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03/04/2025 | FRANCE | N°23LY02852

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 5ème chambre, 03 avril 2025, 23LY02852


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



La société civile (SC) Le Cairn a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2017 et de condamner l'Etat à lui verser des intérêts moratoires en application de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales.



Par un jugement n° 2201708 du 11 juillet 2023, le tribunal administratif de Lyon a rejet

é sa demande.



Procédure devant la cour



Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 sep...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société civile (SC) Le Cairn a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2017 et de condamner l'Etat à lui verser des intérêts moratoires en application de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales.

Par un jugement n° 2201708 du 11 juillet 2023, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 septembre 2023 et le 19 décembre 2024, la SC Le Cairn, représentée par Me Mosse, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 11 juillet 2023 ou de le réformer ;

2°) de faire droit à sa demande ou, à titre subsidiaire, de prononcer la décharge des pénalités et de lui accorder les intérêts moratoires en application de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal a insuffisamment répondu au moyen,fondé, tiré de ce que l'administration avait manqué à son devoir de loyauté dans la conduite de la procédure ;

- l'avis de mise en recouvrement est insuffisamment motivé ;

- l'écart significatif entre le prix de cession des titres de la SAS A... Hydro et leur valeur de marché n'est pas caractérisé ;

- l'intention libérale lors de la cession des titres n'est pas caractérisée, notamment en l'absence de relation d'intérêts.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 décembre 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la SC Le Cairn ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Soubié, première conseillère,

- les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique,

- et les observations de Me Jaricot pour la SC Le Cairn.

Considérant ce qui suit :

1. La société anonyme (SA) Holding A..., dirigée par M. Frédéric Manjot, président du directoire, exerce une activité de holding. Au 1er janvier 2015, la société, qui avait pour associés M. Frédéric Manjot et quatre membres de sa famille, détenait quatre filiales, dont la société par actions simplifiées (SAS) A... Hydro, dirigée par M. Frédéric Manjot et dont l'objet social est la fabrication, la vente et la réparation de bennes ainsi que toutes applications hydrauliques. Lorsque trois des cinq associés de la SA Holding A... ont émis le souhait de cesser leur activité professionnelle, chacun des cinq associés a créé une nouvelle société holding personnelle, sous la forme d'une société civile, à laquelle ils ont chacun fait apport des titres qu'ils détenaient. M. Frédéric Manjot a ainsi constitué la société civile (SC) Le Cairn, à laquelle il a apporté les titres qu'il détenait dans la SA Holding A... et dans certaines filiales, notamment les trois parts de la SAS A... Hydro. La SA Holding A... a ensuite cédé aux sociétés civiles des deux associés souhaitant poursuivre l'exploitation les parts qu'elle détenait dans les quatre filiales, soit intégralement soit en répartissant les titres entre les deux sociétés civiles. C'est ainsi que, le 30 décembre 2015, la SA Holding A... a cédé à la SC Le Cairn la totalité des parts qu'elle détenait dans la SAS A... Hydro, pour un prix de 7 837 00 euros par action. Le 30 avril 2016, la SC Le Cairn a toutefois cédé un tiers des titres de la SAS A... Hydro à une société tierce, au prix unitaire de 11 907 euros. A la suite d'un contrôle sur pièces de la SC Le Cairn, consécutif à la vérification de comptabilité de la SA Holding A..., l'administration fiscale a remis en cause la valeur vénale des 492 actions de la SAS A... Hydro cédées par la SA Holding A... à la SC Le Cairn et corrigé au titre de l'exercice 2017, premier exercice non prescrit, la valeur d'origine des titres de participation de la SAS A... Hydro inscrits à l'actif de la SC Le Cairn pour y substituer leur valeur vénale corrigée égale à 6 518 508 euros, augmentant ainsi l'actif net de l'entreprise. Le service a tenu compte de la vente du 30 avril 2016 en limitant le montant de l'insuffisance d'actif réintégré à la somme de 1 748 076 euros. Par un jugement dont la SC Le Cairn relève appel, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie de ce fait au titre de l'exercice 2017.

Sur la régularité du jugement :

2. En rappelant au point 3 de son jugement l'origine des informations utilisées par le service pour rehausser l'impôt sur les sociétés auquel la société Le Cairn a été assujettie sans avoir engagé de procédure de vérification à son encontre et l'absence de consultation de tout document de nature comptable provenant de la comptabilité de la société SC Le Cairn, le tribunal a suffisamment répondu au moyen soulevé par la requérante tiré du manquement de l'administration à son devoir de loyauté.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales : " (...) une vérification de comptabilité ou un examen de comptabilité ne peut être engagé sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification ou par l'envoi d'un avis d'examen de comptabilité. / Cet avis doit préciser les années soumises à vérification et mentionner expressément, sous peine de nullité de la procédure, que le contribuable a la faculté de se faire assister par un conseil de son choix. / (...). ".

4. Il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 14 octobre 2020, que l'imposition litigieuse a été établie au regard des informations obtenues lors de la vérification de comptabilité de la SA Holding A... au cours de laquelle cette société était représentée par M. Frédéric Manjot. La SC Le Cairn, qui a été mise à même de contester la position de l'administration fiscale dans le cadre de la procédure de rectification contradictoire mise en œuvre à la suite du contrôle sur pièces, ne peut se prévaloir d'un manquement au devoir de loyauté à l'appui de sa demande en décharge. En tout état de cause, il n'est pas allégué que M. Frédéric Manjot aurait été induit en erreur par la vérificatrice, qui n'était pas tenue d'informer son interlocuteur que les éléments recueillis lors du contrôle de la SA Holding A... pouvaient être utilisés pour procéder à des rectifications de l'imposition de la SC Le Cairn. Par suite, le moyen tiré du manquement au devoir de loyauté doit être écarté.

5. En second lieu, la SC Le Cairn reprend en appel le moyen, qu'elle avait soulevé en première instance, tiré de l'insuffisance de motivation de l'avis de mise en recouvrement au regard des dispositions de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par les premiers juges au point 5 du jugement attaqué.

En ce qui concerne le bien-fondé de l'imposition :

6. Aux termes de l'article 38 du code général des impôts, dans sa rédaction applicables au litige : " 1. Sous réserve des dispositions des articles 33 ter, 40 à 43 bis et 151 sexies, le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation. / 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. / (...). ". Aux termes de l'article 38 quinquies de l'annexe III au même code : " 1. Les immobilisations sont inscrites au bilan pour leur valeur d'origine. / Cette valeur d'origine s'entend : / a. Pour les immobilisations acquises à titre onéreux , du coût d'acquisition (...).". Il résulte de ces dernières dispositions que, dans le cas où le prix de l'acquisition d'une immobilisation a été volontairement minoré par les parties pour dissimuler une libéralité faite par le vendeur à l'acquéreur, l'administration est fondée à corriger la valeur d'origine de l'immobilisation, comptabilisée par l'entreprise acquéreuse pour son prix d'acquisition, pour y substituer sa valeur vénale, augmentant ainsi son actif net.

S'agissant de la valeur vénale des titres :

7. La valeur vénale des titres d'une société non admise à la négociation sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession est intervenue. L'évaluation des titres d'une telle société doit être effectuée, par priorité, par référence au prix d'autres transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires. En l'absence de telles transactions, celle-ci peut légalement se fonder sur la combinaison de plusieurs méthodes alternatives.

8. Il résulte de l'instruction, en particulier de la proposition de rectification du 14 octobre 2020, que pour déterminer la valeur vénale unitaire des 492 actions de la SAS A... Hydro cédées par la SA Holding A... à la SC Le Cairn, le service, en l'absence de transaction comparable, a utilisé une méthode consistant à retenir une moyenne pondérée au regard de la taille de l'entreprise, de son activité industrielle et de l'étendue des pouvoirs de décision transmis à l'acquéreur, par application de coefficients de 1 à 3 à des valeurs mathématique et de productivité et à la marge brute d'autofinancement. Sur la base de cette méthode, le service a estimé la valeur vénale de chaque action à 13 249 euros, contre une valeur initiale 7 837 euros et une valeur de 11 907 euros lors de la vente de parts de la SAS A... Hydro en avril 2016.

9. En premier lieu, en se prévalant d'une proposition de rachat par un tiers de l'ensemble des sociétés détenues par la famille A... dont le détail n'est pas produit, s'agissant notamment des contreparties attendues des actionnaires, ainsi que du prix de la revente d'une partie des titres de la SAS A... Hydro intervenue le 30 avril 2016, soit postérieurement à la cession ayant fait l'objet du contrôle sur pièces et qui ne peut être ainsi regardée comme une transaction comparable, la SC Le Cairn ne conteste pas sérieusement la combinaison de méthodes retenue par l'administration pour approcher au mieux la valeur économique de la SAS A... Hydro, au-delà de sa seule valeur patrimoniale

10. En deuxième lieu, pour l'application de sa méthode, le service a retenu, d'une part, un coût moyen pondéré du capital investi de 8,36 % et une durée de huit ans pour le calcul de la rente de survaleur en raison de la pérennité de l'activité et de l'entreprise, d'autre part, une valeur unitaire de productivité de 19 169 euros en prenant notamment en compte le taux annuel des obligations à terme français à dix ans, soit 0,88 %, enfin une valeur unitaire par la marge brute d'autofinancement de 14 366 euros après application d'un coefficient multiplicateur de 10 au vu de la faiblesse des investissements de la société.

11. Si selon la SC Le Cairn, une durée de six aurait été plus pertinent pour le calcul de la rente de survaleur, elle n'apporte pas suffisamment de précisions sur se point, en invoquant des considérations très générales relatives aux risques pesant sur la pérennité de l'entreprise. Par ailleurs, le rapport d'évaluation réalisé à sa demande n'établit pas la réalité des investissements significatifs allégués en retenant une moyenne de 66 000 euros d'investissements directs sur les exercices 2013 à 2015, hors loyers, dès lors que ceux-ci ne peuvent être comptabilisés comme des investissements en application de normes entrées en vigueur postérieurement à la cession initiale des parts. Il s'ensuit que la SC Le Cairn n'est pas fondée à soutenir que le coefficient d'actualisation de la rente et le coefficient multiplicateur retenus par l'administration fiscale pour le calcul de la marge brute d'autofinancement seraient erronés.

12. En troisième lieu, si M. Frédéric Manjot est l'inventeur du produit phare de la SAS A... Hydro qui ne serait protégé par aucun brevet et si aucune clause de non-concurrence n'aurait été imposée lors de la vente de la société, ces circonstances ne permettent pas d'établir la dépendance effective de la SAS A... Hydro à l'égard de M. Frédéric Manjot, justifiant une décote d' " homme-clé ". Il en va de même du maintien jusqu'en 2022 de l'intéressé dans ses fonctions de président de la société stipulé dans l'acte de cession d'actions conclu le 15 avril 2016, qui prévoit par ailleurs une option d'achat des parts au profit de la cessionnaire s'il était mis fin aux fonctions de l'intéressé avant le terme convenu. Il s'ensuit que l'administration fiscale a, à juste titre, écarté l'application de la décote demandée.

13. En dernier lieu, en se bornant à se prévaloir de l'abandon dès 2015par les services fiscaux de la référence aux obligations à terme à dix ans pour celle des obligations à trente ans, la SCI Le Cairn ne conteste pas sérieusement cette référence, à laquelle le rapport réalisé à sa demande a également recouru.

En ce qui concerne l'intention libérale :

14. Eu égard à l'écart significatif entre la valeur des titres cédés le 30 décembre 2015 et leur valeur vénale, de presque 50 %, et à la relation d'intérêts existant entre M. Frédéric Manjot et les autres actionnaires de la SA Holding A... qui étaient des membres de sa famille, avec lesquels il a conçu tant la nouvelle organisation de l'actionnariat de la holding que la cession des parts à un prix uniforme des quatre sociétés gérées par la holding et sans contrepartie réelle, cet écart doit être regardé comme une libéralité volontairement consentie par la SA Holding A... à M. Frédéric Manjot, justifiant que l'administration en corrige la valeur d'origine pour y substituer la valeur vénale. Est sans incidence la circonstance que M. Frédéric Manjot et son épouse n'aient pas participé au conseil d'administration ayant décidé la cession des titres de la SAS A... Hydro.

15. Il résulte de ce qui précède que la SC Le Cairn n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Sa requête doit être rejetée, en toutes ses conclusions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SC Le Cairn est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SC Le Cairn et à la ministre chargée des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 10 mars 2025, à laquelle siégeaient :

Mme Michel, présidente de chambre,

Mme Vinet, présidente assesseure,

Mme Soubié, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 avril 2025.

La rapporteure,

A.-S. Soubié La présidente,

C. Michel

La greffière,

F. Bossoutrot

La République mande et ordonne à la ministre chargée des comptes publics en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 23LY02852

lc


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY02852
Date de la décision : 03/04/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-02-01-03 Contributions et taxes. - Impôts sur les revenus et bénéfices. - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières. - Bénéfices industriels et commerciaux. - Évaluation de l'actif.


Composition du Tribunal
Président : Mme MICHEL
Rapporteur ?: Mme Anne-Sylvie SOUBIE
Rapporteur public ?: Mme LE FRAPPER
Avocat(s) : MOSSE & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-03;23ly02852 ?
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