration ne pouvait recruter un agent contractuel sans démontrer qu'aucun autre fonctionnaire de secteur ne pouvait être mobilisé pour assurer les services d'enseignement en cause, toutefois, le tribunal n'était pas tenu de répondre à ce moyen qui était, compte tenu du fondement légal du contrat, inopérant. Le moyen tiré de l'omission de répondre à ce moyen ne peut qu'être écarté.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
4. Le recrutement par la décision contestée d'un agent non titulaire de l'État était ici seulement destiné à assurer, dans l'intérêt des élèves de terminale du lycée général et technologique Chevalier d'Éon concernés par les épreuves du bac, et pour une durée limitée, le remplacement de leur professeur de philosophie, agent titulaire, qui était régulièrement en grève depuis plusieurs semaines et donc absent.
5. En premier lieu, la décision contestée, compte tenu de son objet, n'a pas fait obstacle à la mise en œuvre par M. B... de son droit de grève. Cette décision n'a pas davantage porté atteinte aux droits et prérogatives que ce dernier détient en sa qualité de professeur titulaire, notamment le droit de grève et le droit à réintégration de son poste à l'issue de l'exercice de ce droit. M. B... est, dès lors, sans intérêt à demander l'annulation de cette décision.
6. En second lieu, et d'une part, aux termes de l'article L. 3132-20 du code du travail : " Lorsqu'il est établi que le repos simultané, le dimanche, de tous les salariés d'un établissement serait préjudiciable au public ou compromettrait le fonctionnement normal de cet établissement, le repos peut être autorisé par le préfet, soit toute l'année, soit à certaines époques de l'année seulement suivant l'une des modalités suivantes : 1° Un autre jour que le dimanche à tous les salariés de l'établissement ; 2° Du dimanche midi au lundi midi ; 3° Le dimanche après-midi avec un repos compensateur d'une journée par roulement et par quinzaine ; 4° Par roulement à tout ou partie des salariés ".
7. D'autre part, aux termes de l'article L. 2131-1 du code du travail : " Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels, des personnes mentionnées dans leurs statuts ". Aux termes de l'article L. 2132-3 du même code : " Les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice. / Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent ". Aux termes de l'article L. 2133-3 de ce code : " Les unions de syndicats jouissent de tous les droits conférés aux syndicats professionnels par le présent titre ".
8. Il résulte des dispositions précitées des articles L. 2131-1 et L. 2132-3 du code du travail que tout syndicat professionnel peut utilement, en vue de justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation d'une décision administrative, se prévaloir de l'intérêt collectif que la loi lui donne pour objet de défendre, dans l'ensemble du champ professionnel et géographique qu'il se donne pour objet statutaire de représenter, sans que cet intérêt collectif ne soit limité à celui de ses adhérents. En application de l'article L. 2133-3 précité du même code, il en va de même d'une union de syndicats, sauf stipulations contraires de ses statuts. Dans ce cadre, l'intérêt pour agir d'un syndicat ou d'une union de syndicats en vertu de cet intérêt collectif s'apprécie au regard de la portée de la décision contestée.
9. L'union syndicale Solidaires 89, qui regroupe, selon l'article 1er de ses statuts, dans le département de l'Yonne, les syndicats et les composantes des organisations syndicales affiliées à l'union syndicale Solidaires nationale ainsi que tout autre syndicat ou section adhérent à ses statuts et qui a notamment pour objet, selon l'article 2 de ses statuts, conformément aux dispositions légales précitées, de renforcer la défense des intérêts des syndicats membres et des adhérents, ne justifie pas, eu égard à la portée de la décision contestée telle qu'elle a été décrite ci-dessus, d'un intérêt lui donnant qualité pour en demander l'annulation.
10. Compte tenu de ce qui précède, les conclusions M. B... et de l'union syndicale solidaires 89 présentées devant le tribunal tendant à l'annulation de la décision de recruter de Mme E... n'étaient pas recevables. Dans ces conditions, l'appel des requérants doit être rejeté sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité tirée de ce que les articles L. 332-2 et L. 114-2 du code général de la fonction publique et 2 de la loi du 3 avril 1950 portant réforme de l'auxiliariat porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.
11. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'irrecevabilité des écritures en défense, opposée par les requérants, que l'union syndicale solidaires 89 et M. B... ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté leur demande et refusé de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'État, qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, verse une somme aux requérants en application de ces dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'union syndicale solidaires 89 et M. B... est rejetée, y compris en ce qu'elle concerne la question prioritaire de constitutionnalité.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'union syndicale solidaires 89, à M. D... B..., à Mme C... E... et à la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Copie en sera adressée à la rectrice de l'académie de Dijon.
Délibéré après l'audience du 16 janvier 2025 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
Mme Boffy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2025.
La rapporteure,
A. Duguit-LarcherLe président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne à la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY02460
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